Chapitre 4

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Pendant le trajet jusqu’à l’écurie, Meton et moi n’avons pas prononcé pas un mot. Je préférais d’abord atteindre un lieu où nous ne risquerions pas d’être entendus par des oreilles indiscrètes. Parler helariamen nous aurait identifiés comme des étrangers sans la garantie de n’être pas compris. Notre langue ressemblait trop au patois local. Et utiliser l’ocarmen n’était guère mieux. Notre accent nous aurait trahis. Et dans cet environnement montagneux, les sons portaient fort loin.

Dans l’écurie, les choses étaient différentes. Les hofecy se montraient suffisamment bruyants pour que personne ne nous entende.

— Alors, m’a demandé Meton, où allons-nous ?

J’ai pris la carte de visite que m’avait donnée le marchand et l’ai parcourue.

— Drat Importation, ai-je lu, à… Ocar.

— Nous revenons d’où nous sommes partis, a-t-il remarqué ironiquement.

— Nous avançons quand même, ai-je répondu d’un ton peu amène.

— J’espère, avec un tel nom, il doit se procurer ses produits hors de l’empire. Et qui sait où nous risquons de devoir aller ensuite.

— S’il peut nous donner un lieu, quel qu’il soit, je serais satisfaite.

— Vraiment n’importe quel pays ?

Je soupirais. Il avait raison. Si Vespef était prisonnière au Cairns, il ne faudrait rien de moins qu’une guerre pour la récupérer. Et la différence de force entre les deux contrées était flagrante. Même si les armées avaient été plus équilibrées, le problème de son acheminement restait entier. Ni la Diacara ni l’Ocarian n’auraient accepté de nous laisser les traverser. Quant à notre flotte, toute récente, elle était trop embryonnaire pour remplir ce rôle.

— Il est trop tard pour partir, a-t-il constaté, nous allons devoir passer la nuit ici.

— As-tu assez d’argent pour payer la chambre ?

Il a sorti sa fortune de sa poche et je l’ai imité. À nous deux, nous comptions quatre-vingt-quatre centièmes de cel. Tout ce qui nous restait des fonds confiés par Helaria au début de cette mission. Meton avait eu raison, comme souvent. La pièce que j’avais laissée au gamin, quelques jours plus tôt sur le marché, nous faisait cruellement défaut.

— Un pont, ce n’est pas mal non plus, ai-je conclu.

— Je préfère quitter le village et dormir dans la forêt. Nous y trouverons aussi de quoi chasser.

J’ai remis mon argent dans ma bourse en soupirant. Son sens de l’humour résidait dans son estomac. En temps normal, il était un compagnon charmant et agréable. Mais quand il avait faim, il devenait insupportable.

Nous avons pris la route à pied. Cela nous ferait du bien de nous dégourdir les jambes. Nos montures nous ont emboîté le pas. C’était cela qui était intéressant avec les hofecy. Ces animaux intelligents n’avaient pas besoin d’être attachés. Ils suivaient leur maître, ou restaient là où on les parquait. Jamais ils ne s’enfuyaient. Presque jamais, mais alors ils revenaient toujours.

Ce n’était qu’une petite ville. Bien que sa conception l’ait rendue facile à défendre en cas d’agression, elle n’avait pas de murs, ni donc de portes pour en limiter l’accès. Nous n’avons éprouvé aucune difficulté à quitter les lieux. La dernière maison passée, nous nous nous sommes retrouvés dans une immense plaine tout en longueur qui tapissait le fond de la vallée. Nous nous trouvions trop au nord pour rencontrer les grands champs cultivés, ici c’était le domaine de l’élevage. Çà et là, des troupeaux d’herbivores paissaient.

Pour rejoindre la forêt, nous allions devoir marcher un peu. J’ai choisi les pentes du sud, comme cela, nous pourrions nous mettre en route dès le lendemain. Nous avons atteint le couvert des arbres en quelques calsihons. Dénicher un petit ruisseau pour installer le camp s’est révélé facile. Nous avions peu de temps avant que le soleil ne se couche. La présence de hautes montagnes à l’ouest limitait la longueur des soirées. Quand on venait de l’Helaria, c’était déroutant au début, mais depuis le temps que je voyageais, je m’étais habituée. Meton a pris son arc et s’est mis en chasse. Il était plus doué que moi dans ce domaine. Je l’ai donc laissé donc partir pendant que je m’occupais d’organiser le campement. Il détestait les corvées, ce que je comprenais facilement, j’étais pareille. Mais après tout, il allait réparer le repas, ce qui ne représentait pas non plus une sinécure. Comme toutes les personnes habituées à se déplacer, je savais cuisiner des plats simples et nourrissants. Toutefois, les qualités gustatives – un fait qui associé à mon indiscipline avait singulièrement diminué ma valeur à la bourse aux esclaves du Cairns – n’étaient pas au rendez-vous. Disons que quelqu’un voyageant avec moi ne mourrait pas de faim. En revanche, Meton possédait un don. Il savait, à partir du peu d’ingrédients dont nous disposions, préparer un véritable festin. Il avait donc tout naturellement pris en charge la cuisine.

Quand Meton est revenu, j’avais organisé le bivouac. J’en avais aussi profité pour me baigner et enfiler des vêtements propres. Je n’arrivais pas à lire sur son visage s’il était déçu que je ne l’eusse pas attendu. En tout cas, le fait de ne pas avoir à nettoyer son linge sale, dont je m’étais occupé en même temps que du mien, le consolerait de ce spectacle manqué. Mais selon mon opinion, il s’en foutait. Notre relation avait beaucoup évolué depuis que nous chevauchions ensemble. Un an plus tôt, il aurait accompli n’importe quoi pour me posséder. Aujourd’hui, l’attirance qu’il éprouvait pour moi s’était muée en une amitié profonde. Si je me donnais à lui, je n’étais pas sûre qu’il m’accepterait. Mais il m’avait prouvé qu’il appréciait ma présence à ses côtés. Et c’était réciproque. Le savoir près de moi sans jamais avoir à prendre de précaution pour protéger mon intimité avait quelque chose de rassurant.

Mon partenaire se débrouillait bien à la chasse. Il tenait deux représentants de la faune avienne qu’il m’a montrés. Nous allions pouvoir manger pour plusieurs jours. Il y avait même trop pour nous deux. Mais peut-être envisageait-il de vendre le second pour gagner un peu d’argent. Si tel était le cas, il y avait fort à parier que tous les soirs jusqu’à Ocar, il nous ramènerait quelques proies supplémentaires.

— Je les prépare et tu les fais cuire ? m’a-t-il demandé.

— Ça marche, ai-je répondu.

Aussitôt, il s’est attelé à la tâche. Et je me suis rendu compte que s’il avait gardé le travail le plus rebutant, ce n’était pas pour me faire plaisir. Il sélectionnait les plumes avec beaucoup d’attentions. Il les a séparées en trois tas : celles avec de belles couleurs, les bien droites et les autres. Les premières seraient revendues pour confectionner des parures. Les deuxièmes lui serviraient à fabriquer l’empennage de nouvelles flèches. Les dernières ne représentaient que du déchet. Puis il a vidé les entrailles des deux oiseaux. Il a rempli ensuite la cavité ainsi dégagée avec les herbes aromatiques que j’avais cueillies en son absence. Il me restait la partie la plus facile et la plus longue aussi : les fixer sur la broche que j’avais préparée et les faire griller au-dessus du feu de camp. Fraîchement tuée, cela prendrait un moment pour que la viande s’attendrisse assez pour être mangée.

Pendant que je cuisais notre repas, il n’est pas demeuré pas inactif. Il a vérifié notre matériel. Il a examiné chaque flèche une à une. Il a repéré trois pointes nécessitant d’être retaillée et une trop ébréchée pour être récupérable. Il les a mises de côté, ne gardant dans son carquois que les plus belles. C’était ça que j’aimais tant chez lui, on n’avait pas besoin de lui dire ce qu’il devait faire. Il trouvait toujours une occupation utile, ce qui ne l’empêchait pas de se montrer un joyeux compagnon quand l’occasion se présentait.

La soirée s’est terminée dans le calme. Elle constituait un de ces rares moments de tranquillité qu’il faut saisir quand ils adviennent parce qu’on ne sait pas quand le prochain surviendra. Et en dépit de la dureté de ma couche que de multiples épaisseurs de duvet ne sont guère parvenues à atténuer, je me sentais tellement en confiance que j’ai dormi comme un bébé.

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