Chapitre 2

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Chapitre 2

J’ai réglé mes consommations puis sortis de la gargote à la suite de Meton. Il m’a guidée jusqu’à l’étal du bijoutier. J’ai dû prendre sur moi pour ne pas courir. Mais le pas tranquille de mon compagnon m’obligeait à me mettre à son rythme. Il avait raison. Il aimait notre reine autant que nous et je savais qu’il était tout aussi pressé. Mais attirer l’attention des gardes de la ville ne serait pas une bonne idée. Surtout si, prenant des renseignements, ils découvraient que j’étais responsable du massacre de ce village dans le sud. D’accord, tout le monde me disait qu’évanouie et blessée, il ne voyait pas comment j’aurai pu empêcher cette tragédie. Mais avec le recul, je me rendais compte que Wotan avait raison. J’aurais dû tuer Ancaf. Malheureusement, mon éducation n’avait pas prévu le meurtre de sang-froid. Et par moment, je le regrettais.

La place où m’a conduite Meton se situait en bordure des quais. On y trouvait des commerçants qui vendaient des produits qui avaient transité par l’Yrian. Ocar n’était pas un grand port, néanmoins quelques bateaux le desservaient. C’était surtout des marchandises lourdes qu’il aurait été difficile d’acheminer sur les routes du sud ou à travers les montagnes, telles que ces superbes plaques de marbre noir veinées de blanc dont on pavait les sols des palais impériaux de la Diacara et de la Melia.

Un navire mustulal se préparait à appareiller. Dans son cas, c’était la rapidité qui avait présidé à son choix. Il transportait des denrées périssables qu’il devait amener très vite à destination. En temps normal, j’aurai assisté à la manœuvre. Je trouvais magnifiques ces bateaux élancés, leurs voiles déployées. Je comprenais que Wotan ait tout mis en action pour les reproduire. Mais pas aujourd’hui. J’avais d’autres idées en tête.

Qualifier le vendeur de bijoutier était lui accorder trop d’honneur. Un bijoutier, tel que mon père, est un artiste capable d’unir les métaux, les gemmes et d’autres matériaux pour fabriquer ses œuvres. Lui n’en faisait que le commerce. Et encore, sa marchandise ne présentait rien de remarquable. Je ne voyais là que verroterie sans valeur et le plus souvent sans beauté. Néanmoins, je dois admettre à sa décharge qu’il possédait quelques pièces d’ambre de toute beauté. Leur présence m’a surprise d’ailleurs tant elles juraient avec le reste de son étal.

Je jetais un rapide coup d’œil sur ce qu’il offrait avant de relever la tête vers lui.

« Je peux peut-être vous renseigner ? m’a-t-il demandé.

— Je désire un bijou très particulier. Il s’agit d’une gemme transparente montée sur une cordelette de soie. »

Il a fait semblant de chercher, en vain. Je m’étais assuré qu’il ne proposait rien d’approchant. Il m’a montré une pierre accrochée à une chaînette de cuivre poli à briller comme l’or. Un œil profane n’aurait jamais remarqué la différence.

« Ce n’est pas ça du tout. »

J’ai sorti la gemme pour la lui montrer. Il a eu un air condescendant, bien malvenu pour un vendeur de pacotille tel que lui.

« Ce n’est que du quartz, a-t-il dédaigneusement fait remarquer, la soie a plus de valeur que la pierre.

— Justement, c’est la soie qui m’intéresse. Ce genre de cordon coûte cher. On en trouve soit en gros rouleaux bien au-delà des besoins de ma maîtresse, soit chez les bijoutiers à l’unité qui les fournissent à des prix prohibitifs. »

Il a hoché la tête. Il comprenait.

« Je n’en ai pas actuellement. Mais j’en reçois de temps en temps. Je peux vous les mettre de côté, si vous me versez un acompte de dix pour cent. Combien vous en faut-il ?

— Je n’ai malheureusement pas la possibilité d’attendre. Où vous les procurez-vous ?

— Je me montrerais bien stupide si je révélais mes secrets à un concurrent. Vous comprenez que je ne vous donne pas mes sources d’approvisionnement. »

Le ton avait changé. Il n’était plus mielleux comme avant. Il était devenu méfiant. J’ai décidé de modifier ma tactique. Je lui brandis la gemme sous le nez.

« Ce bijou, ainsi que quelques autres, a été dérobé à ma maîtresse. Elle veut les récupérer.

— Ce n’est que du quartz fumé. Ça n’a aucune valeur. Votre maîtresse s’énerve pour un rien.

— Vous n’avez aucune idée de la valeur qu’elle lui attribue. Et on ne lui a pas pris que cela. D’autres biens sont beaucoup plus précieux que celui-là. »

Pour toute réponse, il s’est contenté d’un sourire méprisant.

« Vous ne voulez pas coopérer. Soit. Je vais aller chercher la garde. Je suis curieuse de savoir ce qu’ils diront quand ils apprendront que vous vendez des bijoux volés sur le marché.

— Pour un morceau de quartz ? Ils ne bougeront pas d’un cil. Et ce genre de bijou est si courant, que si ça se trouve, vous vous trompez sur sa provenance. »

Il avait raison. Jamais le guet ne se déplacerait pour si peu. D’ailleurs, en voyant la richesse des biens qu’il proposait, je me demandais comment il faisait pour vivre. Il aurait dû écouler tout ce qu’il possédait pour que sa journée fût rentable. Et il n’était pas particulièrement achalandé. Sa source de revenus se situait certainement ailleurs. Cet étal ne représentait que la façade respectable d’un trafic. Malheureusement, je n’avais pas le temps de creuser.

Heureusement, Meton m’accompagnait. Jusqu’à présent, il était resté silencieux. Il a subitement décidé d’intervenir.

« Combien coûtent ces pièces d’ambre ? »

Le commerçant l’a regardé, interloqué.

« Plus que vous ne pouvez payer pour vous l’offrir.

— Ah. Dommage, parce que je voulais en amener une au guet pour la lui montrer. Je pense que ça les aurait intéressés.

— L’ambre est commun, on en trouve partout.

— C’est vrai, mais cette couleur et cette taille sont caractéristiques du Vornix. Ils sont devenus rares de nos jours et pour que vous en ayez autant je ne vois qu’une seule possibilité : vous vous êtes rendu là-bas et vous avez pillé des tombes. Maintenant, voulez-vous que j’aille chercher le guet ?

— Ça s’est passé hors de l’Ocarian. Ce n’est pas illégal.

— Oh, je ne pensais pas à ça. Je compte annoncer ici même comment vous vous procurez vos bijoux.

— Mais vous êtes fous. Le Vornix est sacré pour eux. Ils vont me lyncher.

— D’où l’intérêt d’aller chercher le guet. Saalyn, tu es chanteuse. Ta voix doit porter plus que la mienne. »

Avec un sourire, je gonflais la poitrine comme pour prendre mon souffle avant de crier.

« Attendez, s’est écrié l’escroc, un de mes partenaires parti à la retraite. Il m’a cédé son stock. C’est de là que le pendentif provient. »

En quelques instants, il nous a tout raconté : le nom, l’adresse, jusque dans quelle auberge il descendait se saouler.

Nous avons quitté le marché satisfaits. Avant de sortir, j’avisais un jeune garçon qui mendiait, assis par terre contre un mur, une sébile posée devant lui à ses pieds. Un bandeau lui masquait les yeux. Je me suis approchée de lui. Intrigué, il a levé la tête vers moi, signe qu’il n’était pas aveugle et pas encore assez expérimenté dans le métier pour simuler efficacement.

— Ça te dirait de gagner de l’argent facilement ? lui ai-je proposé.

— Qui je dois tuer pour cela ? a-t-il demandé.

— Personne.

J’ai sorti le collier de ma poche et le lui ai montré. Le jeune mendiant a tendu la main pour l’attraper, mais je l’ai écarté hors de sa portée.

— Il est à toi si tu vas le vendre à ce bijoutier.

Je lui désignais l’échoppe d’un autre vendeur d’ambre, légal celui-là, situé loin au cœur du marché.

— Mais si je fais ça, il ne va pas me croire que je l’ai eu comme il faut. Il va dire que je l’ai volé.

— Si c’est le cas, tu lui répondras que tu l’as pris chez ce marchand, là-bas.

Je lui indiquais alors celui d’où provenait le collier.

— Et s’il me le confisque sans me le payer.

— Il te restera au moins un cel.

De mon autre main, je lui montrais une pièce. Il a soulevé son bandeau pour mieux le voir.

— C’est un vrai ? a-t-il demandé.

D’un geste vif, il l’a attrapé sans que j’aie tenté de m’y opposer. Il a mordu dedans pour se faire passer pour aguerri alors qu’avec le métal utilisé pour fondre ces pièces cela ne servait à rien.

Je lui donnais le collier. Il s’est levé, rapide comme l’éclair, et s’est élancé vers sa destination. Au dernier moment, il s’est retourné et m’a regardée. Je lui envoyais un signe d’encouragement. Je l’ai observé présenter son trésor au commerçant. Celui-ci s’en est emparé et l’a examiné. Conformément à mes consignes, le jeune garçon lui a alors désigné l’échoppe du pilleur de tombe.

Très vite, l’intérêt a fait place à la colère. Il a quitté son étal pour aller montrer sa trouvaille à un concurrent, sans oublier auparavant de gratifier le gamin d’une petite pièce. Je ne suis pas restée pour voir ce que j’avais déclenché. Je n’avais pas peur d’être reconnue. C’était l’avantage de travailler en Ocarian, il était difficile de donner une description précise de moi. Une belle femme blonde aux yeux verts et de taille moyenne, il y en avait légion dans ce pays. M’identifier à partir de caractéristiques aussi communes était quasiment impossible.

« Ce n’est pas sympa ce que tu as fait là, m’a reproché Meton. Et puis, nous n’avons pas beaucoup d’argent. Ce cel risque de nous manquer un de ces jours.

— Il n’y a pas que pour les Ocarianseny que le Vornix est terre sacrée, ai je répliquai. »

Meton a approuvé d’un simple hochement de tête. Lui aussi venait de l’Helaria. Il pensait la même chose que moi.

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