Chapitre 1

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Jusqu’alors, mes missions m’avaient fait arpenter les chemins du sud du continent. Cette fois-ci, j’avais décidé de me rendre les hauts royaumes situés au-dessus du Cairn. Toutefois, mes précédentes visites dans ce dernier pays m’avaient échaudée. Lors de ces deux occasions, je n’avais dû mon salut que par la fuite. Heureusement, je pouvais atteindre ma destination en évitant cette contrée xénophobe. La plus fréquente consistait à emprunter la voie maritime. Malheureusement, mes finances ne me le permettaient pas. Mais, au départ de l’Helaria, il existait une autre possibilité. Nous n’avions qu’à remonter l’Unster jusqu’à Ocar, puis utiliser un des nombreux passages qui traversaient les montagnes. Une fois prête, je me suis remise en route. Ce n’était pas un hasard si l’empire d’Ocarian avait édifié sa capitale en cet endroit. Isolé du reste de la civilisation, à l’est de la chaîne de la Licorne, il aurait périclité s’il n’avait pu communiquer facilement avec ses voisins occidentaux. La vallée était large. Elle abritait de nombreux villages qui s’accrochaient aux pentes, laissant le fond fertile aux cultures. Loin à l’ouest on apercevait le cirque immense qui accueillait le glacier source de la rivière à l’origine de la prospérité de la province. Et au centre, le long d’un méandre, s’étalait la capitale impériale.

Quand je l’avais vue la première fois, Ocar m’avait impressionné par sa magnificence. Nous n’avions rien de tel en Helaria. Nos villes ne valent guère mieux que les villages que je distinguais au loin. Depuis, j’avais visité les hauts royaumes de l’ouest et j’avais relativisé mes opinions sur le sujet. Elle n’en restait pas moins une grande et belle cité.

Quand on voyait la richesse des lieux, on comprenait pourquoi ils faisaient si peu cas du sud. Ils n’en avaient tout simplement pas besoin. La région produisait tout ce qui leur était nécessaire. S’ils gardaient ces territoires, c’était pour les routes commerciales vers la Diacara et le continent du Shacand. Mais surtout pour éviter qu’un puissant voisin s’installât à leur frontière.

Il restait encore une bonne douzaine de longes pour atteindre les portes, le soleil venait de passer le zénith, nous avions le temps. En approchant des murailles de la ville, je craignais d’être reconnue. Mes exploits dans les mines yrianal avaient été remarqués. Mais ils ignoraient mon nom et mon visage. Si je frissonnais, ce n’était toutefois pas à cause de l’inquiétude que j’éprouvais, mais du froid. Presque mille longes au nord de l’Helaria, nous avions depuis longtemps quitté la zone tropicale. Les températures étaient plus fraîches, ce qu’aggravait le vent qui descendait des montagnes, léger, mais glacial.

« Comment peut-on vivre ici ? a maugréé Meton comme en écho à mes pensées.

— Ils viennent juste de sortir de l’hiver, ai-je répondu. Dans quelques douzains, il fera plus chaud. »

De fait, il n’avait pas tort. Les pentes étaient encore en partie couvertes de plaques de neige, même si la fonte était bien entamée. Bientôt, le fleuve déborderait, inondant la plaine et dispensant le riche limon qu’elle charriait et qui rendait ces terres si fertiles. On voyait les paysans travailler sur les digues qui permettaient de choisir quels champs allaient bénéficier de la manne, quels autres resteraient en jachère et isoler ceux qui avaient été mis en culture à l’automne. Je me délectais de ce paysage bucolique, que la minuscule Helaria ne connaîtrait jamais avant de me mêler à la file des voyageurs qui entraient en ville pour acheminer leur production. « Combien de temps allons-nous rester ici ? a demandé Meton.

— Pas longtemps, le temps de trouver une caravane qui traverse les montagnes.

— À propos de caravanes… »

Il m’a désigné, à quelques centaines de perches devant nous, une charrette à bras tirée par deux bawcks. Six autres représentants de ce peuple les suivaient. Ils étaient bardés d’armes de tout type. Mais elles étaient destinées à la vente. Si les stoltzt connaissaient le travail de la forge, ils étaient bien loin des performances des bawcks. Nul doute que leur charrette contenait la même chose. Pendue à la ceinture de l’un d’eux, je remarquais une dague aux reflets grisâtre au lieu du jaune habituel. Auraient-ils découvert un nouveau métal ? Je me suis promis de faire un saut plus tard à leur stand au marché.

L’attente n’a pas été longue. Sans aucun voisin en mesure de le menacer, Ocar n’était pas très surveillé. Le garde nous a dévisagés et c’était tout. Une fois dans les murs, nous nous sommes mis en quête d’une auberge. Après presque un mois de chevauchée, nous n’avions qu’une idée : manger, puis dormir au moins un demi-douzain.

Le lendemain, bien reposés, nettoyés et nourris, nous avons commencé nos démarches. Je me lançais à la recherche d’une caravane en partance vers l’ouest pendant que Meton se chargeait de compléter notre équipement. J’ai eu de la chance, l’une d’elles devait prendre la route d’ici huit jours. Je n’ai pas pris contact, je comptais laisser ce soin à Meton. Ce pays n’était pas l’Helaria, les femmes, aussi bonnes négociatrices fussent elles, avaient du mal à obtenir des conditions satisfaisantes. Elles étaient jugées moins compétentes, même après avoir prouvé leurs capacités. J’étais curieuse de savoir ce qu’avait déniché Meton. Je m’installais dans la gargote que nous avions désignée comme notre base. J’étais en avance. La prospérité de l’empire dépendait de son commerce, les convois étaient nombreux.

A son retour, j’ai remarqué tout d’abord qu’il n’amenait rien avec lui. En apparence, il n’avait rien acheté. Ensuite, j’ai vu son excitation. Je ne l’avais jamais vu comme ça.

« Devine ce que j’ai trouvé ? s’est-il exclamé.

— J’ignore ce que c’est, mais ce doit être génial vu ton état.

— C’est ça. Génial. Je l’ai acheté au marché à un joaillier. »

Il a ouvert son poing fermé, libérant une pierre accrochée au bout d’une cordelette que je n’ai même pas pris la peine de regarder.

« Crois-tu que nous avons de l’argent à gaspiller pour que tu m’offres des bijoux ?

— Regarde-le ! »

Devant son air impératif, je baissais les yeux sur le pendentif.

Sous la surprise, j’ai tant sursauté tant que j’ai fait tomber ma chaise. Puis, j’ai attrapé le visage de Meton entre mes mains et l’ai attiré à moi pour l’embrasser. Il ne s’y attendait pas et il s’y est pris trop tard pour refermer les bras sur moi. Et tant mieux. Je me trouvais dans un tel état que s’il s’était montré assez rapide, j’aurais pu lui donner ce qu’il espérait depuis si longtemps à l’instant même, dans cette salle, devant tous ces gens.

Alors que depuis plus d’un an, nous cherchions partout, fouillions dans tous les coins, remontions la moindre piste aussi ténue fût-elle, en vain, ce qu’il avait réussi à dénicher chez un bijoutier de marché n’était autre que la gemme de Vespef.

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