Routine

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- Et voilà ! Nous voici de nouveau confinés!

- Qu'est ce que cela peut bien te faire à toi, tu es à la retraite et tu ne sors jamais le bout de ton nez!

Myriam en avait assez d'entendre son mari geindre sur toutes les informations qui passaient sur BFMTV. Il restait toute la journée dans son fauteuil confort, qui lui avait coûté les yeux de la tête, à se ronger les ongles et à prendre sa température trois fois par jour. Il l'évitait même elle, se tenant bien à un mètre cinquante de distance à table, règle d'ébéniste en main, lingettes désinfectantes et gel hydroalcoolique à portée de main, s'assurant de sa propre sécurité. Cela faisait déjà des années qu'ils faisaient chambre à part, depuis que les enfants étaient partis. Depuis cette histoire de Covid, ils devenaient des étrangers dans une même maison.

Gérald, quand à lui, ne semblait pas affecté par cette distance. Il gardait en tête que cette maladie était mortelle, que les personnes âgées étaient plus fragiles, ça lui suffisait pour croire qu'il avait raison. Il n'avait pourtant que soixante deux ans. De toute façon , se disait-il, ils n'avaient jamais été trés proches. Elle était juste là quand le temps du mariage était venu. Son père l'avait un peu poussé mais il y était allé à contrecoeur. Il ne pouvait pas lui dire que ce qui le gênait le plus dans le confinement était justement qu'elle serait confinée avec lui. Il n'eût pas besoin de poser la question, Myriam, continuant de râler assez fort depuis la cuisine pour qu'il l'entende, prononça les mots qui le soulagèrent instantanément:

"- ...heureusement que cette fois je continue à travailler, parce que t'avoir dans les pattes toutes la journée...

Il n'en écouta pas plus. Il lui proposa gentiment de choisir le programme de la soirée et se remit à zapper entre les différentes chaînes d'infos.

Chacun d'eux était satisfait de ne pas être ensemble vingt quatre heures sur vingt quatre, satisfait de ne pas avoir à supporter l'autre, satisfait de se complaire dans leur solitude.

Le lendemain, Myriam partit à son travail, masquée, attestation dérogatoire professionnelle en poche au volant de sa berline. Comme à son habitude, Gérald guettait son départ à la fenêtre, veillant à ce qu'elle n'accroche pas les rétroviseurs aux colonnes soutenant le portail en fer forgé. Dés qu'il vit la voiture s'éloigner, il mit sa veste en daim un poil trop grande et se dirigea comme tous les matins au bar tabac du coin de la rue. Myriam ignorait tout de sa petite balade matinale, et il ne voulait absolument pas qu'elle l'apprenne. Si elle savait qu'il jouait au tiercé et aux jeux à gratter, elle le houspillerait pendant des heures. Plutôt mourir!

"- salut les gars, dit-il avec un geste de la main

-salut Gégé! répondirent en coeur deux gendarmes qu'il avait coutume de croiser tous les matins.

Personne dans l'établissement ne portait de masque mis à part le patron, prostré devant sa caisse et son panneau en plexiglas déjà jauni. Gérald bu un café, et commanda quatre tickets à gratter. Connaissant ses habitudes, le gérant le laissa choisir ses tickets tout en racontant une drôle d'histoire sur son fournisseur. Il avait été mis en quatorzaine parce que sa femme était positive au test Covid. Gérald était devenu blême. Il tint son visage à deux mains, commença nerveusement à se ronger l'ongle du petit doigt, dernier survivant de sa vilaine manie et décida de rentrer.

"- Je vous laisse, demain je passe pas , j'ai un truc de prévu" dit-il , laissant la porte du bar se refermer sur lui.

Il arpenta la route au petit trot, plus vite que s'il était poursuivi. Il se lava les mains durant dix bonnes minutes, désinfecta ses tickets et mis tout son linge au lavage, veste comprise. Il l'avait échappée belle ,pensa-t-il.

Il glissa ses tickets dans son portefeuille, prit sa température, 36,7°C; Tout va bien.  Gérald reprit sa place dans son fauteuil, grignotant le reste de ses ongles désinfectés et alluma la télé.

Myriam rentra plus tard que prévu et fût reçue par les jérémiades de son mari. Il avait faim et habituellement, ils mangent à vingt heures, devant le journal télévisé. Elle lui répondit d'un ton sec:

- y'en a qui travaille et si vingt et une heure c'est trop tard, va te coucher, tu mangeras mieux demain! Surtout que finalement, je suis confinée, un collègue est positif, ils ferment toute la boutique.

- Tu dois faire un test!

- et d'aprés toi , pourquoi je rentre si tard? La patronne a fait venir une infirmière qui nous a tous testé et je suis clean! ça t'en bouche un coin, hein?!

- bon, je vais faire des omelettes, tu sors les chips?

D'un hochement de tête, elle acquiesca et s'exécuta.

Les deux semaines qui suivirent furent calmes, chacun vacant à ses activités, chacun dans sa pièce et ne se rejoignant que pour les repas. Chacun d'eux n'avait aucun regard pour l'autre, tous deux ne se préoccupant que de lui même. Myriam espérait pouvoir reprendre le travail et Gérald enfonçait chaque jour un peu plus l'assise de son fauteuil hors de prix.

Un matin le téléphone sonna. C'est Myriam qui se leva la première pour répondre. La porte de Gérald était encore close. Au bout du fil, sa patronne lui annonçait qu'elle pouvait reprendre dés le lendemain. Ravie, elle grimpa deux par deux les marches de l'escalier menant aux chambres. Elle toqua, mais n'optînt pas de réponse.

- Gérald? Dit-elle en entrebaillant la porte

Mais Gérald n'était plus. Il avait succombé. Le Covid l'avait emporté et elle n'avait rien vu.

- Tu étais confiné! lâcha-t-elle dans un sanglot avant de refermer la porte.

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