1. Artémis

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Le soleil est haut, aujourd'hui, et la chaleur étouffante. L'herbe qui nous entoure n'est plus qu'un champ grillé et la terre sous nos pieds se craquèle sur des kilomètres. À peine étions-nous descendus du train, quelques minutes plus tôt, que la soif nous tenaillait déjà.

"Attendez le signal d'Hermès et d'Aphaïa", nous dit Hypérion dans un murmure.

Nous sommes accroupis dans les dernières broussailles encore en vie, en silence et prêts à bondir. Nos genoux raclent douloureusement contre le sol et nos masques de faucons ne laissent voir que nos yeux fixés sur la scène qui se joue devant nous : onze hommes sont occupés à surveiller maladroitement de la marchandise. Aucun d'eux ne semble se soucier d'un réel danger et tous sont plus préoccupés à rire et à plaisanter qu'à rester sur leurs gardes. Quelques-uns jettent encore des regards alentours mais l'arrivée désormais imminente d'un convoi fort de plusieurs hommes les a définitivement détendus. Cependant, sur le toit de la vieille bâtisse abandonnée et tombant en ruines qui leur sert de repaire temporaire, trois hommes sont occupés à scruter les alentours, un fusil d'assaut dans les mains. Ceux-là prennent leur mission à cœur, même s'il est évident qu'aucun d'entre eux n'appartient à un clan. Des bandits solitaires, certes, mais qui ont tout de même réussi à rafler une mise colossale.

Hypérion, le général en charge de l'offensive, a déjà sorti son arme de son fourreau. Nous attendons, le souffle court et l'adrénaline faisant battre nos cœurs un peu plus fort. Je sens la sueur me couler sur le front et je me délecte de cette sensation vertigineuse tout en contrôlant chacun de mes gestes. Étant la plus jeune du groupe et de ce fait la moins expérimentée, je sais que je dois éviter le moindre faux-pas. Les guerriers beaucoup plus vieux que moi qui sont à mes côtés ont déjà acquis l'art de la guerre comme un sixième sens, et se feront une joie comme à chaque offensive de rapporter à leurs supérieurs les erreurs que la jeune Artémis aura pu réaliser. Tendue et stressée, je prends donc une grande inspiration pour me forcer à rester concentrée, coincée entre Hypérion et Perséphone.

« Je m'attendais à découvrir un des clans des Loups... murmure-t-elle à l'attention de notre général. Ou à défaut le clan des Loutres, mais certainement pas à de vulgaires voleurs solitaires.

- Je sais. Je pensais également découvrir bien plus que seulement quatorze hommes. Quatorze bandits ayant réussi à mettre la main sur la plus grosse prise de kyaneos depuis des années ? Je n'y crois pas une seconde. Le reste de leur équipe doit attendre à l'affût dans des fourrés, c'est la seule explication à leur nonchalance. Et je suis prêt à parier sur les Ours. »

Perséphone se tourne vers Hypérion, changeant légèrement de position en réussissant à ne faire craquer aucune brindille. La quarantaine passée, son corps est resté aussi souple et musclé qu'à son premier voyage.

« Nous sommes sur leur territoire, c'est vrai, mais le traité est clair entre les Ours et les Faucons. Ce que tu insinues...

- Ce que j'insinue implique des conséquences, j'en suis bien conscient, mais sois réaliste, Perséphone. »

Elle n'a pas le temps de répondre car notre attention est soudainement détournée. Sur le toit de la bâtisse abandonnée, une flèche siffle dans l'air et vient se planter dans le dos d'un des gardes qui s'écroule lourdement. Avant même que ses camarades ne puissent se retourner vers lui, deux assaillants se glissent derrière eux et leur tranchent la gorge d'un seul geste. Tout s'est fait en quelques secondes et dans un absolu silence. Hypérion se redresse. C'est le signal d'Hermès et d'Aphaïa que nous attendions.

« On y va. »

Tandis que nous nous levons d'un seul bloc de notre cachette précaire, aucun des onze bandits n'a encore réalisé ce qu'il se passait. Et je suis fascinée par la scène qui me semble surréaliste : les voleurs continuent de rire alors que nous nous avançons vers eux sans chercher à nous cacher et complètement à découvert sous un soleil de plomb. Mais c'est bien réel, et en quelques secondes, les Faucons sont arrivés à hauteur des bandits bien avant qu'ils ne puissent réagir. À l'instar de mes frères et sœurs d'arme, je me jette sur le premier voleur qui croise mon regard. Ils comprennent enfin, bien que trop tard, qu'ils sont pris d'assaut. Dans des cris effarés, ils tentent maladroitement de saisir leurs fusils. Je vois Hypérion enfoncer son sabre dans le ventre de l'un d'eux, Perséphone trancher la gorge d'un autre, Hermès et Aphaïa sauter du toit délabré en brisant les nuques de deux voleurs. J'entends les flèches de Crios, toujours tapi dans l'ombre, fendre l'air et se planter dans des crânes ou des thorax. L'une d'elle siffle à mon oreille tandis que ma dague se plante dans la cuisse de mon assaillant, lui sectionnant l'artère fémorale. Il tombe à la renverse, lâchant son arme, et j'ai le temps de voir son regard s'éteindre alors que ma dague s'enfonce dans sa carotide. Une arme courte, mais incroyablement efficace quand les conditions s'y prêtent. Quelques balles sont tirées à l'aveugle par les bandits désemparés mais elles ne rencontrent rien d'autre que le vide. En quelques secondes, c'est la presque totalité de nos ennemis qui a été décimée et le silence qui est revenu. Au centre du lieu se sont rassemblés trois voleurs dans une tentative désespérée, les seuls survivants du carnage. Tremblant comme des feuilles, ils sont tenus en joue par les Faucons qui se sont rassemblés autour d'eux, essuyant leurs armes et ramassant les fusils. Crios nous a rejoints, et je me poste à ses côtés tandis qu'Hypérion s'avance vers les bandits, enjambant quelques cadavres au passage.

« C'est trop tard... hasarde l'un d'eux, la voix pincée. Le convoi sera là dans quelques secondes avec beaucoup de renforts... Et nous ne sommes pas seuls ici... Vous ne serez pas assez. »

Hypérion se poste devant lui, les mains croisées dans le dos. Son visage indiscernable caché sous son masque de faucon lui donne un air encore plus impressionnant. Il l'observe un moment, puis d'un geste désigne le talkie-walkie accroché à la ceinture du voleur.

« Ce serait bien que vous leur disiez de faire demi-tour, dans ce cas.

- Et ne pas repartir avec tout cet or bleu ? C'est impossible, c'est une trop grosse opportunité. Vous savez de quoi je parle.

- C'est vrai. Et qu'en est-il de ceux qui sont censés être cachés quelque part autour de nous ? Ne se joignent-ils pas à la fête ? »

L'homme semble difficilement déglutir. Hypérion a touché un point sensible, il est désormais évident qu'ils s'attendaient à être protégés par des renforts en embuscade.

« Pouvez-vous donc me dire qui était censé vous venir en aide ? »

Le voleur ne répond toujours pas. Pendant quelques secondes, Hypérion ne réagit pas. Le silence les tient alors que des dizaines de masques de faucons sont fixés sur eux, impassibles. Puis notre général fait un léger signe de tête au Faucon situé à sa droite, que je reconnais être Aphaïa. D'un seul mouvement, celle-ci dégaine le revolver de sa ceinture et tire une balle dans la tête d'un des camarades du voleur effronté. Il s'écroule, et le sang vient rapidement lécher les genoux des deux autres alors qu'ils deviennent blancs comme linge. Aphaïa tourne alors son arme vers le deuxième bandit mais celui-ci se jette à ses pieds avant qu'elle n'ait pu tirer.

« Non ! S'il-vous-plait... Ce sont les Ours... »

Il lève un regard implorant vers Hypérion.

« Ils récupéraient un pourcentage de la mise, en échange de leur protection et d'une partie de leurs hommes... Ils ont dirigé l'attaque et nous ont laissé utiliser ce site pour repaire. Ils s'attendaient à votre venue, alors ils s'étaient postés dans les fourrés si jamais...

- Eh bien il semblerait que vos Ours soient retournés dans leur caverne. »

Notre général ne bouge pas, mais sa voix trahit sa colère fulminante. L'alliance entre les Ours et les Faucons est ancestrale, et l'idée même d'une trahison nous semble impensable. Hypérion s'avance encore un peu plus vers eux.

« Dites au convoi de faire demi-tour. »

Mais ils ne réagissent pas, refusant obstinément de prendre leur talkie-walkie. Aphaïa n'attend pas, elle sait lire les ordres de son général même sans qu'il ne les prononce. Elle tire, et la deuxième balle part se loger dans la tempe d'un des voleurs. Le troisième et dernier homme a laissé échapper un cri de détresse. Hypérion s'accroupit à sa hauteur.

« Dois-je me faire répéter ? »

L'homme ne répond pas. Les lèvres tremblantes, il décroche maladroitement le talkie-walkie à sa taille. Il s'apprête à passer son message quand son regard se fixe soudainement à l'horizon. Hypérion se redresse et se retourne. Au bout du chemin caillouteux qui mène au repaire, le convoi est arrivé. Le véhicule est arrêté à presque quatre-cent mètres, sûrement dans l'indécision de l'action à entreprendre devant une scène qu'ils ne s'attendaient pas à voir. Excédé, Hypérion soupire et s'empare brusquement du talkie-walkie.

« Je suis Hypérion le 27e, général des armées fauconnières. Je vous prierais de faire demi-tour aussi rapidement que possible, nous ne chercherons pas à vous arrêter si vous acceptez de coopérer. Je ne souhaite en aucun cas déclencher une deuxième offensive dont nous connaissons déjà tous l'issue, j'en suis certain. Votre ami ici présent pense que nous ne sommes pas assez, c'est dire de sa sous-estimation évidente des Faucons et de votre surestimation des Ours. Je vais vous faire une fleur et vous renvoyer votre camarade, afin qu'il puisse vous rappeler ce qu'il en coûte de vous attaquer aux convois ferroviaires fauconniers. »

De sa main valide, il force le voleur à se relever et le pousse en avant. Sans demander son reste, celui-ci se met à courir à perdre haleine le long du chemin pour rejoindre le véhicule qui n'a toujours pas réagi. Hypérion active une dernière fois le talkie-walkie tandis qu'il regarde le bandit s'éloigner.

« Si vous voulez de l'or bleu, payez-le. »

Puis il se tourne vers Crios.

« Tue-le. »

Crios sort donc une flèche de son carquois, bande son arc, vise, et décoche. Le voleur arrive enfin à hauteur du véhicule, haletant et désespéré, mais il s'écroule d'un bloc. La flèche s'est plantée dans son dos. Dans un crissement de pneus, le convoi fait soudainement marche arrière et s'éloigne rapidement.

Une fois l'horizon clair de toute présence autre que la notre, Hypérion se tourne vers nous. Il reste immobile un moment, en proie à une intense réflexion. Il sait que ce qu'il vient de se passer changera la donne de beaucoup de choses. Nous le savons tous.

« Rechargez l'entièreté de cet or bleu dans le train, finit-il par annoncer. Nous devons repartir avant le début de l'après-midi. »

Les Faucons s'activent, ramassant leurs armes déployées et s'emparant des caissons chargés d'or bleu. Je vais pour en faire de même, mais Hypérion s'approche de moi.

« Artémis. Quand nous arriverons aux colonies, tu es priée de te rendre aux quartiers de Suez, il a à te parler. »

Mon sang se glace et un frisson me parcourt le dos.

« Ai-je fait une erreur, général ? »

Il met du temps avant de me répondre. Ses yeux me sondent et je fais de mon possible pour garder contenance.

« Non. »

Puis il s'éloigne et me laisse sans autre explication au milieu des caissons de kyaneos que j'avais entrepris de porter.

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