36. Ashton

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À l’instant où Savannah m’a dit que je lui ai fait trop de mal, j’ai compris qu’il était inutile de me battre. Il y a des combats qui sont perdus d’avance, celui-ci en fait partie. Dans ces cas-là, il faut savoir lâcher prise et sortir du ring la tête haute. C’est ce que je ne cesse de me répéter alors que je noie mon chagrin dans des verres de Tequila. Je ne sais plus depuis combien d’heures je suis dans ce bar. Trois. Quatre peut-être. Plus d’une fille est venue me chauffer. Mon regard noir leur a vite fait capter que je n’étais pas intéressé. Dans ma tête, dans mon cœur, dans mon âme, il n’y a de la place que pour une seule et même personne, ma jolie rouquine. Je l’ai dans la peau et aucune autre ne pourra l’en déloger. Pourtant, je dois me faire une raison, c’est bel et bien terminé. Aucun retour en arrière envisageable. Tous ces mois à espérer n’auront, finalement, servi à rien. Terrassé par la douleur qui me vrille les tripes, je laisse tomber ma tête sur mes avant-bras posés sur le comptoir et empoigne mes cheveux. J’ai mal. Trop mal. Je vais crever… Je veux crever. Ma vie n’a été qu’une putain de successions d’abandons. Comment continuer à croire que demain sera meilleur ? Je me redresse et enfonce mon poing dans ma bouche pour éviter de hurler ma rage, ma colère et ce putain de désespoir qui ne me lâche plus depuis que j’ai quitté la salle. 

— Un autre verre ! commandé-je au barman qui passe devant moi.

Ce que j’ai déjà avalé n’est pas suffisant pour anesthésier mon cerveau. Il m’en faut plus. Beaucoup plus.

— Paie d’abord tes consommations !

J’extirpe un billet de dix dollars de la poche arrière de mon fut’ et le lui tends. Il part encaisser. Quand il revient avec très peu de monnaie, je fouille à nouveau mon jeans pour être certain de pouvoir m’offrir le prochain verre. Sauf que, bien sûr, je n’avais pas prévu de me trimballer avec un max de blé pour aller à la salle. Putain, fais chier ! Furax, je bondis sur mes pieds et me casse de là. Si je ne peux plus rien consommer ici Jamie doit bien avoir une ou deux bouteilles planquées dans les placards. 

Je ne sais pas comment je parviens jusqu’à l’immeuble tant tout tangue autour de moi. Je gravis les deux étages en me tenant au mur pour ne pas me rater dans les escaliers. Mettre la clé dans la serrure relève du parcours du combattant. Et quand, enfin, je réussis à rentrer, je crois halluciner. Une jolie rouquine – ma rouquine – est confortablement assise sur le canapé et regarde un film quelconque à la télé, un pot de glace entre les mains. Elle a troqué sa tenue de boxeuse contre un pantalon en cuir noir et un pull rouge au décolleté bien trop échancré pour que je reste de marbre. Sa langue lèche sa lèvre supérieure. Ma queue n’a pas besoin de plus pour tendre la toile de mon jeans. 

Putain de cerveau qui me fait croire à un putain de mirage !

Que ferait Sav ici ? Ça ne peut être qu’une illusion ! Je frotte mes yeux avec la ferme intention de la faire disparaître. Je réalise très vite que rien n’y fait. Elle est là, toujours aussi tentante, bien trop… bandante.

Plongée dans l’écran, elle ne semble même pas m’avoir remarqué. Je me racle la gorge pour lui signaler ma présence. J’ai besoin de comprendre ce qu’elle branle ici ? Pourquoi n’est-elle pas dans sa chambre à me traiter de sale connard ou bien avec Kurt à se foutre de ma gueule ? 

Elle porte son attention sur moi. Son mascara a coulé, signe qu’elle a pleuré, mais même comme ça, elle est putain de belle.

— T’as rien à foutre ici ! explosé-je.

Si j’avais écouté mon corps et mon cœur, je me serais jeté sur elle. Mais ma raison est là à me rappeler que si je suis dans cet état, totalement déchiré, c’est de sa faute.

— Jamie m’a dit que je pourrais dormir ici. 

C’est quoi cette putain de blague ? 

— Ah ouais ?

Je ne décolère pas. Je n’y arrive pas. Je pourrais profiter de la situation pour la foutre dans mon lit, sauf qu’avec elle, je veux tout et pas seulement son cul. Et si elle ne m’accorde pas plus, alors je préfère ne rien prendre. Je dérouille bien assez comme ça. 

Elle mordille sa lèvre tout en hochant la tête. Je suis obligé de lutter de toute mes forces pour ne pas aller me jeter sur sa putain de bouche qui me nargue. 

— Très bien. Bonne nuit, alors.

Mon ton est lasse. Épuisé de tous les combats que j’ai menés et qui etaient voués à l’échec. En titubant, je me dirige lentement vers ma chambre. 

— Ashton ?

Au son de sa voix, je me fige net, la main sur la poignée de la porte. Je ferme les yeux et prends une grande inspiration, avant de lui faire face. Quand je me tourne, elle se tient à quelques pas de moi et triture ses doigts avec nervosité. Mal à l’aise, elle fixe ses pieds. 

— Ouais, soufflé-je.

Comme dans un film au ralenti, elle relève lentement la tête. Au moment où ses yeux trouvent les miens, mon pouls s’emballe. Si seulement, je n’avais pas cette putain de trouille de me faire jeter une nouvelle fois, je la plaquerais contre le mur près d’elle et lui ferais l’amour comme un possédé. Là, je reste juste planté comme un con à me délecter de chacun de ses traits, tous mes sens en émoi.

— J’ai lu ton mot.

— Et ? Qu'est-ce ça change ? Regarde-moi, je me suis torché la gueule pour oublier que tu ne voulais plus de moi. Même si ça me flingue, j’accepte ta décision.

Une perle salée roule sur sa joue. Putain, je hais quand elle pleure ! C’est comme si une foutue lame acérée venait se planter dans mes tripes et remontait lentement pour me bousiller complètement. J’enfonce mes mains dans mes poches et joue nerveusement avec mon piercing pour éviter d’aller jusqu’à elle pour la prendre dans mes bras

— Pourquoi tu ne m’as pas appelé, Ashton ?

Un rire nasal m’échappe.

— Comment ?

— Tu aurais pu le demander à Stacey ou même à ma tante. Pourquoi tu ne l’as pas fait ? J’ai cru que tu m’avais oubliée dès l’instant où je suis partie !

— Je t’ai tellement bien oublié que j’ai passé ces derniers mois en taule ! 

Elle hoquète de stupeur et plaque sa main sur sa bouche, totalement déconcertée par ce qui vient de quitter mes lèvres. 

— Je… je suis…

— Ne dis pas que t’es désolée, la coupé-je sans ménagement. C’était mon choix, ma décision. Mais, tu vois, tu n’as pas été la seule à souffrir dans l’histoire. Contrairement à moi, tu as pu avancer alors que je stagnais dans nos souvenirs. Tu avais ta meilleure pote, tes cours et t’as rencontré K…

Sa bouche se plaque à la mienne pour m’offrir un putain de doux baiser avant même que je ne termine ma phrase, puis recule d’un pas. Pantois, il me faut quelques secondes pour que mon cerveau analyse ce qui vient de se produire. Elle me dévisage, guettant ma réaction, qui ne tarde pas à venir lorsque je capte enfin qu’elle est prête à me laisser une deuxième chance. Ma respiration se fait plus profonde alors que je pose mes mains en coupe sur son visage pour le lui relever. Mes prunelles s’accrochent aux siennes. Je cherche son accord tacite, avant de venir goûter à ce qu’elle m’interdit depuis bien trop longtemps. À travers ce baiser, je veux qu’elle sente la force de mes sentiments. D’abord suave, je me repais de son goût de glace à la vanille. Mes mains descendent sur ses hanches pour l’attirer plus près de moi. Une main sur ma nuque, l’autre à l'arrière de mon crâne, elle rend notre baiser beaucoup plus langoureux en introduisant sa langue dans ma bouche. Mon sang pulse férocement contre mes tympans. Mon désir monte en flèche. Mes mains partent à la conquête de ses courbes qui me font disjoncter tandis qu’elle agrippe mes cheveux pour me forcer à lui en donner encore plus. Un gémissement quitte ses lèvres. Satisfait, le souffle court, je pose mon front contre le sien. Apaisé par notre bulle invisible, je fous un coup dans les burnes de mes démons pour les renvoyer dans leur cage blindée. Peu importe qu’ils me narguent en me disant que c’est trop beau pour être vrai. Peu importe que ce ne soit qu’éphémère. Je veux juste profiter de cet instant où plus rien ne semble m’atteindre. Lui prouver combien je l’aime. J’ai tellement envie d’elle. Mais pas comme ça, pas maintenant. Je veux faire les choses bien, pour qu’elle ne puisse pas se dire demain matin que j’ai couché avec elle à cause des effets de l’alcool. Je veux être pleinement conscient de chacuns de mes baisers, de chacunes de mes caresses… de chacuns de ses gémissements. 

— Dors avec moi, mon ange.

Je recule d’un pas afin de pouvoir mieux l’observer. Son regard rempli d’amour me trouble. Un sourire timide se dessine sur ses lèvres et elle hoche la tête. Plus léger que jamais, je souris à mon tour, avant de lui prendre la main et de l’entraîner dans ma chambre. À peine la porte refermée, je me débarrasse de mes fringues et me glisse sous les draps pendant que mon amour se dandine d’un pied sur l’autre. Elle semble hésiter.

— Même si j’adore te sentir nue contre moi, tu peux garder tes fringues, la taquiné-je. Par contre, je ne suis pas certain que tu sois très à l’aise.

— Est-ce que tu aurais un t-shirt à me prêter ?

Malgré notre baiser, elle érige encore un mur entre nous. Je vais devoir me montrer patient pour lui prouver à chaque seconde que cette fois, je ne m’enfuirai pas. 

Je repousse les draps et me relève pour aller récupérer un de mes hauts dans l’armoire. Son regard dans mon dos incendie mon épiderme. La tête par-dessus mon épaule, je la chope en plein délit de reluquage de mon cul, la bouche entrouverte. Quand elle s’en rend compte, ses joues virent au cramoisi et, moi, je me marre. Elle est tellement craquante.

— Tu peux te tourner, s’il te plaît.

Ce mur. Encore et toujours. 

— Comme si je ne t’avais jamais vue nue…

Je lève les yeux pour accentuer mes paroles, mais je lui obéis quand même. Chaque chose en son temps. Et du temps pour elle, j’en ai à revendre. 

Quand je sens son corps se glisser tout contre le mien, je tourne la tête vers elle. Voir mon t-shirt sur son dos me plaît énormément. Réaction sûrement digne d'un homme des cavernes. 

— Bonne nuit, Ashton.

Sa main sur mon torse, elle se redresse pour venir poser un baiser délicat sur mes lèvres, avant de se tourner. Je reste quelques secondes sur le dos, les yeux dans le vague. Puis, saisi par je ne sais quelle pulsion, je me tourne pour aller me blottir contre elle, un bras autour de sa hanche. Elle pousse un soupir de bien-être. Sa respiration ralentit, m’indiquant qu’elle est sur le point de s’endormir. J’espère que cette nuit, elle rêvera de moi, de notre baiser au goût de trop peu.

— Je t’aime, susurré-je au creux de son oreille.

J’ignore si elle a saisi le sens de mes paroles, néanmoins, elle pose sa main sur la mienne et me pousse à raffermir mon emprise sur elle.

J’ai l’impression d’avoir quitté l’enfer pour prendre un aller simple pour le paradis.

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