6 Savannah

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J’ai couru encore et encore jusqu’à mettre un maximum de distance entre cet endroit maudit et moi. Me voilà à présent planquée derrière un arbre au milieu d’une forêt. Ça fait des heures que je suis ici à ressasser ce qu’il s’est passé. Comment ai-je pu être aussi idiote et croire que ma fierté serait suffisante pour effacer ma phobie ? Une véritable cruche, voilà ce que je suis ! Et tout ça pourquoi ? Pour prouver à l’autre connard d’Ashton que je ne suis pas une princesse. Maintenant, je suis certaine qu’il doit bien se marrer cet idiot et se dire qu’il a vu juste sur toute la ligne. Je me suis payée la honte de ma vie en fuyant comme une voleuse. Jamais je ne retournerai là-bas. Après ce que j’ai fait, il m’est impossible de recroiser la route de ce mec. Rien que d’y penser, un rire jaune quitte mes lèvres. 

Furieuse contre moi-même, je serre les poings de rage. Pourquoi ma vie est-elle devenue si compliquée depuis qu’ils m’ont trahie ? Pourquoi m’ont-ils fait un coup pareil ? Sans ça, je serais certainement sur l’une des plus belles plages du Mexique à affronter des vagues immenses. C’est ce que nous avions prévu de faire quand nous envisagions nos prochaines vacances d’été.

— Je te hais, Aaron ! Regarde où je suis par ta faute ! 

Au moment où je prononce son nom, mon cœur se déchire une nouvelle fois. Putain, je l’aimais et il a foutu deux ans de couple en l’air. Si seulement il s’était barré avec n’importe quelle nana, j’aurais pu éventuellement faire un effort sans chercher à comprendre, mais non, il a fallu qu’il la choisisse elle, ma meilleure amie, ma sœur.  Et elle, comment a-t-elle pu me voler mon mec alors qu’elle savait à quel point je tenais à lui ? Leur trahison a fait voler tous mes rêves en éclat, comme si la mort de papa n’avait pas été assez douloureuse.

Je laisse tomber ma tête sur l’arbre contre lequel je me suis assise. Penser à tout ça me fait un putain de mal de chien. Je voudrais que ça s’arrête. Je voudrais que Liam me prenne dans ses bras, me promette encore une fois que bientôt ce sera de l’histoire ancienne, qu’il m’entraîne sur un sale coup pour m’empêcher d’y penser. Mais, il n’est pas là et je me noie sous le flot de souvenirs. Tous ses signaux qu’ils s’échangeaient et que je refusais de voir pour ne pas me mettre à douter. L’aveu de Lea quand elle a fini par craquer, car elle n’y tenait plus. Mon monde si fragile à cause du départ de papa s’est complètement craquelé. Je n’avais plus rien à quoi me raccrocher. Et ce n’est pas un deuil que j’ai dû affronter, mais trois en même temps. Trois amours perdus en si peu de temps. Comment se relever quand on n’a plus rien à quoi se raccrocher ? Comment tenir le choc face à tout ça ? Personnellement, je n’ai pas pu, surtout que j’ai été amenée à les croiser plus d’une fois au détour d’un couloir au bahut. Ils affichaient leur foutu bonheur sur leurs gueules alors que moi je m’effondrais. S’en est suivi une chute de notes catastrophiques. Pour l’intello que j’étais, ça a été intolérable. Cependant, je n’ai pas eu la force de me battre pour redresser la barre. Si seulement, ma mère s’en était rendue compte, même pas. Elle était trop dans son monde où je n’avais plus ma place.

A l’approche d’un cheval, je sèche les larmes qui inondent mon visage et tente de me faire la plus silencieuse possible. Je refuse qu’on me retrouve. J’ignore où je vais passer ma nuit, toutefois je sais que ce ne sera pas au même endroit que ce grand brun devant lequel j’ai pris mes jambes à mon cou. D’un coup alors que je pense à lui, son visage s’impose à moi. C’est vrai qu’il est beau, peut-être même plus que Liam. 

Toujours la tête contre le tronc, j’abaisse mes paupières et revois toutes nos confrontations. Ce gars a un sacré caractère de connard, pourtant mon intuition me souffle que ce n’est qu’une façade pour se protéger, un peu comme Liam. Je suis presque certaine que si je me permettais de gratter sous la surface, je découvrirais une toute autre facette de sa personnalité, sauf que je n’en ai aucune envie. Pourquoi faire d’abord ? Je ne crois pas que ça changerait quoi que ce soit à ma vie. Je n’ai rien à apporter à personne. Liam l’a bien compris. De toute façon, il est comme moi, brisé par la vie. Sa mère est partie alors qu’il était petit. Si jeune qu’il est incapable de remettre un visage sur elle. Quant à son père, il n’en a jamais parlé, je crois que le sujet est trop douloureux pour lui. Le seul qui comptait à ses yeux, c’est son grand frère. Il a perdu son modèle le jour où il est parti, c’est ce qu’il m’a dit. Et c’est aussi la raison pour laquelle il s’est mis à déconner encore plus, à faire des coups qui pourraient l’envoyer rapidement en taule. Peut-être que je devrais le contacter pour lui annoncer que je crois que j’ai retrouvé son frangin. Depuis que mes yeux se sont posés sur Ashton, je suis persuadée que c’est lui le mec qu’il cherche. Sauf que je ne sais pas comment je pourrais le joindre, puisque par ici, je n’ai aucun réseau. Je sors tout de même mon portable de la poche arrière de mon jeans pour vérifier que c’est toujours le cas. Comme chaque fois que je l’allume, mon fond d’écran me blesse. À croire que je suis maso pour avoir gardé cette image, celle où nous étions tous les trois, Aaron, Lea et moi, souriants à la vie, heureux d’être ensemble. Mon estomac se révulse alors que mon regard ne veut pas s’en détacher. C’est vrai, qu’en général, avec le temps, je n’y prête plus trop d’attention, sauf ce soir. Peut-être parce que je me sens mal, j’en sais rien en vrai. 

Les larmes que j’avais chassé se remettent à couler. De la pulpe de l’index, je redessine ce visage que j’ai tant aimé embrasser.

— Ben, te voilà, enfin ! Ça fait des heures qu’on te cherche !

Surprise par cette voix féminine, j’en échappe mon téléphone, avant de relever lentement la tête pour regarder Stacey. Elle ne dit plus rien, se contente de me fixer, malgré tout, je vois bien à travers ses yeux qu’elle est peinée pour moi, sûrement à cause de mes larmes qui n’ont pas disparu par enchantement.

— Ce n’était pas la peine.

Son froncement de sourcils m'indique qu’elle ne capte pas trop ce que je lui raconte.

— De me chercher, ajouté-je pour illuminer sa lanterne.

Ahurie, ses yeux deviennent deux véritables billes.

— T’as très bien compris. Je ne retournerai pas là-bas.

— Pourquoi pas ? demande-t-elle en s'asseyant près de moi.

Comment lui dire que j'ai une véritable phobie des chevaux, mais que le pire c'est ce mec qui me met en permanence sur les nerfs ? Sait-elle pour quelles raisons on m'a envoyé ici contre mon gré ?

Comme pour m'insuffler du courage pour lui répondre, elle attrape mes mains et me force à tourner la tête vers elle.

— Regarde-moi, Sav. Ash nous a dit que tu avais été effrayée par Star et que tu t'étais barrée. C'est à cause de ça que tu te planques depuis des heures ici ?

Voilà, maintenant, tout le monde est au jus que la petite Savannah a été effrayée par le plus gentil cheval du ranch. La honte ! Merci beaucoup, Ashton.

Que voulait-il qu'il dise ? Il n'a fait que balancer la vérité.

Je n'en sais rien, moi. Il aurait pu commencer par dire qu'il m'avait foutu la trouille de ma vie et énervée ensuite avec ses princesses par-ci, par-là.

— Ton Ash aurait mieux fait de fermer sa putain de gueule ! répliqué-je mordante.

Et avant même qu'elle puisse répliquer, je saute sur mes pieds et entreprends de faire les cent pas devant elle pour tenter de canaliser ma colère qui grandit en moi. Seuls les craquements des brindilles sous mes pieds et le chant des oiseaux interrompent le silence qui nous enveloppe. Je sens son regard me suivre alors que j’arpente le sol. Je finis par me baisser pour attraper un petit bout de bois. Avec, je me mets à dessiner un cœur aussi brisé que le mien. Une légère brise souffle et soulève mes cheveux.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Aaron ?

À nouveau surprise par son intrusion dans mon monde, je tourne légèrement la tête pour la regarder par-dessus mon épaule. Je ne pensais pas qu’elle se souviendrait de son prénom, elle l’a rencontré une seule fois, à noël dernier, juste avant la mort de papa. À l’époque, j’étais encore heureuse.

En guise de réponse, je me contente de hausser les épaules. Je n’ai pas envie d’en parler, les seuls au courant sont Callie et Liam et c’est bien suffisant. De toute façon, qu’est-ce que ça changerait qu’elle l’apprenne ? Ma phobie des chevaux ne s'envolerait pas pour autant.

— Bon, visiblement, tu n’as aucune envie de parler…

Bravo, Sherlock. 

— Voilà ce que je comprends, reprend-elle, ce con, excuse-moi l’expression, mais tu sais qu’il m’a fait une très mauvaise impression, t’a larguée.T’as eu tellement mal que tu as mal tourné. Ça, c’est ce que maman m’a dit pour m’expliquer que t’allais passer deux mois ici. D’après elle, t’étais en train de faire de grosses conneries. J’ai juste jusque-là ?

Je pousse un long soupir, avant de me remettre à dessiner et sans vraiment le vouloir, j’écris la première lettre du prénom d’Aaron. C’est drôle, parce que c’est aussi celle d’Ashton.

Tiens, pourquoi je repense à lui, moi ? Ce mec est un connard, un cran au-dessus de mon ex en plus.

— Non, tu ne te trompes pas, finis-je par lâcher dans un souffle, complètement frustrée qu’elle ait pu voir juste.

J’aurais préféré garder tout ça pour moi, ou du moins ne pas m’épancher devant ces gens que je connais à peine. Oui, c’est ma cousine, mais on ne se voit pas souvent, c’est donc presque une inconnue pour moi.

— Je sais qu’on n’a jamais été très proches toutes les deux, mais si t’as besoin, tu peux me parler de tout ça. Je sais écouter.

Je me redresse et me plante devant elle.

— Je ne sais pas ce que tu cherches, Stacey, mais tu ne l’obtiendras pas. Je ne retournerai pas là-bas, ni aujourd’hui ni demain.

— Pourquoi pas ? 

Elle va me rendre marteau à vouloir me faire parler. 

— Pourquoi j’y retournerai d’abord ? Je hais les chevaux tout comme je hais votre putain de palefrenier !

Les mots ont franchi mes lèvres contre ma volonté. Non, mais quelle conne ! Devant son air estomaqué, je sais que mes paroles ne sont pas tombées dans l’oreille d’une sourde.

— Tu hais Ash ? 

Bordel, c’est tout ce qu’elle a retenu ! Il n’y a pas que lui que je hais. Si c’était l’unique problème, je pourrais peut-être passer outre. On ne peut pas s’entendre avec tout le monde. Quand je traine avec Liam, il y a une fille de la bande que je ne peux pas blairer et la réciproque est vrai, ce n’est pas pour autant que je me terre dans mon coin.

— Oui, je le hais, ce mec est un véritable connard, mais s’il n’y avait que lui, ça ne serait pas un problème. 

— Ash est un amour, comment tu peux le haïr ?

Non, mais elle est sérieuse ? Elle écoute au moins ce que je lui dis ? Franchement, là, je n’en ai pas l’impression. Tout ce qu’elle retient, c’est ma haine envers Ashton. Puis, comment ose-t-elle me dire que ce mec est un amour ? Sa manière de me traiter est totalement à l’opposé.

Les mains à présent sur mes épaules, elle attend que je lui réponde. Dans un geste brusque, je me dégage et retourne à mon dessin. Rageuse, je l’efface avec mon pied. Comment ma vie a-t-elle pu autant changer en moins d’un an ? Comment ai-je pu débarquer au milieu de nulle part alors que le Mexique me tendait les bras ? Est-ce que j’aurais dû être plus tolérante avec Aaron et Lea ? Non, impossible ! Ils m’ont anéantie.

— Tu sais quoi ? Tu vas me suivre. Ce soir, on a prévu de se joindre à une fête organisée par l’un de nos amis. Tu vas te faire belle, venir avec nous et oublier tout ce qui te ronge. Puis, qui sait, tu trouveras peut-être chaussure à ton pied parmi nos potes !

Ça n’a absolument rien à voir avec tout ce que je lui ai dit, alors, je laisse échapper un rire. Nerveux, je crois, le rire.

— Et demain, on reparlera de tout ça, ajoute-t-elle. J’ai bien compris que tu haïssais les chevaux, même si je n’ai relevé que sur Ash, et j’ai peut-être mon idée pour t’aider à surmonter ta trouille. Faut que j’en touche deux mots à Harper avant.

Malgré moi, je hoche la tête. La journée a été mouvementée et je crois que j’ai besoin de me reposer à cet instant sur quelqu’un. Elle, en l’occurrence.

— Tu veux bien rentrer avec moi ? 

Encore une fois, je me vois opiner du chef. J’ai l'impression que ma volonté s’est fait la malle à force de l’écouter parler.

Sans un mot, je la suis jusqu’à l’endroit où elle a attaché son cheval. Mon sang se met à pulser bien trop vite dans mes veines alors que je regarde l’animal qui me terrorise. L’air se raréfie et je me sens à nouveau au bord de la crise de panique. J’ignore ce qui alerte ma cousine, peut-être le fait que j’ai reculé, néanmoins elle se retourne vers moi.

— Spencer ne te fera aucun mal, fais-moi confiance.

Son sourire se veut rassurant, pourtant je n’arrive pas à lâcher prise et elle doit le remarquer puisqu’elle ajoute : 

— Tu n’as qu’à me suivre à bonne distance.

Soulagée de ne pas avoir à m’en approcher, je lui souris à mon tour.

Stacey arrive au ranch quelques minutes avant moi. Son retour doit sûrement alerter les autres, puisque je les aperçois sortir tour à tour de la maison. D’où je suis, je ne peux pas entendre ce qui se dit, mais le fait qu’il se tourne dans ma direction m’informe que ça doit me concerner. Le regard mordant d’Ashton s’accroche à moi pour ne plus me lâcher tandis que sa copine se précipite vers moi. Elle se jette dans mes bras comme si j’étais une vieille connaissance.

— Mon Dieu, tu nous a foutu une trouille bleue. Quand Ash nous a dit que tu t’étais enfui, on a cru ne jamais te revoir. Le coin est dangereux pour ceux qui ne le connaissent pas. Ne nous refais plus jamais un coup pareil ! 

Je hausse les épaules. Aurait-ce été une grosse perte ? Vu comme elle m’a taclée quand je suis arrivée, je n’y crois pas une seule seconde. Que cache sa soudaine gentillesse ? 

— J’aimerais passer un coup de fil privé. Mon téléphone ne passe nulle part.

C’est tout ce que je parviens à dire. D’un signe de tête, elle accède à ma demande, avant de m’inviter à la suivre. Au moment où je passe à côté de son mec, il pose sa main sur mon épaule pour m’empêcher d'avancer. Tout à la fois étonnée de son geste et furieuse qu’il me touche, je tourne la tête vers lui. Nos yeux s’affrontent plusieurs secondes, avant qu’un sourire goguenard étire ses lèvres. Il se fout de ma gueule. Connard !

— Les princesses n’ont rien à foutre dans les bois toutes seules, sauf si elles tiennent à rencontrer le grand méchant loup.

À la lueur espiègle dans son regard, aucun doute de permis, il fait une allusion au sexe.

— Je te l’ai déjà dit, bouseux, j’ai ce qu’il me faut sous la main. D’ailleurs si tu veux bien me lâcher, j’aimerais aller lui passer un coup de fil.

Sans que je n’en comprenne la raison, ses doigts se crispent sur mon épaule au point de me faire mal.

— Tu viens, Savannah ? m’interpelle Harper.

Quand elle remarque les doigts de son mec encore figés sur mon épaule, elle lui lance un regard noir qui pourrait le tuer sur place si ses deux billes bleues étaient des mitraillettes. À mon avis, il va prendre très cher pour avoir osé toucher une autre fille qu’elle. Bien fait ! Cette fois, c’est moi qui lui lance un sourire railleur, avant de me dégager et de suivre sa copine à l’intérieur.

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