4 Savannah

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En enfer, voilà où j’ai débarqué depuis à peine trois heures. Et ce n’est pas le grand brun, assis dans cette caisse avec moi qui va me faire changer d’avis. Bien au contraire. Il a beau avoir un visage d’ange, avec ses grands yeux gris, sa barbe de trois jours, et son corps d’adonis, il n’en reste pas moins un démon. Rien que ses tatouages sur son avant-bras droit représentant une scène apocalyptique, du moins je crois que c’est ça. À vrai dire, je n’y connais pas grand chose. En tout cas, j’aime bien, même si ça lui donne un côté flippant.

Depuis que j’ai refermé la portière, il a balancé sa playlist dans l’habitacle à un volume à la limite du supportable. J’en ai ma claque. Et dire que je croyais que le pire serait les chevaux, je crois que je viens de trouver un cran au-dessus. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, mais s’il continue, il risque de me faire sortir de mes gonds et de trouver un adversaire à sa taille.

Excédée de me péter les tympans avec sa musique de barge, je pousse un lourd soupir, avant de me pencher en avant pour pouvoir baisser le volume. Au moment où mes doigts sont sur le point de toucher l’autoradio, cet idiot me précède. J’espère un instant qu’il a entendu mes prières muettes et qu’il va y répondre, mais non. Bien sûr que non ! Au lieu de ça, il a encore augmenté le volume. Ça aurait été vraiment trop beau qu’il coupe le son.

— Putain ! hurlé-je pour me faire entendre par-dessus la cacophonie.

Un sourire goguenard s’étire sur ses lèvres alors que je me rencogne dans mon siège et croise mes bras sur ma poitrine. Quelques secondes de flottement s’écoulent pendant que je tente de maîtriser mes nerfs. Impossible ! N’y tenant plus, je me précipite cette fois vers l’autoradio et l’éteint. Au moins, mon message est clair. Maintenant, je peux me détendre. Ou du moins, je le crois jusqu’à ce que la bagnole fasse une violente embardée vers le fossé et se stoppe net. Mon épaule percute la portière et une sourde douleur descend le long de mon bras.

— Non, mais t’es malade, mon pauvre ! crié-je en le fusillant du regard.

Devant mon ton mordant, il arque un sourcil sans se départir de ce sourire que je lui ferai bien ravaler à coup de… À coup de quoi, d’abord ? Non, parce que, franchement, vu sa carrure d’athlète, je suis certaine que la moindre de mes attaques ne le ferait même pas ciller. 

D’un coup, il se renfrogne et me fixe avec une lueur démoniaque au fond du regard. 

— Barre-toi.

Son ton contraste totalement avec ce que je peux lire dans ses yeux. Il est beaucoup trop posé pour être vrai. Est-ce que ce type serait un psychopathe ? Mon Dieu, c’est bien ma veine. Malgré le frisson d’effroi qui remonte le long de mon échine, je ne flanche pas.

Autour de nous, à part cette forêt devant moi, il n'y a que des champs. Je ne vais tout de même pas descendre de sa bagnole au milieu de nulle part ! D'autant plus, que énervée comme je suis, je n'ai pas prêté attention à la distance qu'il vient de mettre entre nous et le ranch. 

 — Et si je refuse, tu me fais quoi ?

Son regard glisse le long de mon corps tandis que ses lèvres se tordent dans un drôle de rictus qui me fout une trouille bleue. Jamais je n’ai eu autant peur de ma vie. Est-ce que Nills sait au moins qui est ce gars qu’il a embauché ? Et sa copine, est-ce qu’elle sait qu’elle sort avec un dégénéré ? Ça se trouve même que ce gars est en cavale et que personne n’en sait rien. Oh, mon Dieu !

Respire, Sav. Respire.

— T’es sûre que t’as envie de le savoir ?

Oui. Non. Peut-être. Aucune idée. 

Pour éviter de me ruer hors de la caisse et le laisser gagner, je ferme les yeux et les garde clos. Si mon heure est venue, ainsi soit-il. Même si j’admets que mourir à dix-huit ans, c’est un peu jeune. Il y a tant de choses que j’aurais aimé faire, comme entamer des études de médecine ou pourquoi pas reprendre le surf.

Avant que toute cette merde me tombe sur le dos, je rêvais de devenir médecin pour tenter de combattre cette saloperie de cancer qui a emporté mon père. J'aurais aussi aimé partir à la découverte des plus beaux spots de surf. Depuis que papa m’a appris à me tenir debout sur une planche, je l’ai rarement quitté. Enfin, c'était vrai avant qu'ils me trahissent de la pire des manières. Après, je n’ai plus jamais défié une seule vague. Le faire m’aurait trop rappelé tout ce que j’avais perdu, papa et eux. Malgré les trois mois écoulés, ma haine à leur encontre brûle encore mes veines. Je les déteste tous les deux à un point inimaginable et ce n'est pas prêt de changer. Me sentant partir sur une pente qui risque de m'anéantir, je me raccroche à ce qu'était ma vie avant la maladie de papa. Nous n'étions pas riches, cependant, à cette époque, je pouvais encore croire en mes rêves. Croire qu’un jour, je monterais sur un podium et ferais la fierté de mon père. Aujourd’hui, je n’attends plus rien de la vie, mais, merde, je suis quand même trop jeune pour rejoindre mon père ! J’admets, j’y ai pensé quelquefois avant de traîner avec Liam, mais il m’a montré que, même sans rêve, on pouvait encore profiter de ce qui se trouve sur Terre. Sa manière de faire est peut-être à l’antipode des principes que j’avais avant, toutefois il a réussi à me dérider. Presque à faire de moi, une toute autre fille. Une fille bien plus forte qui parvient à affronter sa douleur sans ciller. 

Ce n’est que lorsque j'entends à nouveau Ash grogner un je ne sais quoi qui me passe par-dessus la tête que je me permets d'ouvrir mes paupières. Un coup d’œil à l’horizon et je me rends compte qu’on est très loin des champs devant lesquels il s’est arrêté un peu plus tôt. Ce qui ne peut signifier qu’une seule chose, il s’est remis à rouler quand je me suis déconnectée de la réalité. Non, mais je suis vraiment pas bien, il aurait pu profiter de ce moment pour me tuer ou me faire n'importe quoi ! Comment ai-je pu baisser ma garde comme ça ? Pour affronter le pire, il faut toujours se maintenir en alerte, c’est ce que Liam m’a appris dès notre premier coup. Et moi, je fais quoi ? Totalement l’inverse. S’il savait, je crois qu’il m’incendierait.

— Bon, tu sors de cette caisse ! grogne-t-il, avant de claquer sa portière.

Plutôt que de lui obéir, je scanne avec attention mon environnement. Des arbres à perte de vue. Putain, on est au milieu d’une forêt ! S’il me flingue, personne n’en saura jamais rien. Encore sous le choc de ce qui s’est passé quelques minutes plus tôt, je me rencogne dans mon siège dans l’optique qu’il me ramène au ranch le plus vite possible. Ma portière s’ouvre sur lui avant même que j’ai eu le temps de compter jusqu’à vingt.

— Je ne suis pas portier, bordel ! Va vraiment falloir que t’arrête de te croire à Beverly Hills, princesse !

Non, mais qu’est-ce qu’il m’énerve ! C’est quoi son délire avec ses princesses à tout va ? S’il savait pour quelles raisons je suis ici, il déchanterait très vite. Malgré mon manque d’enthousiasme, je mets un pied à l’extérieur. Saisie par une folle envie de contacter le seul qui me maintient à flot depuis trois mois, je chope mon portable dans mon sac à main. Je compose aussitôt son numéro et le porte à mon oreille. 

Aucune tonalité, c’est quoi ce putain de bordel ?

D’un coup d’œil, je vérifie le réseau et me rends compte que je n’ai aucune barre. Je me déplace à plusieurs endroits pour obtenir toujours le même résultat. Rien de chez rien. J’ai réellement dû atterrir en enfer pour être aussi coupée de la civilisation.

— C’est pas vrai ! 

Alors que je grogne, mécontent, un éclat de rire retentit dans mon dos. Je me retourne brusquement vers l’emmerdeur qui se bidonne, assis sur le capot de la camionnette. Connard ! Au moment où il réalise que je le matte, il revêt aussitôt un visage grave. 

— Ici, on vit à l'ancienne. Va falloir t’y habituer, princesse. En attendant, j’ai pas toute la journée et je suis pas bagagiste, alors bouge ton cul et récupère tes affaires, me lance-t-il en me provoquant du regard. 

S’il croit que ça me fait peur de porter ma valise, il se fout carrément le doigt dans l’œil. Le seul truc qui me fiche la trouille ici, c’est lui. Rien de plus, rien de moins. Même pas cette vieille bicoque… 

Hein ? Quoi ? Surprise par mes pensées, je fais volte-face vers la cabane. Et je tombe des nues devant l’endroit où je vais devoir dormir les deux prochains mois. Non, mais c’est ça le chalet ? C’est à se demander comment il tient encore debout tant il est délabré. J’espère quand même qu’il y a l'eau courante et l’électricité à l’intérieur, même si, là, j’ai du mal à y croire. Si ce n’est pas le cas, on peut toujours croiser les doigts pour qu’il y ait au moins deux chambres. Je me vois très mal dormir dans la même piaule que l’ours qui se trouve désormais sur le perron et qui me regarde comme si… comme si j’étais une putain de princesse qui n’allait pas tenir plus de deux secondes dans cet environnement.

Détrompe-toi, mon beau, j’ai dormi dans des endroits bien pires. Comme la fois où je me suis retrouvée à passer la nuit dans les égouts avec Liam pour ne pas me faire gauler par les flics. Le lendemain, quand je suis rentrée chez moi, ma mère m’a regardée avec une drôle de grimace. L’odeur pestilentielle de cet endroit avait dû s’imprégner sur mes fringues. 

— Putain, tu vas te magner ! J’ai pas toute la journée ! 

Au son de sa voix, je lève les yeux et plante un regard sombre dans le sien. Il ne peut pas me laisser souffler deux secondes pour que je m’adapte à cet endroit qui n’a rien à voir avec ce que j’ai toujours connu ? Je ne suis pas une fille de la campagne, je ne l’ai jamais été. Je préfère de loin la vie citadine et la plage.

Défiante, je continue à le fixer alors que je retire mes chaussures sous ses yeux. Marcher pieds nus ne m’a jamais dérangé, ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer.

— Un problème avec mes pieds ? demandé-je alors qu’il scrute chacun de mes gestes.

Un rictus en coin se dessine sur ses lèvres. Quand bien même ça le rend craquant, je ne m’arrête pas dessus et part récupérer ma valise. Une fois en main, je me dirige vers la cabane dans laquelle je retrouve le démon en train de m’attendre, une clope coincée au coin de ses lèvres. 

Oh, non, dites-moi qu’il ne fume pas à l’intérieur ! 

— T’as pas l’intention de la fumer ici, au moins  ?

— Dans les châteaux, on ne fume pas ?

Mais, qu’est-ce qu’il me gonfle ! Médusée qu’il puisse encore croire que je suis une bourge, je fronce les sourcils et secoue la tête. 

— Ben, va falloir t’y habituer, parce que j’aime bien m’en griller une devant la télé après le taf ! 

Fais chier ! Même si cette idée me déplaît carrément, apprendre qu'il y a la télé me rassure quant à l'électricité. Finalement, cette vieille cabane possède peut-être un minimum de confort.

— Maintenant, suis-moi, je vais te montrer ta piaule !

Encore une chose pour me rassurer, je ne vais pas être obligée de partager mon lit avec lui. Du moins, je crois. Sinon il aurait dit « notre piaule », non ?

À sa suite, je traverse un petit couloir qui débouche sur la pièce principale qui fait à la fois office de cuisine et de salon. Une vieille télé qui doit dater du siècle dernier retient mon regard un instant, avant qu’il ne se pose sur un canapé tout défraîchi. C’est très loin d’être le grand luxe ici. Heureusement que je ne suis pas difficile et sait m’adapter à tout.

Le craquement des escaliers me ramène à la réalité alors qu’Ashton s’engage sur la dernière marche. D’un coup d’œil par-dessus son épaule, il vérifie que je suis toujours derrière lui. En quelques enjambées, je le rejoins et grimpe à l’étage. Les trois portes m’indiquent que trois pièces différentes s’y trouvent. Sûrement deux chambres et la salle de bain. Cette fois, je peux souffler. Je ne dormirai pas avec lui, ouf !

— Ça, c’est ta chambre. Tu poses tes affaires, tu te changes et on retourne au ranch. J’ai pas toute la journée.

— T’as quel âge pour radoter autant, Ash ?

Son haussement de sourcil m’indique qu’il n’apprécie pas ce que je lui demande.

— D’un, je ne suis pas ton pote, donc t’évite de m’appeler Ash. Pour toi, ce sera Ashton et ne me cherche pas sinon, ce sera Davis. De deux, mon âge, t’oublie !

— Et de trois, je fais ce que je veux, avec qui je veux et quand je veux, Ash-Ton !

Bizarre, au lieu que ça le mette en rogne comme je m’y attendais, ma petite pique semble plutôt l’amuser, vu le sourire qu’il affiche. Bon, d’accord, il était fugace, mais je ne suis pas folle, je l’ai bien vu.  

— Tu crois pouvoir jouer dans la même cour que moi ? Méfie-toi, princesse, j’suis pas un gentil.

— Quand t’auras capté que je ne suis pas une princesse, on pourra peut-être causer. 

— Ouais, ben en attendant, tu ferais mieux d’aller te changer si tu ne veux pas que je reluque ce qui se planque sous cette jupe toute l’aprem !

Face à son allusion, mes joues prennent feu. Écœurée qu’il ait pu faire naître ce trouble en moi, je me réfugie dans ma chambre à toute allure, claque la porte et m’y adosse. 

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