3 Ashton

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Une heure que je suis au bar, une deuxième putain de bière devant moi. Depuis qu’elle a prononcé son nom, je n’arrête pas de cogiter. D’où elle connaît ce salopard ? J’espère pour elle que ce n’est pas son mec, sinon tôt ou tard elle risque de prendre pour lui. Je ne suis pas un gars méchant, je ne peux juste pas blairer celui qui m’a tourné le dos alors que j’ai sauvé son putain de derche. Et tout ça m’a coûté six mois derrière les verrous et de foutre les mains dans la merde. Cette enflure n’a jamais daigné faire le déplacement ni au tribunal ni à la prison et encore moins ici. Il m’a tourné le dos comme cet enfoiré qu’il est. Si j’avais su, je ne me serais jamais sali les mains pour lui. J’aurais encore une vie tranquille. J’irais à la fac, je m'entrainerais pour les prochains championnats et je baiserais de temps à autre, tout comme avant. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour devenir boxeur pro et me sortir de cette vie de merde dans laquelle j’ai grandi. Mais tout ça, c’est fini. Les chances pour que je remonte sur un ring sont minimes. Mon entraîneur me l’a dit. Je crois que c’était au cours de sa sixième ou septième visite. J’aurais beau me racheter, on ne me fera plus jamais confiance. Je me suis servi de mes poings en dehors d’une salle et ça, ça vaut mon rejet, surtout que j’ai été condamné. J’avale une lampée de ce liquide ambré. Le goût a dû mal à passer, celui amer de ma colère reste bien trop ancré sur ma langue.

— Qu’est-ce que tu fous là, mon pote ?

Surpris par cette intrusion dans mes pensées, je relève la tête vers Chayton. Ses yeux noirs d’Amérindien me fixent attentivement dans l’attente de ma réponse. J’ai rencontré ce gars un jour où il a emmené son cheval à Harper. Pendant que ma copine, qui ne l’était pas à l’époque, s’occupait de la bête afin d’établir son diagnostic, on a sympathisé. Depuis, on est devenu de très bons potes. Je ne dirais pas que c’est mon meilleur ami, mais il n’en est pas loin. Il connaît la plupart de mes secrets, sauf celui qui m’a conduit dans cette ville. Il pense comme les autres que j’ai été attrapé pour un délit mineur, rien à voir avec ce que j’ai réellement fait. Même Harper croit en cette histoire. Seul Nills sait la vérité.

— Et toi ?

— Harper m’a dit que tu t’étais barré, elle n’a pas du tout compris à quoi tu jouais. Elle a juste ajouté qu’elle avait la trouille que tu fasses une connerie.

Elle me connaît tellement mal qu’elle s’imagine toujours le pire. En même temps, je suis une véritable énigme qu’elle n’est pas prête de percer. Le jour où une nana pourra découvrir ce qui se cache derrière mon masque n’est pas près d’arriver. 

— Comment t’as su que tu me trouverais ici ?

Il hausse les épaules.

— J’en savais rien jusqu’à ce que j’aperçoive ta bécane devant le bar. Tu veux m’en parler ? C’est à cause de cette fille qui a débarqué au ranch ? 

Je hausse un sourcil, surpris. Que sait-il sur elle ? Que lui a dit Harper ? 

— Rien à voir avec elle. Juste un coup de chaud, j’avais besoin de me casser loin du ranch.

Comme excuse, j’aurais pu trouver beaucoup mieux. Je vois bien à sa grimace que mon pote n’est pas dupe. D’ailleurs s’il s’installe en face de moi, c’est sûrement pour me tirer les vers du nez et tant que je ne l’aurais pas fait, il ne me lâchera pas. 

— Eh, joli cœur, tu peux m’apporter une bière à moi aussi, s’il te plaît.

C’est bien ce que je disais, il va rester jusqu’à ce que je lui avoue la raison de mon départ précipité. 

Bière à la main, Molly se dirige vers nous dans une démarche chaloupée. Mon pote n’en perd pas une miette. Ces deux-là craquent grave l’un pour l’autre, mais aucun des deux n'ose faire le premier pas. Je tiens peut-être là, le moyen de m’en sortir.

— Qu’est-ce que t’attends pour lui filer un rencard ? attaqué-je alors qu’il la regarde retourner derrière le comptoir.

Ma question à le don de le ramener vers moi. Abasourdi, ses yeux sont grand ouverts et il se gratte la nuque.

— Arrête, mec, tout le monde sait que tu craques grave pour elle et qu’elle en pince pour toi. On se demande juste quand vous allez vous décider à franchir le pas. 

Il déglutit et ses joues se teintent de rouge. Et ce n’est pas mon éclat de rire qui va l’aider à se remettre de ses émotions. Par contre, c’est un excellent moyen pour moi d’apaiser ma tension.

— Tu sais quoi ? Je vais rentrer au ranch et toi, tu vas profiter d’être seul ici pour l’inviter à sortir. Je peux te donner des bons plans sur L.A. où tu pourrais l’emmener si ça te branche.

— T’es sûr que ça va aller toi ? s’inquiète-t-il.

Si on ne me parle plus de Liam, ça devrait le faire. Toutefois, je me retiens de lui dire le fond de mes pensées, il n’a pas besoin de connaître son existence.

— Ouais. De toute façon, faut que j’y aille, avant de me faire tuer par Nills. Il a horreur qu’on ne soit pas à l’heure pour les repas. On se voit dans la semaine et je te rencarde sur les meilleurs trucs à faire avec une nana à L.A. pour l’éblouir.

Un sourire se placarde sur ses lèvres, avant qu’il ne tende son poing pour que je lui fasse un check.

Une fois à l’extérieur, j’enfourche ma bécane, fous mon casque et démarre mon bolide. Je roule à bonne vitesse tant que je suis encore en ville, mais dès que le panneau m’en indique les limites, je me casse le poignet pour la pousser à fond. L’adrénaline coule dans mes veines et un sentiment de liberté me submerge. C’est tout ce qu’il me reste de mon autre vie.

Arrivé au ranch, je ralentis au moment où je bifurque pour entrer sur ce terrain gravillonneux. Tout autour de moi se dressent des champs à perte de vue. L’herbe s’est asséchée sous le coup de la canicule. Je me gare juste devant l’habitation, pose mes pieds au sol et commence à détacher mon casque quand la porte d’entrée s’ouvre sur Harper. Dans son regard, je peux voir combien ma petite escapade ne lui plait guère. Qu’est-ce que je m’en fous ? Si elle croit m’atteindre avec une scène, elle a tout faux. Tout ce qu’elle risque de gagner, c’est de me faire fuir.

— T’étais où ? Tu sais que mon père déteste qu’on se pointe en retard !

— C’est bon, Harper ! J’avais juste besoin d’aller prendre l’air !

Bras croisés sur sa poitrine, elle me flingue de ses yeux noisette. 

— C’est à cause d’elle, c’est ça ?

Elle me désigne la porte d’un signe du menton, comme pour m’aider à mieux savoir de qui elle cause. Même si d’ici je ne peux pas deviner qui se trouve dans la baraque, aucun doute n’est permis, elle me parle de la rouquine.

— N’importe quoi ! me défends-je sans hausser le ton.

— Vraiment ? Tu crois que je n’ai pas vu la façon dont tu la regardais ! Tu la bouffais carrément des yeux !

Tant qu’on y est ! 

— Tu t’entends parler, Harper ? J’ai l’impression de l’avoir sautée alors que j’ai juste regardé avec qui j’allais devoir bosser cet été ! Tout comme je l’aurais fait si ça avait été un mec et pourtant, je ne suis pas gay ! Mais ça, tu ne peux pas le savoir puisque tu me permets à peine de te toucher ! fustigé-je.

Ce n’est qu’aux larmes qui brillent dans ses yeux que je réalise que mes paroles ont largement dépassé ma pensée et que je me suis laissé emporter. Non, mais putain, qu’est-ce qu’il me prend ? Il a fallu que cette fille se pointe dans mon quotidien et me parle de lui pour que mes nerfs reprennent le contrôle de mon corps. Je dois me ressaisir avant de perdre mon seul point d’ancrage dans toute cette merde qu’est devenue ma vie. On ne couche peut-être pas ensemble, elle ne me connaît peut-être pas sur le bout des doigts, mais elle m’apporte un certain apaisement dont j’ai besoin. Sans elle, je ne sais pas ce que je deviendrais, mais il y a de fortes chances que ce ne soit pas beau à voir. J’ai trop de colère, trop de tristesse et trop de haine en moi pour que ce soit le contraire.

— Désolé, Harper, je ne voulais pas dire ça.

— Mais, tu l’as fait, me répond-elle, peinée.

— Ouais, soufflé-je, honteux, une main sur la nuque.

Nous restons à bonne distance l’un de l’autre, tous les deux silencieux, jusqu’à l’arrivée de Nills suivie de bonbon rose. Dès qu’elle l’aperçoit derrière son père, Harper vient se blottir contre moi, comme si notre dispute n’avait jamais vu le jour. Je déteste qu’on me marque comme si j’étais un foutu toutou sur lequel on pose une puce pour ne pas le perdre. Je ne suis pas un putain d’animal, ni même un objet. Le peu de liberté que j’ai, j’y tiens.

— Je suis content de voir que tu es enfin décidé à rentrer, me lance Nills sarcastique.

Heureusement qu’il a pris la parole, sinon je crois que je me serais encore pris la tête avec Harper pour lui faire comprendre que je ne lui appartiens pas et que je ne lui appartiendrai jamais.

— Dès que tu auras avalé un bout, tu prendras la camionnette et accompagneras Savannah jusqu’au chalet.

— Quoi ? répliqué-je en chœur avec Harper.

La rouquine ne se doute pas une seule seconde de ce que cela signifie, mais Harper et moi le savons parfaitement. Le chalet, c’est l’endroit où je crèche. Non seulement je vais me la coltiner durant mes heures de boulot, mais en plus lors de mes moments de repos. Hors de question !

— Pourquoi vous ne la garderiez pas ici ?

— Papa, il a raison. On a une chambre d’amis, autant qu’elle nous serve.

— Jusqu’à preuve du contraire, Savannah n’est ni une de tes amies ni un membre de notre famille. Tu sais autant que moi pour quelles raisons elle va passer l’été avec nous, alors elle doit être logée à la même enseigne qu’Ashton. 

Quoi ? Qu’est-ce que ça signifie ? Elle est venue avec sa mère et sa tante, c’est donc impossible qu’elle soit elle aussi sous le coup d’une décision de justice. Je n’y pige que dalle. 

Afin d’essayer de trouver une réponse à mes questions, je lève les yeux vers la rouquine. Elle ne semble pas très à l’aise avec ce que vient de dire Nills, vu la manière dont elle triture ses doigts. Quand elle sent mon regard interrogateur sur elle, son malaise se marque encore plus. Elle fuit mes yeux scrutateurs et ses joues rougissent.

Qui es-tu jolie rouquine ? Et surtout qu’as-tu fait pour être logée à la même enseigne que moi ? Serait-ce en lien avec mon frangin ? Est-ce que c’est lui ton mec ?

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