L'affrontement

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On s’observa silencieusement durant les premières secondes et le jeune Trygal chargea, brandissant son épée au dessus de sa tête.
D’un grand mouvement circulaire, il l’abattit sur la première protection que j’avais dressée.
Chose étonnante, il n’eut presque aucun mouvement de recul et enchaîna une deuxième attaque que je dus parer cette fois-ci avec le bâton. Il se dégagea et on échangea une série de coups rapides et de parades, faisant crisser nos armes l’une contre l’autre.
Dans cette dance effrénée, nous étions au corps à corps, si près que je sentais presque sa respiration contre mon visage. J’ai donc saisi l’occasion de l’atteindre directement en chargeant ma main gauche d’énergie mais, au moment de toucher son thorax pour lui couper la respiration, j’ai senti une grande force me propulser en arrière, me faisant totalement perdre l’équilibre.
Avec un sourire triomphal, il m’attaqua directement au sol, son épée chargée d’une étrange aura rougeâtre. Je n’avais d’autre choix que de parer de nouveau avec mon arme.
Mais le bâton, seule barrière qui me séparait encore de lui, se brisa à l’impact, volant en éclat. Son coup m’atteignit à la tête et m’arracha le casque dont j’étais équipée. Sonnée, j’entendis dans la confusion des exclamations lointaines, des hoquets de surprise.

— Mais, c’est une elfe ! s’écria une femme avec horreur.

De toute sa hauteur, le jeune Trygal me dévisagea avec ce même dégoût pour ce que j’étais, comme si il s’en voulait d’avoir lutté aussi longtemps contre un elfe, qui plus est, une femme. J’étais à terre, le visage ensanglanté, incapable de me redresser.
J’avais perdu, j’étais complètement à sa merci.
« Repère et absorbe l’énergie qui t’entoure » ce conseil fut l’unique chose qui me vint à l’esprit. C’est là que je perçus cette présence glaciale et son aura, cette vapeur noire, si sombre, qui semblait émaner du sol même de la place forte. L’essence entra en contact avec ma joue plaquée contre les pavés et recouvrit rapidement l’ensemble de la surface de mon visage puis de mon corps tremblant, me baignant d’une étrange sensation d’engourdissement.

Par un procédé et une force que j’étais loin de soupçonner, j’ai dirigé mes bras et paumes de mains vers lui puis je l’ai propulsé le plus loin possible de moi, à l’autre bout de l’arène. Soudainement, une grande douleur me paralysa le bras droit. Reprenant progressivement mes esprits, j’ai finalement invoqué les serpentins régénérateurs afin de cicatriser les saignements sur mes tempes. A ma grande surprise, ils dégagèrent eux aussi une considérable aura, bien différente des lueurs bleues habituelles : une aura d’un rouge pourpre, cette même teinte qui avait scellé, quelques semaines plus tôt, la lettre que j’avais reçue de l’assemblée.

Dans un crépitement suraigu, les deux serpentins se mirent à tournoyer autour de mon bras meurtri qui sembla miraculeusement se recomposer, libéré de toute douleur et de toute entrave. Je sentais l’énergie de la présence prendre possession de tout de mon être, l’invocation ne me soignait pas seulement comme elle était supposée le faire, elle me renforçait. Le pouvoir de cette chose qui me parcourait me paraissait si obscur, si mauvais mais tellement supérieur à celui que j’avais l’habitude d’exploiter que moi et mon organisme n’eûmes d’autre choix que d’accepter l’offre et de l’accueillir à bras ouvert.

En me redressant, mes mains prêtes à libérer la force que je retenais, je me suis avancée vers mon adversaire qui montrait pour la première fois des signes d’inquiétude. Au dernier moment, j’ai clairement eu l’impression qu’il s’apprêtait à lever la main, comme pour indiquer aux examinateurs qu’il avait atteint sa limite, qu’il abandonnait l’affrontement. Mais, animée d’une rage qui n’était pas la mienne, j’ai précipité sans hésitation ni remords l’éclair de mon sortilège contre lui, annihilant l’essence du jeune Trygal qui s’écrasa, face contre terre.

Il était mort. J’avais remporté le combat.
J’étais sur le point d’accéder à l’académie et d’y acquérir les pouvoirs que les professeurs seraient en mesure de m’inculquer. C’est en jetant un regard circulaire à la foule qui m’entourait que je pris conscience qu’un long et sinistre silence s’était installé sur la place dès l’instant où les derniers échos de l’impact s’étaient évanouis. Je sentais progressivement ces centaines de regards me dévisager avec inquiétude, frappés par l’horreur et la violence de ce à quoi ils avaient assisté. Je fus d’autant plus surprise et perturbée de constater à quel point ce sentiment de pleine puissance commençait à me plaire. Ce n’était pourtant pas quelque chose que j’aurai pu concevoir avant de me relever du sol pour abattre mon adversaire.

Les examinateurs qui me faisaient face restèrent tout aussi muets qu’impassibles. Aucun des trois ne leva le drapeau de la Tour des Trois Sœurs. Ils refusaient de reconnaître ma victoire, pourtant indiscutable. Derrière eux, j’aperçu maître Rygon qui se tenait en retrait, le regard vide. Il semblait complètement anéanti par ce qui venait de se passer.

Je n’eus pas la réaction attendue. A vrai dire, je ne ressentais déjà plus rien pour lui. Ni la reconnaissance et le respect que j’avais toujours eus à son égard, ni la moindre compassion que j’aurais dû probablement avoir dans de telles circonstances. Quelque chose avait irrémédiablement changé en moi, j’avais peur. J’avais envie de m’éloigner, de prendre mes distances avec toutes ces personnes qui m’entouraient, cette masse informe d’hommes et de femmes plus faibles les uns que les autres, ce regroupement d’êtres sans la moindre importance.

J’ai fermé les yeux et j’ai senti mon corps trembler de tous ses membres, puis disparaître en plongeant vers l’avant. C’était ma première téléportation. Je me trouvais en dehors de la ville, au sud, sur la presqu’île des ombres, au beau milieu du cimetière que je détestais tant. Le cimetière de la ville qui avait refusé d’accueillir la dépouille de ma mère, quatre ans plus tôt, le soir de mon arrivée à Albar.

Assise sur la pierre tombale d’un inconnu, je ne sais pas combien de temps je suis restée là à attendre finalement que la mort vienne me prendre, attendre que ce mal qui me rongeait de l’intérieur parvienne à me dévorer entièrement, effaçant ainsi toute trace de l’abomination que j’étais devenue. J’avais plus que jamais besoin d’aide et, à la tombée du jour, quelqu’un se présenta, juste à-propos. Je reconnus aussitôt l’homme d’une trentaine d’années qui venait à ma rencontre. C’était Dalin, l’illustre intendant de la citadelle.

— Ce que tu as fais aujourd’hui est remarquable, tu possèdes de grands pouvoirs et le nier serait un tort. Pour ce qui s’est passé pendant ton combat, ne laisse en aucun cas les ténèbres prendre le dessus sur toi.

Je m’attendais à tout sauf à ça. Face à moi, je le vis esquisser un sourire en voyant l’intérêt nouveau que je lui portais.

— Aujourd’hui, ils t’ont tous rejetée et te considèrent comme un monstre. Ils ne réalisent pas que, pour moi et pour certains membres de l’assemblée, tu représentes tout autre chose. Oui, reprit-il avec conviction, tu incarnes un espoir inespéré, une chance de sauver chaque habitant de cette ville et de ce monde d’un danger qui nous dépasse tous.

Je l’ai alors suivi, sans retour en arrière possible, prête à accepter la tâche qui m’incombe depuis maintenant tant d’années.

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