Je m'appelle Robert, et je suis un muffin

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    Et me voilà, posé sur cette étagère pleine de gras et de… de quoi ? Oh ! Abomination ! Je reconnais avec horreur les petits morceaux dispersés autour de moi… Ce sont les restes de mes compagnons pâtisseries ! Des… MIETTES !!!

    Respire, calme-toi, Robert. Tu es un muffin innocent, après tout, il n’y a aucune raison qu’il t’arrive quoi que ce soit ! Aie confiance en le grand Muffin Suprême ! « Qu’est-ce qu’il a à se parler tout seul, le cupcake saveur cucul la praline ? »

    Je me retourne, indigné : « Je suis un muffin à la pistache et au thé matcha, Monsieur, et non un cupcake. Et si je me parle, c’est afin de me rassurer. Voyez vous, j’ai grandi dans un four, baigné de douce chaleur, et de confort, entouré de mes frères et sœurs les muffins, et voilà que je me retrouve dans ce lieu inconnu, bruyant et insalubre, alors permettez que je me fasse du souci, je vous prie ! »

    Je vois alors le dégoulinant éclair me regarder d’un sale œil, avant qu’il me crache de la ganache chocolatée dessus ! Pleurnichant (j’ai toujours été une âme sensible), je m’éloigne prestement de cet énergumène.

    Un peu plus loin sur l’étagère, une odeur étrange et désagréable me parvient. Une odeur qui se rapproche. Un désagréable pressentiment me gagne.

    Il n’y a plus personne de ce côté de l’étal. Ce qui n’est pas très rassurant. Après tout, je me dis, Robert, être toujours en société, est-ce vraiment cela le bien être ? Non ! La solitude peut parfois être agréable ! Mais je n’arrive pas à m’auto-convaincre.

    Cette odeur… tout d’un coup, je la reconnais, et un flash atroce parcourt mon esprit de muffin. Le plus horrible moment de ma courte vie, celui où Henriette, ma petite sœur hurlait de douleur, et où le four s’est ouvert… De longues et puissantes choses étranges l’ont sortie du four… Elle était cramoisie. Je me rappelle les entendre dire « Encore un muffin brûlé ! Trop cuit ! Et hop, poubelle ! ».

    La Poubelle… Personne ne sait exactement de quoi il s’agit. Mais ceux qui y sont allés ne sont jamais revenus. Des rumeurs courent… la Poubelle… Ce mot suffit à me donner des frissons ! Je vais finir par m’enrhumer.

    Ce que je sens à présent… C’est… la crémation pâtissière ! Henriette ! Ma pauvre Henriette… Elle aussi c’était un muffin pistache et thé matcha. Avant qu’elle brûle. Qu’elle ne soit « trop cuite ». Cela non plus, personne n’a réussi à me l’expliquer. On nous apprend, à nous, jeunes muffins, qu’un jour viendra, et nous serons cuits. Ce sera alors l’heure de la Grande Aventure. Les grandes choses effrayantes nous sortiront du four. Et ensuite… Ensuite, personne n’est jamais revenu pour nous raconter. Seul le Muffin Suprême décide de notre sort. Notre Dieu, si bon. J’ai toujours été pieux. Quand je pense que certains osent douter de sa royale existence ! Il y a un instant MA Grande Aventure a commencé. On m’a sorti du four. Je m’imaginais vivre une magnifique épopée ! Tout ça pour atterrir sur une étagère pas très clean.  J’aurais nettement préféré…

    Argh ! Qu’est-ce que ceci ?? Oh non, horreur abominable ! Ne me dites pas que… Henriette ! Devant moi jonchent des résidus de gâteaux brûlés. Couleur charbon, ils dégagent une odeur repoussante. Comment le Muffin Suprême peut-il laisser faire ça ?

    J’essaye d’identifier une quelconque partie de ma sœur cadette, en vain. Je ne devrais pas traîner ici, foi de Robert. Je m’éloigne du charnier, tant cette vision m’est abominable.

    Je finis par trouver un petit coin d’étagère presque propre, parmi les cupcakes. Finalement, il est vrai que je leur ressemble, je passerais inaperçu si j’étais moi aussi vêtu comme un clown rose et bleu. Malgré ce drôle d’accoutrement, ils m’ont l’air plutôt sympathique. Enfin, je n’en suis pas certain, je ne parle pas anglais. Mais en tout cas aucun d’eux ne m’a encore agressé.

    Pourtant, je ne suis toujours pas rassuré. J’ai la persistante et désagréable impression que l’on m’épie. Me retournant de tout côté pour démasquer celui ou ceux qui m’espionnent, je me retrouve face à la Vitrine. Enfin, il me semble que c’est cela, ce que les légendes muffins désignent comme la Vitrine. Je me rappellerai toujours des paroles de mon grand frère, Aristide. « Un mur si haut qu’on n’en voit pas la limite, un mur magique et transparent, infranchissable. Je t’assure, Robert, il vaut mieux qu’il en soit ainsi, car au-delà de la Vitrine, il se passe des évènements plus que louches ! Certains prétendent que c’est encore pire que la Poubelle ! Des créatures immondes et gigantesques règnent. Le monde est sale, bruyant. Un enfer pour les muffins qui y vivraient les pires supplices, à ce qu’on m’a dit… Seuls les élus obtiennent la délivrance du Muffin Suprême. »

    Une description qui fait froid dans le dos ! Tiens, il y a du remue ménage ! Que se passe-t-il, je demande à un cupcake. « They're coming !!! Quick, ugly cupcake, ruuuuuuuun, before it’s too late !! »

    Décidément, je ne comprends pas un mot de cette langue germanique.

    Un grognement lugubre résonne derrière moi, je fais volte face. C’est à ce moment précis que je comprends. L’impression d’être observé. L’effroi dans la voix suraiguë du cupcake. Les légendes terribles autour de la Vitrine.

    Ce sont eux… Les créatures ! Elles sont gigantesques. L’une d’elle colle un prolongement fin, rose et arrondi sur la vitre. En me désignant, moi, Robert, le muffin parfaitement innocent.

    « Je veux celui-là, maman ! Il a l’air délicieux ! piaille la créature d’une voix fluette. » Je vois alors une énorme boule, recouverte de poils sur le dessus se pencher vers la plus petite créature, puis vers moi. Sur le bas de la boule, deux bandes fines et roses s’entrouvrent, et un vacarme assourdissant de mots en sort. « Capucine, ma chérie, on avait dit que l’on prendrait une tarte aux fraises ! »

    Créature Capucine n’a pas l’air ravi. Elle réplique, tandis que je me fais tout petit, en attendant de trouver un endroit où me cacher : «  Mais MOI, je veux CE cupcake, Maman ! »

    Pardon ? Comment ça, elle me « veut » ? Mais je n’appartiens qu’à moi-même, non mais oh ! Et puis c’est reparti ! De nouveau, on me confond avec un vulgaire cupcake ! J’en ai plus qu’assez ! La voix de Créature Maman (quel nom ridicule !) coupe mes pensées : « Voyons, Capucine, sois raisonnable ! De plus, celui là n’a même pas de nappage ! D’habitude tu ne manges que les cupcakes bleus turquoise ! »

    Woh ! Attendez un instant ! Elle a bien dit… MANGE ???! Mais les muffins ne sont pas comestibles ! Monstres !! Elles veulent me dévorer tout cuit !! A l’aide, grand Muffin Suprême ! J’ai seulement le temps d’entendre Créature Capucine hurler « C’est ce gâteau, ou rien ! Puisque tu es une méchante maman, j’arrête de respirer ! », avant de m’évanouir de frayeur.

***

    Quand je me réveille, les sens encore un peu endormis, je n’arrive pas à savoir où je suis. Une chose est sûre : j’ai quitté l’étagère, et je ne suis pas non plus dans mon cher four natal. Mais alors… où ?

    Réfléchis, Robert. Il fait noir. Je suis sur un support lisse, qui s’apparente à du… carton, je crois. Je longe les murs, avant de pouvoir déduire que je suis enfermé dans une chose inconnue et de forme parallélépipédique. Comble du malheur, ma prison obscure se balance dans tous les sens ! J’ai du mal à ne pas me renverser. Je suis brinquebalé. Vers où ?

    Au moment où je sens que je vais régurgiter tout mon lait si délicat, enfin, le mouvement cesse. On m’a posé. D’un coup, le parallélépipède s’ouvre. La lumière m’éblouit. J’ai le temps d’apercevoir que j’étais enfermé dans une boîte en carton fin, avant qu’une pince chaude me saisisse sans ménagements. Je décolle dans les airs. Une voix s’élève, et je frémis d’horreur en la reconnaissant. « Je peux prendre mon goûter maintenant ? J’ai fini mon chocolat chaud ! » Créature Maman répond par l’affirmative.

    Les lignes roses de Créature Capucine s’étirent et je vois une rangée de lames blanches et jaunâtres se dessiner derrière. La pince chaude et rose s’élève encore. Elle me rapproche dangereusement des lames.

    Cette fois, c’est la fin, Robert. On m’a bercé d’illusion toute mon enfance, maintenant je sais comment ça finit. Ils avaient raison sur un point, derrière la Vitrine, c’est l’enfer. Je sais aussi pourquoi on ne retrouve jamais ceux qui ont entamé leur Grande Aventure. Je crois que j’aurais encore préféré la Poubelle, finalement.

    Les lames vont se planter dans ma moelleuse pâte cuite. A l’instant fatidique… Tout s’accélère. Une grande ombre embaumant le chocolat chaud, apparaît, s’approche, et… absorbe Créature Capucine, toute entière.

Quelle douce chaleur… Quelle douce odeur… J’ai rejoint le Muffin Suprême, mon sauveur. Je ne fais plus qu’un avec lui. Ma pâte chaude en osmose avec sa pâte divine.

 

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