Une chemise Desigual

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*** Jérémie ***

Il ne m’a pas vu. Ou du moins pas reconnu. Normal, j’ai dû pas mal changer en six ans. C’est surtout que j’ai voulu changer, ne plus être … le petit mec qu’il a dû voir à l’époque, ma naïveté qui confinait à la bêtise, ma timidité maladive, mon besoin d’attention, puis mon aveuglement … Un oiseau pour le chat, aurait dit maman une fois de plus, si elle avait su.

Personne n’a su.

Se souvient-il seulement de moi ? Probablement pas, no stress.

Pourtant, inconsciemment, j’ai dû ouvrir de grands yeux, d’où la réaction d’Arthur. Oui, sûrement …

- Elle te plaît aussi ? a-t-il demandé, en tenant la chemise à bout de bras.

- Oui, elle … est ok, ai-je murmuré, en remarquant à peine le vêtement blanc avec les petites taches de couleurs Jackson-Pollockesques à hauteur du cœur qui fait maintenant écran entre moi et …

Jérôme.

- Eeeeenfin ! Une chemise Desigual qui te plait, je n’y croyais plus, a-t-il ajouté, triomphant.

Peut-être parce qu’il regrettait que je ne partage pas ses goûts en matière de fringues. Ou plutôt, qu’il désespérait de l’absence des miens, en fait. Vu qu’un tee-shirt et un hoodie, uniformément gris ou noirs, montés sur un slim, c’est un peu ma base vestimentaire. ‘’Je vais te donner des couleurs, Jérémie ! Les cheveux, c’est fait, là j’attaque le torse, dans un mois tu voudras des Converse roses, je vais t’y donner goût, tu verras’’

Il y a du boulot, il n’imagine même pas ! C’est l’oiseau de paradis qui partage son nid avec une souris tout ce qu’il y a de plus banale, et qui se fait un trip bizarre où elle accepterait de se teindre aux couleurs rainbow pour s’accorder à lui. Comme si j’avais envie de m’adapter autant…

Pourquoi changer ? On est bien assez coordonnés comme ça à mon sens. Je veux dire, à la verticale, on rit des mêmes trucs, on a pas mal de références culturelles en commun, il respecte autant mes silences que moi son bavardage incessant, puis à l’horizontale … Faut pas faire un dessin …

Quoi ? Les sentiments ? Ben, j’ai dit, on s’entend bien et le sexe est ok, c’est déjà presque idéal, non ? Puis les sentiments, c’est surfait, de toute manière.

Je n’ai pas toujours été aussi blasé, notez. C’est juste que j’ai relativisé l’importance de l’attachement sentimental depuis …

Jérôme.

Pendant deux mois, il avait occupé ma tête et mon cœur. Mon cœur que j’aurais pu lui donner réellement s’il avait eu besoin d’une transplantation, comme mes reins ou mes poumons. Bien, j’aurais été un peu mort, ensuite.

Sauf que même sans l’ablation de mes organes vitaux, je suis un peu mort depuis. Ou du moins inerte, sans réaction … Sauf quand Arthur me fait l’amour. Il a été mon Dr Frankenstein, le premier à me rendre un peu vivant, après sept mecs trop manches, trop gauches, trop impatients, trop égoïstes … Le premier à m’aimer – sans retour, j’espère qu’il ne le saura jamais – le premier à me faire à nouveau croire à un semblant de vraie vie possible depuis …

Jérôme.

Arthur a retiré sa chemise ridicule de mon champ de vision et examine l’étiquette de prix en pinçant les lèvres en biais … Évidemment, 65 boules pour un bout de tissu, c’est un peu abusé. Je participerai, bien sûr, voir Arthur heureux me rend … enfin … je ne sais pas, il faudrait que je mette un jour les mots sur cette impression.

Le truc, c’est qu’avec son air faussement embarrassé et son regard calé sur l’étiquette de prix de la chemise, ça permet au mien de se poser à nouveau sur lui.

Ai-je dit que les sentiments, c’est surévalué ? Oui, probablement, c’est un peu devenu ma devise. Sa faute, un peu …

L’autre truc évident, c’est que malgré les quinze kilos en plus et la barbe, la meuf qui le colle, le bébé dans le Maxi-Cosy, il est toujours séduisant. Et probablement aussi, toujours, sinon plus, le même sale con ! Je ne crois pas aux secondes chances, les gens ne changent jamais.

Pourtant, si je suis honnête, je n’ai pas toujours pensé ça de Jérôme.

Je l’ai désiré puis j’ai cru l’aimer, il m’a fait parfois sourire et beaucoup pleurer, puis même si la certitude était déjà un peu là, il m’a fait vraiment découvrir qui je suis, et il m’a laissé m’attacher.

Puis m’a jeté.

Et me voilà, six ans et sept mecs plus tard, momentanément casé avec un garçon qui se fringue comme un clown et se demande si c’est une bonne idée de mettre deux jours de salaire de son job d’étudiant sur une chemise. Arthur est futile, mais ça a son petit charme.

- Écoute, je te l’offre.

- T’es sûr, Jérémie ?

- Bah ouais … si je peux te l’enlever ce soir, c’est bon, hein.

- Oh mais faudra pas attendre ce soir, dès qu’on est rentrés, je l’enfile, tu me l’enlèves, puis je t’enfile, toi.

Décidément pas un poète, Arthur, mais ce n’est pas trop ce que j’attends de lui. Ses parents se sont plantés dans le choix de son prénom, il n’est pas un roi, ni même un prince, ils auraient plutôt dû l’appeler Merlin, vu que côté baguette magique, il assure …

Le meilleur sexe que j’aie connu, de loin ! Quand je surface quelques secondes pendant qu’il me possède, je m’entends parfois gémir et l’implorer – pas toujours très élégamment – de me pilonner plus fort, plus loin, plus longtemps, et il s’applique, parce que même si c’est seulement physique, même si ça fait autant gonfler son égo que ma prostate, il sait trop bien le plaisir qu’il me donne.

Puis parce qu’il m’aime, je crois … je crains …

Ce que Jérôme n’avait pourtant jamais provoqué. Alors pourquoi me fait-il encore de l’effet ?

Parce qu’il était mon premier ? Parce qu’il …

Peu importe, tout ça, il a fait sa vie, et moi …

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