65. Allez, viens, je t'emmène

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Joy

J’en ai marre de ce froid. J’ai l’impression que tout mon corps est un glaçon rien qu’en ayant traversé la cour pour rejoindre le bâtiment administratif. Paulette, l’infirmière, m’offre un sourire bienveillant alors que j’enlève mon manteau en grelottant.

— Allez, installe-toi que je regarde ce genou qui t’ennuie.

C’est clair qu’il me gonfle, ce genou. J’ai la trouille que ça empire alors que je n’ai qu’une petite douleur de temps à autre, et je grimace un peu lorsqu’elle me palpe avec douceur.

— Il est un peu gonflé et tu me sembles fatiguée. Je crois qu’il faut que tu tires un peu moins sur la corde, Joy.

J’aimerais bien, mais entre le bar et l’école, j’ai peu de temps pour ça. J’acquiesce docilement et remets mon pantalon en me promettant de remettre la main sur ma genouillère pour assurer le coup. Vivement que Roan ait récupéré son bras, je crois que je vais prendre quelques semaines pour moi. Je ne doute pas qu’il trouve un étudiant dans le besoin qui voudra bien me remplacer.

— Mademoiselle Santorini, venez me voir une minute.

Je jette un œil à la secrétaire cochonne qui ne l’est plus, ici tout du moins, et soupire en approchant du comptoir de l’accueil. Pas très polie, je le concède, alors je me rattrape par un sourire.

— Bonjour. Un problème ?

— Vous avez du courrier, me dit-elle en déposant devant moi une grosse enveloppe.

— Oh… Merci. Bonne journée !

Je récupère l’enveloppe et file à la cafétéria où je retrouve les deuxièmes années. Théo m’a déjà pris un plateau et je le gratifie d’un baiser sonore sur la joue avant d’ouvrir mon courrier sous son regard curieux.

Une semaine à Cuba, à la Havane plus précisément, et je sens déjà le soleil réchauffer ma peau. Voilà des vacances qui me feront grand bien. Ou qui nous feront grand bien, même, puisque je pars avec Alken. Au programme, hôtel de folie en bord de plage, piscine, cours de salsa par un professionnel, et farniente. Oh là là, qu’est-ce que j’ai hâte !

— Ça y est, c’est officiel, tu vas m’abandonner pendant toute une semaine ?

— Oh oui, et sans aucun regret, mon Chou ! ris-je. Une semaine sans avoir à te supporter, le pied !

— Comme si j’étais un mec compliqué à vivre, moi. Tu pars quand ? Bientôt ?

— Dans quinze jours, pendant notre semaine de vacances. Oh comme j’ai hâte ! Je sens que je vais revenir toute bronzée !

— Pff, arrête de te la péter. Si je pouvais, qu’est-ce que j’aimerais partir avec toi, Princesse. Il en a de la chance, le prof, quand même.

— On a bossé dur pour ça, Trésor, tu crois quoi ? C’est surtout Enrico qui doit être dégouté. Je vais peut-être lui proposer la place que j’ai en plus, d’ailleurs.

— Quelle place en plus ? C’est quoi cette histoire ? me demande-t-il, vraiment surpris par ce que je viens de lâcher.

— “Vous trouverez ci-joint les quatre billets d’avion pour vous, votre partenaire ainsi que deux personnes supplémentaires de votre choix” énoncé-je d’une voix digne d’une annonce SNCF. Ça lui ferait plaisir à Enrico, tu crois pas ?

— Oui, je suis sûr que ça lui plairait, me répond-il de manière sèche et visiblement triste en détournant son attention de moi.

— Tu boudes ? lui demandé-je en me retenant de rire. Quelque chose ne va pas ?

— J’en reviens pas que tu préfères emmener ton prof de salsa plutôt que ton meilleur ami, c’est tout. Tu abuses, si tu veux que je sois franc avec toi.

J’éclate de rire et glisse mes bras autour de son cou pour l’embrasser sur la joue alors que je sens qu’il se tend contre moi.

— J’attendais de voir combien de temps il te faudrait pour me supplier de t’emmener avec moi. Franchement, j’ai une tête à préférer des vacances entourée de profs plutôt qu’avec mon meilleur ami ?

— Vraiment ? Tu me faisais marcher ? Oh Joy !!! Je suis trop content ! Putain, je suis trop con. Et moi, je tombe dans le panneau. Mais là, tu ne rigoles plus, si ? Tu m’emmènes vraiment à Cuba ?

— J’espère que tu as ton passeport, parce que j’emmène ton joli petit cul se déhancher à Cuba, Théo, souris-je en tendant la joue et en tapotant dessus avec mon index. Ça vaut au moins un bisou.

Il rit et s’empare de mon visage entre ses doigts avant de me rouler une pelle qui me rappelle notre expérimentation, sous le regard amusé de ses camarades de classe.

— Ça te va comme remerciement ? rit-il en faisant semblant de s’essuyer outrageusement la bouche.

— Merde, si j’avais su, j’aurais demandé la pelle pour avoir droit à un orgasme, souris-je. Je reviens, je vais essayer de trouver Alken pour lui donner ses places. Ne mange pas mon plateau, je te préviens !

— Je vais à Cuba ! Je vais à Cuba ! chantonne mon colocataire qui s’amuse à narguer les autres.

Je ris en quittant la cafétéria pour monter au premier étage du bâtiment administratif. Je suis contente de pouvoir partager ce voyage avec Théo, et j’imagine qu’Alken va proposer à Kenzo de nous accompagner. Le trio de choc qui ravit mon cœur. Amicalement pour deux et… plus profondément pour le dernier.

Je tremble d’excitation en frappant à la porte de son bureau, espérant que notre professeur y soit. Lorsque j’entends sa voix grave m’autoriser à entrer, j’ai un sourire jusqu’aux oreilles en poussant la porte. Même si c’est un peu compliqué en ce moment, même si je sens bien que notre conversation au beau milieu du TGV a changé quelque chose entre nous, et pas forcément en bien.

Alken est là, installé à son bureau, en train de déjeuner en solitaire. Du jazz sort des enceintes de son ordinateur et l’ambiance chaleureuse de cette pièce m’apaise un peu et calme mon excitation. A moitié.

— Excuse-moi de te déranger, souris-je en venant sur le rebord du bureau, près de lui. J’ai reçu les documents pour Cuba.

— Ah ! C’est bien ! Un peu de soleil nous fera du bien, je pense.

— Oui ! Et tu connais la meilleure ? On part à quatre ! Il y a quatre billets d’avion, tu te rends compte ? Tu vas proposer à Kenzo, j’imagine ? En tous cas, j’ai demandé à Théo s’il voulait venir. Enfin, ris-je, toute excitée, je l’ai fait mariner un peu et il avait envie de venir.

— Oh, c’est une surprise, ça ! Oui, je vais sûrement demander à mon fils. Dommage qu’on ne parte pas que tous les deux, ça aurait été plus simple pour… Enfin, pour ce que tu sais. Mais bon, vu le contexte, c’est peut-être mieux ainsi.

— C’est vrai que ça aurait été moins galère, soupiré-je en allant m’asseoir sur ses genoux pour l’embrasser doucement. Mais on va bien réussir à les semer de temps en temps.

— Les semer ? répond-il, un peu perdu à la vue de mon décolleté que j’ouvre un peu plus sous ses yeux grand ouverts.

— Oui, je suis sûre qu’on réussira à se trouver des moments rien que pour nous, continué-je en glissant mes mains sous son tee-shirt pour caresser sa peau.

— Arrête, Joy, pas ici. On pourrait nous surprendre. Tu n’as même pas fermé la porte à clé. Tu imagines le scandale si on nous trouve comme ça ? s’emporte-t-il en repoussant mes mains alors que je sens son érection dans son jean.

— Oh, ça va, souris-je en l’embrassant dans le cou tout en déboutonnant son pantalon. Les gens frappent avant d’entrer. On part à Cuba, Alken, je suis trop excitée et j’ai envie de fêter ça avec toi.

— Oui mais alors, pas ici, Joy. Sinon, c’est pas à Cuba que je vais aller mais à Pôle Emploi. Reste un peu tranquille, je te dis qu’il y a vraiment des risques, ici. Elise surveille tout en plus.

Je soupire et me lève, vexée, pour récupérer les billets d’avion dans l’enveloppe.

— Voilà tes billets. Ah, et le programme, dis-je aussi naturellement que possible en lui tendant le tout. Au moins, Théo m’a emballée en apprenant qu’il partait, j’apprécie l’enthousiasme de certains.

— Il t’a quoi ? s’emporte Alken, visiblement jaloux. C’est pas que je n’ai pas envie, Joy, mais c’est vraiment compliqué en ce moment. J’ai l’impression qu’Elise a mis des caméras partout et surveille nos allées et venues. On se rattrapera à Cuba, ne t’inquiète pas.

— Ouais, où tu veux et quand tu veux, j’ai compris, marmonné-je, piquée qu’il me repousse de la sorte. On se voit demain en cours alors. Bon après-midi, Alken.

— C’est compliqué, en ce moment, me dit-il simplement sans faire le moindre geste pour me retenir, ce qui me vexe encore plus.

Je soupire et m’apprête à l’envoyer chier, mais je me ravise et sors de son bureau. Bon sang, est-ce que c’est vraiment compliqué ici ? Ou est-ce qu’il me fait payer notre conversation sur le retour de Bruxelles ? Il s’attendait sans doute à ce que je réponde à sa déclaration, et moi, comme une conne, j’ai laissé passer ma chance. J’ai trop tergiversé dans ma tête, incapable de me lancer, et j’en paie les conséquences, je crois.

C’est beaucoup moins joyeuse que je retrouve Théo à la cafétéria. Je tente de masquer ma mauvaise humeur naissante et essaie de me projeter à Cuba. S’il nous faut un océan et des heures de décalage pour pouvoir nous enlacer, nous embrasser et faire l’amour, je vais être la nana la plus frustrée de la planète Terre, c’est sûr !

Si Théo remarque mon changement de comportement, il n’en dit rien et son sourire et sa bonne humeur hyper expressive finissent par me faire un peu oublier le comportement de mon petit ami. Oui, petit ami, prof, partenaire de danse, il commence à avoir beaucoup de casquettes, l’Irlandais qui fait battre mon cœur plus vite et plus fort. Emmerdeur aussi, au passage.

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