62. Papy conseil

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Alken

Alors là, je ne comprends plus rien. Joy vient de me faire une scène et je n’ai aucune idée d’où ça vient ni pourquoi c’est arrivé. J’ai bien vu qu’elle était en train de ressasser des idées dans sa tête, mais de là à remettre en question toute notre relation, j’avoue que cela m’a complètement déboussolé. Et maintenant, je ne sais pas si elle veut du sexe ou pas de sexe, si elle souhaite des enfants ou pas du tout, et encore plus important, si elle veut continuer ou pas notre relation. Moi qui croyais que notre petite virée à Bruxelles allait lui faire comprendre que je veux vivre quelque chose de différent avec elle… Ça m'a l’air raté.

Le weekend à Bruxelles s’est pourtant bien passé. On a vécu plein de bons moments, beaucoup de rires, de sourires, de confidences. J’ai l’impression que je me suis livré plus que je ne le fais quand nous sommes à Lille. Et pourtant, ça n’a pas l’air de lui suffire. On a aussi pas mal fait l’amour. Et c’est toujours aussi intense. C’est bien, ça, non ? Ou alors, je me trompe ? Elle ne le fait que parce qu’elle est sous mon influence et je suis un gros pervers qui abuse de son élève ? Mais quand même, une femme qui gémit comme ça, c’est quand même plutôt bien, non ?

Je la regarde avec ses écouteurs sur les oreilles, le regard tourné vers la campagne belge qui défile à grande vitesse. Elle me tourne un peu le dos et quand j’essaie de passer mon bras autour de ses épaules pour me rapprocher un peu d’elle, elle me repousse vivement. A priori, je la dérange. Je ferais sûrement mieux de la laisser tranquille et de ne pas la déranger plus que ça.

Je ne peux retenir un soupir et me renfonce dans mon siège. Je sors mon téléphone et cherche dans mes contacts qui je pourrais bien appeler pour avoir des conseils. A part mon ex-femme, je ne vois personne qui me connaît assez pour me dire un truc intelligent. Et je ne vais pas appeler Elizabeth au sujet de celle qui l’a remplacée dans mon lit et dans mes bras. Dans mon cœur aussi, si je veux être honnête avec moi-même. De rage, je referme la protection de mon téléphone et reporte à nouveau mon attention sur Joy qui n’a pas bougé à mes côtés.

Je lève la main pour lui caresser les cheveux mais renonce quand elle se cale un peu plus loin encore de moi. On voit qu’elle est danseuse et très agile car il faut être très fort pour créer une telle distance dans un wagon de seconde classe d’un TGV. Je le savais déjà, mais là, j’en ai une preuve supplémentaire. Je suis ainsi complètement perdu dans mes pensées, en train de réfléchir au meilleur moyen de briser cette glace qui s’est installée entre nous ; j’en suis même à essayer de me souvenir comment se termine Frozen, afin de la faire fondre, mais rien ne me vient.

— Excusez-moi, jeune homme, m’interpelle doucement un vieux monsieur assis sur la rangée à ma droite. Je n’aurais pas dû écouter votre discussion, mais je crois que vous avez un peu chiffonné la jeune demoiselle à vos côtés. Si l’avis d’un petit vieux comme moi vous intéresse, je peux vous le donner, mais je ne voudrais pas vous importuner.

Je regarde la jolie brune à mes côtés mais, perdue dans ses pensées et avec ses écouteurs sur les oreilles, elle ne s’est même pas rendu compte que notre voisin me parlait. J’hésite un instant et je me dis que je n’ai rien à perdre à l’écouter, de toute façon.

— Vous pensez que vous pouvez m’expliquer son attitude ? demandé-je, dubitatif.

— Oh vous savez, moi, j’ai juste ma petite expérience à vous partager. Je ne connais pas votre amie, mais avec ce que j’ai entendu, je peux imaginer ce qu’elle pense. Moi aussi, j’ai été en couple avec une jolie petite jeune. Je sais ce que c’est de toujours avoir peur de perdre sa moitié pour un petit jeune plus con mais avec plus de fougue.

— N’importe quoi, Grand-Père. Je ne manque pas de fougue, vous pouvez me faire confiance là-dessus ! Mais vous avez raison sur un point, je n’ai rien compris à sa colère. Vous croyez que c’est une question de génération ?

— De génération ou de genre, allez savoir, sourit-il. Depuis combien de temps êtes-vous ensemble ?

— Ça veut dire quoi, être ensemble ? demandé-je en y réfléchissant un peu. C’est difficile à dire, en réalité. Quelques semaines, je dirais ? Mais j’ai l’impression que c’est depuis toujours.

— Vous en avez discuté ensemble ? Vous savez, ma petite Céline, elle avait besoin qu’on la rassure. En fait, pendant quelque temps, elle s’est imaginée être ma crise de la quarantaine, vous voyez le truc ? Franchement, les femmes ont de ces idées !

— Quand j’essaie de parler, elle ne me comprend pas, dis-je en jetant un coup d'œil à ma voisine, toujours absorbée dans ses pensées.

Je réfléchis un peu à ce qu’il vient de me dire. Est-ce qu’elle croit vraiment qu’elle n’est qu’une folie passagère et qu’après, je vais me ranger sans plus me préoccuper d’elle ? Ce serait en complète contradiction avec tout ce que je lui dis et vis avec elle, non ?

— Je crois que vous ne la comprenez pas plus, mon cher. C’était un sacré dialogue de sourds, si je peux me permettre. Et puis, entre nous, lui proposer le bébé si elle en a envie et pour la garder, vous êtes tombé sur la tête ou quoi ?

— Je n’ai pas réfléchi, moi, bougonné-je, un peu agacé de me voir réprimandé par ce petit vieux. Je fais quoi là, d’après vous, Monsieur je sais de quoi je parle ?

— Je ne voulais pas vous vexer, excusez-moi, soupire-t-il en jetant un œil à Joy derrière moi. Entre nous, je serais vous, je ramperais comme un serpent. Elle est vraiment jolie et semble attachée à vous. Peut-être que vous devriez lui dire à quel point c’est réciproque, tout simplement.

— Oui, je vais faire ça. Je ne peux la laisser s’éloigner ainsi de moi alors que c’est peut-être la femme de ma vie. C’est fou comme on devient bête quand on est amoureux, non ?

— Il semblerait, oui. J’espère que vous avez bien réfléchi à tout ça, quand même. Vous savez, la différence d’âge finira par se ressentir. Qu’il s’agisse de cette histoire de bébé ou d’autre chose, d’ailleurs. Une génération d’écart, ce n’est pas rien et, croyez-moi, quand vous aurez envie de vous poser tranquillement chez vous le soir et qu’elle voudra sortir, soit vous vous chamaillerez pour les reproches, soit vous mouronnerez votre peur qu’elle aille voir ailleurs. Ce n’est pas qu’une partie de plaisir.

J’allais râler pour lui dire que la différence d’âge n’est pas si importante que ça quand je sens Joy qui bouge un peu contre moi. Je me tourne vers elle et ses magnifiques yeux de la couleur de l’océan me regardent, toujours plein de ressentiment à mon égard.

— Joy, lui dis-je en lui enlevant un de ses écouteurs. Tu es toujours en colère contre moi ? Je suis désolé si je t’ai fâchée, mais ce n’était pas mon intention, tu sais. On peut en discuter un peu ?

— Je ne suis pas fâchée, soupire-t-elle. De quoi tu veux parler ?

— J’ai l’impression que l’on ne s’est pas compris, ma Chérie. Enfin, non, pour être honnête, j’ai l’impression que je ne t’ai pas comprise. Tu n’es pas contente d’avoir pu passer ces deux jours avec moi ?

— Bien sûr que si, Alken, ne dis pas de bêtises. Tu as raison sur l’autre point, en revanche, ou tu n’as pas voulu comprendre, je ne sais pas. Je t’ai dit que j’étais perdue, que je ne savais pas ce que tu attends de notre relation, que le fait qu’on se retrouve simplement pour partager des moments intimes me posait question… Je crois qu’aussi agréable que soit le sexe, j’ai besoin d’autre chose. Non, j’en suis même sûre, en fait, et toi tout ce qui t’inquiète c’est que je te rassure sur le côté agréable de la chose. On n’est peut-être pas sur la même longueur d'onde, en fait.

Je suis un peu abasourdi par ce qu’elle me dit. Je capte du coin de l'œil le regard du Papy qui m’encourage visiblement à parler et à ramper si je veux comprendre le geste qu’il fait de sa main. Mais je n’ai pas envie de ramper, moi, ce n’est pas moi. Je veux m’expliquer et il faut qu’elle comprenne que même s’il n’y avait plus de sexe entre nous, je ne voudrais pas arrêter notre relation.

— Mais pourquoi tu dis ça ? Ce weekend à Bruxelles, le but, c’était de passer du temps ensemble en dehors du sexe, non ? Tu sais bien que j’ai envie de passer plein d’autres moments avec toi et que c’est la situation qui fait que ce n’est pas possible, non ? Rassure-moi, je n’ai pas été si maladroit que tu penses que tu n’es qu’une sexfriend pour moi ?

— Non, je n’en sais rien, Alken, puisqu’à chaque fois qu’on se voit, on baise comme des lapins, murmure-t-elle. Et c’est génial, hein, n’en doute pas, mais même ce weekend, en fait. Une fois qu’on a atterri à l’hôtel, on ne l’a plus quitté. On baise, on dort, on galère à se voir et on galère à ne pas se faire griller. C’est tout ce qu’est notre relation ou presque. J’ai l’impression que la seule chose que nous partageons, en dehors du sexe, c’est la danse, en fait. Et… J’ai peur qu’en dehors du sexe, tu ne me trouves rien d’attrayant et que tu te lasses vite de moi, ou qu’on ne partage que ça parce que justement, notre différence d’âge fait qu’il n’y a que ça qui nous réunit.

— Mais comment peux-tu dire ça ? Je m’en fous du sexe, Joy. Enfin, j’aime bien, comme tu as pu le voir, mais ce n’est pas ça qui compte. Avec toi, j’ai envie de plein de choses. De découvrir le monde, de danser, de parler. Si tu savais combien de fois je pense aux rares matins que l’on a pu passer ensemble ! Et pour l’âge, si l’un de nous devrait être inquiet, ce serait moi, non ? Toi, tu es belle, jeune, pleine de vie, et tu pourrais jeter ton dévolu sur n’importe quel mec et il te tomberait dans les bras. Si tu savais comme je me dis que j’ai de la chance ! Joy, je n’ai jamais eu aucune connexion comme celle que j’ai avec toi. Avec aucune autre femme. Tu me crois quand je te dis ça ?

— Je… Je n’en sais rien, Alken, je te l’ai dit, je suis paumée. Tu me plais beaucoup, et je ne parle même pas du physique. Smith était un personnage, tu n’as rien ou presque à voir avec lui, et il m’attirait déjà. Et tu peux parler, tu as juste à claquer des doigts que toutes les nanas te tombent aux pieds, soupire-t-elle. Comment est-ce que, moi, je peux espérer te garder auprès de moi ?

— Mais c’est facile, Joy. Les autres femmes n’existent même pas à mes yeux. Je ne suis pas un coureur de jupons, tu sais ? Mais avec toi, c’est différent. Avant de te croiser par hasard, jamais je n’avais fréquenté de bar ! Et tu serais allée t’installer à une caisse de supermarché, je crois bien que Smith aurait pris sa carte de fidélité du magasin. Pourquoi tu crois que j’étais si mal à l’aise de te draguer ? C’est juste que je savais qu’il ne fallait pas que je te laisse filer. Dans ma vie, Joy, il n’y a que trois femmes qui ont partagé mon lit. Et tu les connais toutes.

— Très bien, dit-elle doucement en me dévisageant. Donc, nous sommes un couple ? Un couple qui se cache et va devoir se cacher pendant encore au moins un an et demi. Tu te vois tenir autant de temps dans ces conditions ? Parce que moi, non. Je sais que… Enfin, je sais que c’est compliqué, surtout ces dernières semaines avec le bar. Je suis désolée de ne pas être assez disponible.

— Bien sûr qu’on est un couple, Joy. Tu sais, je réalise que je ne te l’ai jamais dit, mais je t’aime, moi. Je ne sais pas ce que tu ressens pour moi, mais je crois que j’ai eu un coup de foudre et que j’ai juste un peu de mal à m’en remettre. Il faut qu’on tienne, ma Chérie. Si tu veux, quand on rentre, je parle à Kenzo. Et s’il n’est pas content, il n’aura qu’à aller vivre chez sa mère. J’ai quand même le droit d’être heureux ! Et toi aussi, non ?

Je la regarde qui me dévisage en ouvrant grand les yeux, comme si j’avais dit une belle ânerie. Le Papy à côté de moi applaudit discrètement, l'œil rieur. Au moins, lui, il en a pour son argent avec ce voyage. Mais Joy reste la bouche ouverte à me regarder et je commence à douter de ce que je viens de dire. Mince, j’aurais sûrement mieux fait de ne pas dire ce que j’avais dans la tête car là, c’est sûr, notre relation va se terminer à la descente du train. Je reconnais les paysages et on est proche de la gare Lille Europe. C’est la fin du voyage. La fin d’une aventure. Le retour à la réalité va être dur.

— Désolé, Joy, je ne voulais pas te faire peur, commencé-je à dire.

— Non, je… Ne t’excuse pas. On peut dire que quand tu y vas, tu ne fais pas les choses à moitié, me dit-elle avant de sourire. Je ne veux pas que notre relation cause des problèmes entre Kenzo et toi, ni le mette dans une situation compliquée, ce qui risque clairement d’être le cas tant que nous serons tous les deux à l’école… Tu ne crois pas ?

— Je n’ai pas envie de faire les choses à moitié, Bébé, je veux vivre tout ce qu’il y a à vivre avec toi. Je veux que tu sois heureuse. Et Kenzo est grand, il peut comprendre, non ? Enfin, je ne vais rien faire sans te demander, je ne veux pas que toi, tu sois en difficulté.

— Il faut vraiment qu’on pèse le pour et le contre, qu’on évalue les risques. S’il en parle à ton ex, c’est la fin de parcours pour nous deux à l’ESD, soupire Joy en posant sa tête contre mon épaule.

Je passe mon bras au-dessus de son épaule et suis ravi de constater qu’elle ne me repousse pas. Je vois d’ailleurs Papy le pouce en l’air dans ma direction. Je lève les yeux au ciel et essaie un peu de l’oublier. J’ai au moins réussi à ce que la dispute ne s’envenime pas et que la glace se brise, sans avoir recours à Olaf ou à la Reine des Neiges. C’est déjà un bon point. Mais j’ai encore du chemin car non seulement elle ne veut pas en parler aux autres, de notre relation, mais elle n’a pas répondu à ma déclaration. Est-ce que c’est grave ? Pas vraiment, je crois. L’important, c’est que nous soyons ensemble. Le reste, on verra quand j’aurai l’âge du Papy si ce sera réussi ou pas. Et au fond de moi, je n’ai pas de doute. Joy est la femme que j’ai attendue toutes ces années. Il ne me reste plus qu’à la convaincre que c’est vrai et surtout que c’est réciproque !

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