54. Surprise nocturne

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Alken

Je sifflote en enfilant ma chemise rouge. J’ai en effet décidé de me mettre dans le même thème que Joy et je porte un pantalon noir, avec un liseré argenté à paillettes le long de la couture. Je rajoute un nœud papillon qui me donne juste l’air un peu décalé que je recherche parfois. Ce soir, je vais passer le réveillon avec deux couples britanniques qui ont pris pitié de moi. Je ne les connais pas plus que ça, mais notre origine commune nous a rapprochés lors d’une soirée cocktail à la Mairie. Quand ils ont appris que j’allais être seul pour le Nouvel An, ils m’ont invité et promis que je ne regretterais pas le steak and Kidney Pie qu’ils vont nous proposer.

Lorsque j’arrive dans leur maison à Croix, je suis tout de suite impressionné par le domaine dans lequel ils ont fait construire leur maison. J’ai l’impression de débarquer dans une demeure de la famille royale et m’attends presque à voir surgir un des princes avec son épouse et ses enfants, mais je suis juste accueilli par Charlene, la maîtresse de maison. La cinquantaine, des cheveux d’un blond platine peu naturel, elle présente une plastique parfaite bien mise en valeur par une longue robe échancrée sur une poitrine toute aussi artificielle que le reste de son personnage.

— Bonsoir, Alken. Ravie que vous ayez pu venir, Dear. Les autres sont déjà là, j’ai bien cru que vous n’alliez jamais arriver.

Je me retiens de lever les yeux au ciel et me souviens pourquoi je ne fréquente pas plus mes compatriotes. Elle nous a donné rendez-vous à dix-neuf heures, et, en bon Lillois bien intégré, je suis arrivé avec juste une petite demi-heure de retard. Ce n’est pas comme si on allait se coucher tôt, en plus. Bref, elle tortille du popotin devant moi pour me mener jusqu’à l’immense salon où son mari est en train de servir un peu de champagne à l’autre couple présent. James me salue avec un sourire et je me demande une nouvelle fois ce qu’il fait avec Charlene. Il est si doux et si charmant. Je m’installe alors que l’autre couple présent trinque ensemble. J’ai vraiment l’impression d’être la cinquième roue du carrosse.

— Alken, tu connais Rupert et Karen, je pense. Rupert est mon collègue à la Business School où j’enseigne. Et Karen est dans le commerce international.

Dans le genre “trophy wife”, Karen peut rivaliser avec Charlene. Elle a l’air d’être de ma génération, rousse et avec des formes qui semblent tout droit sorties d’un film érotique. Quand je m’assois à ses côtés, elle se penche vers moi en posant sa main sur ma cuisse, ce qui provoque un regard jaloux de son mari.

— Merci pour votre invitation, déclaré-je en m’écartant un peu. Je suis content de ne pas passer le réveillon seul chez moi.

— Alken s’est séparé de sa femme, indique Charlène aux autres sur le ton de la confidence. Pour éviter qu’il ne noie son chagrin dans l’alcool, James a eu l’idée de l’inviter parmi nous. Quel grand cœur il a, mon petit Jamie, non ?

Oh la la. La soirée va être longue, je pense. Je regarde mon téléphone mais Joy n’a pas encore vu les photos que je lui ai envoyées de ma tenue du soir. Je tape vite fait un petit message pendant que les autres discutent de la dernière lubie du Premier Ministre britannique qui s’est acheté une voiture française. Quel scandale !

— Joy, j’espère que tu t’amuses plus que moi. Bisous.

Nous passons rapidement à table et je vois qu’il n’est même pas vingt heures. C’est un réveillon qui va se terminer tôt, à ce rythme-là. Je me retrouve entre Charlene et Karen qui sont toutes les deux aux petits soins avec moi.

— Ce n’est pas trop dur pour vous, Alken ? Vous vivez bien la séparation ?

— Oh vous savez, ce n’est pas si terrible que ça, quand on ne s’aime plus, il vaut mieux arrêter, vous ne croyez pas ?

— Oh le pauvre chou. Il ne veut pas avouer que c’est compliqué. Karen, il n’est pas mignon à vouloir nous cacher comment il souffre ?

— Oh oui, Darling, c’est ça, la déprime. Vous voulez encore un peu de vin, Alken ? Pour oublier tout ça ?

— Non mais je vous assure, tout va bien, déclaré-je en acceptant quand même que mon verre soit à nouveau rempli.

Mon téléphone vibre à ce moment-là et je m’en saisis pour voir le message de Joy qui vient d’arriver.

Quelle classe ! Tu es superbe. Et, pour être honnête… Cette chemise appelle à être ouverte ! Oups ! Ta soirée est si ennuyeuse que ça ?

Tout de suite, je lui envoie ma réponse.

Si tu viens me sauver, je t’ouvre ma chemise… Et le reste ! Les autres invités pensent que je vais me suicider bientôt tellement je suis triste alors que je ne pense qu’à toi ! S’ils savaient…

Je joins à mon message un petit selfie où je souris et me dis que je vais aller faire un petit tour aux toilettes afin de prendre des clichés plus osés. Je reporte mon attention sur la conversation qui tourne autour de tous les couples divorcés qu’ils connaissent. Quelle chance !

— Et sinon, vous allez écouter le concert du Nouvel An, demain ? demandé-je dans l’espoir de changer la conversation.

— Oh, Dear… C’est vrai que nous devrions parler d’autre chose, ça doit vous remuer encore, tout ça. Votre divorce est récent ?

— Il n’est pas encore prononcé, en fait. C’est en cours. J’espère recevoir les papiers rapidement pour tourner la page.

— Les hommes ont toujours du mal à tourner la page, vous savez ? Je ne sais plus où j’ai lu ça, mon cher, mais ils cherchent à remplacer leur ex-femme et se rendent finalement compte de ce qu’ils ont perdu. Mon pauvre, ce n’est que le début du calvaire pour vous.

— Moi, je vis ça bien, je vous assure, leur indiqué-je en me resservant en vin. Vous en voulez ?

Elles acceptent toutes les deux avec un petit sourire alors que je reçois un nouveau message de ma jeune danseuse préférée. La première chose que je vois, c’est une photo de son décolleté vertigineux bien mis en valeur par sa robe rouge.

— Je suis ravie de lire que tu ne penses qu’à moi, d’autant plus que j’ai beau m’amuser, je ne peux m’empêcher de me dire que la soirée serait encore meilleure si tu étais sur la piste de danse avec moi. Et puis, j’ai envie que tu sois le premier homme de la nouvelle année à m’embrasser.

Je soupire car moi aussi je meurs d’envie de faire ça, mais vu qu’elle est avec tous les élèves de l’ESD, aucune chance que je sois le premier à l’embrasser, cette année. Karen interprète ce soupir comme un signe supplémentaire de mon mal-être.

— Oh Alken, il va falloir qu’on vous trouve une nouvelle compagne. Vous verrez, cette nouvelle année qui arrive vous apportera plein de nouveaux bonheurs !

A ce moment-là, je ne sais pas ce qu’il me prend mais sa remarque m’énerve et je ne peux m’empêcher de répliquer.

— Ne vous inquiétez donc pas pour moi. J’ai déjà fait le deuil de ma relation avec Elizabeth et je me suis trouvé une nouvelle petite amie. Elle est belle, jeune, séduisante, et surtout, elle baise comme une déesse ! D’ailleurs, je pense que je vais aller la rejoindre, c’est avec elle que je devrais être, pas ici à boire du vin trop chaud pour être bon et à manger du steak trop cuit pour être mangeable. Merci pour l’invitation, mais je vais vous laisser.

Sous leurs yeux ébahis, je me lève et me dirige vers l’entrée où je récupère mon manteau. Il est vingt-trois heures trente seulement, mais j’en ai assez de leur fausse sollicitude. Je monte dans ma voiture et envoie un nouveau message à Joy.

— Tu vois, j’ai fait tomber le nœud pap. Tu viens ouvrir le reste de la chemise ?

J’essaie de faire une photo sexy de mon torse que je joins au message que je lui transmets. Je démarre et me dirige vers mon domicile. Mais sur la route, je passe à côté de la salle louée par les jeunes de l’ESD. Une idée traverse mon esprit et je me gare alors que mon téléphone me signale un nouveau message.

— Arrête de me tenter ! Il n’y a pas que la chemise que j’ai envie d’ouvrir, en plus… Est-ce que je t’ai dit que, pour un vieux, t’es vraiment canon ?

— Le Vieux a une surprise pour toi. Mais ce ne sera pas une photo, cette fois. Je l’ai déposée devant la salle. A toi de la trouver.

Je souris et reste dissimulé dans ma voiture au cas où un autre étudiant sortirait. Je ne veux pas me faire surprendre non plus.

— Devant la salle ? C’est quoi cette blague ? Tu plaisantes ? Parce qu’il caille et que ma robe ne couvre pas grand-chose, tu sais ?

— Elle va te réchauffer, ne t’inquiète pas. Fais vite avant qu’elle ne disparaisse !

Il est presque minuit et j’espère qu’elle va réussir à s’échapper alors que tout le monde doit se préparer pour le décompte du passage à la nouvelle année. Lorsque je vois son petit minois apparaître à la porte, je l’observe un instant. Elle est encore plus belle que sur ses photos. Elle croise les bras pour se protéger un peu du froid et sort. Je constate qu’elle est seule et la laisse avancer un peu vers moi sans qu’elle ne m’aperçoive. Je sors alors de ma voiture et lui lance :

— Bonne année, Joy ! Surprise !

— Mais qu’est-ce que tu fais là ? rit-elle en se retournant pour vérifier qu’il n’y a personne avant de venir se presser contre moi.

— Je ne voulais pas te laisser commencer cette nouvelle année sans t’embrasser, ma Chérie. Tu me rends fou et quoi de mieux qu’une folie pour la célébrer ?

Elle se niche alors contre moi et ses lèvres viennent se poser sur les miennes alors qu’on entend les jeunes crier les chiffres du décompte. Cinq… Quatre… Trois… Deux… Un…

— Happy New Year, Joy ! lui murmuré-je à l’oreille avant de l’embrasser avec toute la passion que j’éprouve pour elle.

Un feu d’artifice éclate au-dessus de nous et je sais au fond de moi que cette nouvelle année sera la nôtre. Qu’est-ce qui pourrait nous séparer alors que nous sommes faits l’un pour l’autre ?

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