53. Gai défilé

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Joy

C’est avec un réel plaisir que j’ai retrouvé Lille après quelques jours à Paris. Ma mère a été, comme souvent, particulièrement chiante, il faut se le dire. Elle m’a emmenée voir un Ballet, Joyeux Noël Joy, et nous avons eu droit à une session vidéo de mes exploits de classique, de mon plus jeune âge à l’adolescence. Heureusement, j’ai aussi passé une journée en tête à tête avec mon frangin, et nous avons vadrouillé dans Paris comme des ados en quartier libre.

Depuis mon retour de Paris, j’enchaîne les heures au Nouveau Départ. Roan est toujours à moitié disponible, son bras en écharpe ne lui permettant pas de faire tout ce à quoi il s’adonne d’ordinaire pour faire tourner le bar. Alors je suis, concrètement, présente du matin au soir. Je l’aide à décharger les commandes, je m’occupe du ménage, fais le service et le laisse derrière le bar, un peu plus au calme. Cela me permet de rester active, mais je n’ai pas vraiment le temps d’aller à la salle de danse que nous avons l’habitude de réserver avec Théo durant les vacances pour nous entraîner. Du coup, nous profitons parfois du parquet de mon lieu de travail, avant l’ouverture, pour effectuer quelques pas de danse rapides. Je sens que je ne vais pas revenir au meilleur de ma forme en cours, n’ayant pas beaucoup de temps pour me maintenir en condition physique idéale, même si je ne suis clairement pas inactive.

Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir Alken depuis son passage à Paris. Elizabeth est partie avec Enrico je ne sais où, Kenzo traîne donc chez son père quotidiennement. Je garde cependant un merveilleux souvenir de notre nuit à Paris, sans aucune interruption si ce n’est celle de la vie réelle à retrouver, après une nuit des plus agréables. Un pur délice. Je crois que je ne suis pas près de me remettre de nos étreintes qui me laissent systématiquement épuisée mais comblée.

— C’est quoi ce sourire niais sur ton visage, encore ?

Je tire la langue à Théo et finis d’essuyer la table de notre petit appartement. Pas de livraisons ce matin, Roan a fermé le bar pour la nouvelle année, préférant partir avec sa femme dans sa famille. Je ne vais pas m’en plaindre, il y a une soirée de prévue entre étudiants de l’ESD. Les deuxièmes années ont loué une salle et nous participons tous aux frais, nous retrouvant tous ensemble pour fêter et boire jusqu’au bout de la nuit, paraît-il. La plus grosse entorse possible à notre hygiène de vie aussi irréprochable que possible a lieu le trente-et-un décembre, chaque année, semblerait-il.

— Je ne vois pas de quoi tu parles. Je suis contente de passer la journée avec mon coloc et meilleur ami, c’est tout.

—Ouais, je te connais, ça, c’est un sourire à la “J’ai ce qu’il faut au niveau sexe.” Tu vois quelqu’un en ce moment ?

— Et toi, comment ça se passe avec Kenzo ? tenté-je de dévier la conversation.

— Il n’y a rien de particulier avec Kenzo. Contrairement à moi, il ne s’assume pas vraiment. Ça va, ça vient, si tu vois ce que je veux dire. Pas comme toi qui a l’air comblée.

— C’est normal, il se découvre. Toi… Tu sais où tu en es, même si tu as voulu tester autre chose, ris-je. Il va falloir être patient.

— Ah oui, le test. Un bon souvenir, ça. Pourvu que Kenzo ne teste pas avec toi car là, je risque de n’avoir aucune chance derrière ! rit-il sans insister davantage sur ma vie sexuelle.

— Ce n’est pas au programme, je t’assure ! Kenzo est un bon ami, mais rien de plus.

— Ouais, toi tu dois être vraiment accro à ton mec si tu ne sautes pas sur la bombe qu’est le fils de notre professeur de contempo !

J’ai surtout eu l’occasion de goûter aux étreintes passionnées avec ledit professeur. Pas ma faute ! Est-ce que je suis accro ? Il semblerait…

— J’ai possiblement retrouvé mon comptable, lui avoué-je en m’asseyant à ses côtés sur le canapé.

— Pourquoi tu ne l’inviterais pas à notre soirée, ce soir ? On pourrait le rencontrer, ton Monsieur Orgasme !

J’ai presque envie de rire en me disant qu’il le connaît déjà. Pourquoi est-ce que je trouve ça excitant qu’il ne sache pas que je parle d’Alken ? Ce petit côté interdit… Caché… Je déraille totalement.

— Une soirée étudiante ? T’es fou, il n’a plus l’âge pour ça, ris-je. Et puis, je t’assure que je n’aurais aucune envie d’arriver à minuit en compagnie de tous les autres, s’il était là…

— Ah oui, toi, tu fais dans le papy ! Comme tu veux, Princesse, mais ça fait plaisir de te voir heureuse comme ça !

— Un homme d’expérience, souris-je. Ça vaut son pesant d’or au pieu, je peux te l’assurer ! Tu ne cracherais pas sur la marchandise, mon Chou.

— Si un jour tu me le présentes, ton comptable, on pourra s’organiser une petite soirée à trois ! J’espère qu’il est sérieux par contre, sinon je te promets que je lui casse sa jolie gueule, s’emporte-t-il en levant le poing.

— On ne s’est rien promis, on profite. Pas de mariage en prévision, ris-je en l’embrassant sur la joue. T’emballe pas non plus. J’aimerais bien que sa belle gueule reste agréable à regarder. Mais je prends note, je saurai faire appel à toi au besoin.

Mon colocataire a l’air un peu perdu dans ses pensées et je le laisse tranquille. Je sais que quand il est comme ça, c’est qu’il réfléchit et qu’il a quelque chose à me demander, mais je sais aussi que, si je le brusque, il va s’en tirer par une pirouette et ne rien me dire. Je me force donc à être patiente.

— Joy, commence-t-il enfin. Pour revenir à Kenzo, il t’a un peu parlé de moi ? Tu crois que j’aurais une chance avec lui ? Parce que… Il est beau, tu vois ? Il me plait beaucoup. Enfin… Bref, tu en penses quoi ?

— Je ne sais pas, Théo, soupiré-je en me calant contre lui. J’ai un peu discuté avec lui, oui. Je crois que tu lui plais bien, mais il est perdu et il ne faut pas le brusquer si tu ne veux pas obtenir le résultat inverse.

— Facile à dire, mais la dernière fois que je lui ai parlé, il m’a dit qu’il voulait essayer avec une fille avant d’essayer avec moi. Pour respecter le sens “normal” des choses, comme il dit. Comme s’il y avait une normalité là-dedans. Et si c’est pas avec toi, tu crois qu’il drague qui ?

— Une fille de la promo, sans doute. Peut-être qu’il va profiter du Nouvel an. Tu te souviens de quand tu as compris que tu étais gay ? C’était si simple, pour toi ?

— Ouais, je suis né gay, je crois, sourit-il. Déjà à l’école primaire, je m’habillais en fille pour obtenir des bisous des garçons ! Et à la danse, tous ces mecs en tutus, ça m’affolait quand j’étais ado ! Je ne me suis jamais posé de questions ! Même pendant notre test agréable !

— Lui s’en pose, soupiré-je. Il croit être attiré par les deux sexes, donc il ne sait plus où il en est. D’autant plus que, pour lui, l’hétérosexualité était sa normalité. Sois toi-même, ne lâche pas l’affaire, mais ne le brusque pas. Je suis sûre qu’il va finir par te tomber littéralement dans les bras.

— J’aimerais bien, ça. Mais je ne me fais pas trop d’illusions. S’il est vraiment bi, je risque de ne pas lui suffire. Mais peut-être que je ne serais pas contre le partager, en réalité… ajoute-t-il, songeur.

— Tu ne serais pas contre ? Eh bien, murmuré-je. Je respecte, mais je ne sais pas comment tu peux envisager ça. L’idée de partager ne me plaît pas du tout, moi.

— Oh, tu sais, dans la communauté gay, on a des mœurs plus libre que vous, les hétéros. Tant qu’on prend du plaisir, c’est souvent tout ce qui compte.

— Peut-être, souris-je. Tant que cela convient à tous les partis, peu m’importe. Dis-moi, tu veux bien m’aider à choisir ma tenue pour ce soir ? J’hésite entre deux robes, et je compte bien envoyer une petite photo à mon comptable pour lui donner envie.

— Ah oui ! Va y, Chérie, montre-moi ces deux robes ! Je vais choisir la plus sexy !

Je souris en me levant pour gagner ma chambre. Je savais qu’il partirait au quart de tour avec cette demande, et sa concentration pour toute autre chose que la conversation va me permettre de continuer à discuter sans barrières.

Je récupère les deux robes dans lesquelles j’ai investi et me déshabille pour enfiler la première. Noire, jupe assez courte et moulante, deux larges bandes d’une dentelle à moitié transparente remontent sur la poitrine pour se nouer sur ma nuque. Sexy, assurément, la dentelle cache ma poitrine tout en laissant apparaître ma peau.

— Alors ? dis-je en sortant de ma chambre, tournant lentement sur moi-même. Tu en penses quoi ?

— Qu’on va peut-être refaire un test, Princesse. Tu es magnifique ! J’adore comment tu fais fille sage et sexy à la fois ! Tu rajoutes un petit ruban dans tes cheveux et ce serait parfait, s’enthousiasme-t-il.

Je suis sûre qu’Alken va l’adorer. Juste un nœud à défaire et je me retrouve les seins à l’air. Je tends mon téléphone à Théo pour qu’il me prenne en photo et prends la pose alors qu’il me mitraille, puis retourne dans ma chambre pour enfiler la seconde. Rouge, la robe est un peu plus longue, le tissu est plus fluide, et le décolleté est drapé et profond. Pour être claire, si on écarte les pans, on peut voir mon nombril.

Théo sourit de toutes ses dents en me voyant débarquer, et prend déjà des photos alors que je tourne sur moi-même et prends la pose.

— Votre verdict, Jean-Paul Gauthier ? me moqué-je gentiment.

— Alors, pour ce soir, vu que le comptable n’est pas là, je vote pour la rouge. Elle est sexy à souhaits, mais reste raisonnable. L’autre, c’est une tuerie ! Tu la mets pour le rendre fou quand tu seras avec lui ! Joy, tu sais que tu es une femme superbe ? A rendre hétéro un homo comme moi !

Je me penche sur le canapé pour l’embrasser rapidement sur la bouche comme nous le faisons souvent, et lui fais un clin d'œil en récupérant mon téléphone.

— Je vais lui poser la question, souris-je en sélectionnant les photos qui me plaisent.

Je prends le temps de toutes les regarder et choisis deux photos de chaque, permettant à Alken de voir le côté pile et le face.

Hé… J’ai besoin de l’avis d’un homme d’expérience caliente… Laquelle je mets, ce soir ?

Je retourne dans ma chambre et remets mon vieux jogging bien trop grand en constatant que la réalité est bien moins sexy que ce que je viens d’envoyer à mon amant. Sa réponse ne tarde pas et me fait largement sourire.

Moi, je te vois dans l’une ou l’autre, je peux te dire que je ne reste pas sage. Mets la rouge, ça renforcera ta beauté diabolique... et inatteignable, j’espère. Joy, tu es trop belle ! Hâte de te voir dans ces jolies robes !

Encore des compliments. J’espère réussir à m’y faire, parce qu’il n’en est pas avare. En attendant, je range la robe noire dans mon armoire et récupère au passage mes escarpins rouges et des bas noirs. Si jamais monsieur veut encore jouer à s’envoyer des photos coquines ce soir, je suis prête à faire monter la température. En attendant de pouvoir se voir… Autant faire en sorte qu’il n’oublie pas mon existence.

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