37. Entraînement peu concluant

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Joy

https://youtu.be/DjVFwiDpo4s

Cette danse à trois me prend la tête plus que de raison. Dans trois semaines, c’est le spectacle de Noël, et on est bien loin du petit spectacle de l’école, là. Concrètement, les premières années doivent monter une chorégraphie à deux avec l’un de leurs professeurs. Autant dire qu’avec Enrico encore pas très en forme, le choix est limité à Monsieur ou Madame O’Brien. Et, vu comme Madame m’apprécie, avec Kenzo, nous avons préféré demander à Alken. Alken qui doit danser avec cinq ou six groupes et n’a donc pas beaucoup de temps à accorder à chacun. Pas vraiment facile de créer une chorégraphie pour trois à seulement deux. La chanson tourne en boucle dans la salle de répétitions depuis déjà deux heures, comme dans ma voiture, à la maison et partout où je vais. Kenzo est bourré d’idées intéressantes et, pour ma part, j’avoue avoir été inspirée par l’après-midi à regarder notre professeur de danse contemporaine s’entraîner pour son show parisien. La sensualité qu’il a pu dégager, la puissance de ses pas, de chacun de ses gestes… Je ne sais pas si je ne manque pas un peu d’objectivité, du fait de notre proximité, ou ancienne proximité tout du moins, et du fait que j’ai pu découvrir ce qui se cache sous ses fringues. Toujours est-il que nous avons à peu près bouclé la chorégraphie, mais qu’il nous est difficile de juger du rendu sans jamais avoir pu la faire en entier avec notre enseignant.

— Tu crois qu’on devrait modifier la partie où on est tous les trois au sol ? demandé-je à Kenzo. Si on ne gère pas la synchro, ce sera dégueulasse, et j’ai peur que le manque de temps nous en empêche...

— Tu veux modifier comment ? Genre on la fait à deux et le troisième danse autour et improvise ? Comme ça, mon père pourrait faire quelque chose de cool pendant que nous nous coordonnons à deux au sol ?

— Oui, on pourrait faire ça. Mais il faut qu’on corse les mouvements à deux. A trois ça envoyait, à deux c’est un peu simpliste, non ? Ah, j’en sais rien, ça me fatigue. J’ai l’impression de perdre mon temps sans ton paternel avec nous.

— On pourrait rendre les choses plus suggestives à deux au sol, peut-être avec le troisième qui devient de plus en plus frustré et qui cherche à s’approcher mais renvoyé tour à tour par les deux autres qui ne veulent pas de lui. Tu en penses quoi ?

— Oui, pourquoi pas effectivement. L’idée me plaît bien. Tu crois que ton père va valider ? On essaie, tu veux bien ?

— Si tu lui fais les yeux doux, il validera tout, mon père. Allez, on essaie, ajoute-t-il en se couchant et en m’attirant à ses côtés.

Peut-être… Ou pas. Je ne crois pas qu’Alken apprécie beaucoup la proximité entre son fils et moi. En général, comme dans la danse. Et je lui rends la pareille avec délice. Moi aussi, je suis jalouse. Trop, j’en ai conscience. Injustement peut-être, mais mon ventre se tord chaque fois que je le vois afficher un sourire charmeur sur son visage face à l’une de ses étudiantes.

Loin de toutes ces pensées, Kenzo me prend par les bras et je me retrouve à moitié sur lui. Ses mains sont sur mes hanches et me guident dans des mouvements qui sont à la limite du raisonnable. J’ai l’impression que cette situation l’excite plus que de raison. S’il savait que je ne pense qu’à son père, je suis sûre qu’il déchanterait vite, le pauvre. J’accompagne malgré tout ses mouvements et nous reproduisons ces gestes à plusieurs reprises afin de les mémoriser et d’éventuellement les faire évoluer.

— Ok, c’est pas mal, dis-je en me relevant. On refait depuis le début ce qu’on peut pour voir si ça se fond bien dans le tout ?

— Pas de souci, Joy. Je trouve que c’est pas mal, tout ça. Toi et moi, ça a l’air de pas mal matcher, tu ne trouves pas ?

— Oui, on s’entend bien, c’est cool, souris-je en remettant la musique.

Nous nous remettons rapidement en place et recommençons à nouveau la chorégraphie depuis le début. Effectivement, les mouvements s’impriment bien dans la dynamique des pas, et ce passage au sol est clairement chaud. Je ne sais pas ce que va bien pouvoir faire Alken pendant ces seize temps, mais j’ai hâte de découvrir comment il va s’y prendre.

— Eh bien, je crois qu’on est bon… Ne restera plus qu’à tout montrer à ton père, en espérant qu’il ne bronche pas trop et soit ok. Tu veux répéter encore ou c’est bon pour toi ? dis-je avant de bailler sans pouvoir me retenir.

— Je pense que ça suffit pour aujourd’hui, rit-il en s’approchant de moi.

Il enlève une mèche de mes cheveux qui s’est détachée du chignon et la remet derrière mon oreille. Kenzo se rapproche alors encore de moi et je le vois hésiter à aller plus loin, à franchir les quelques centimètres qui nous séparent alors qu’il est clair qu’il en meurt d’envie. Il se décide pourtant finalement et pose ses lèvres sur les miennes presque timidement. Je ne bouge pas, ne sachant trop quoi faire, et sens ses mains se poser sur mes hanches alors qu’il met plus d’entrain dans son baiser. Je me réveille lorsque sa langue vient caresser mes lèvres et me rends compte que je répondais à ses avances de manière assez naturelle. Je le repousse gentiment et recule d’un pas, mal à l’aise.

— Kenzo… Je… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

— Oh désolé, je ne voulais pas te brusquer, Joy. C’est juste que je croyais que tu étais prête… Enfin, tu sais… Tous ces mouvements à terre… Excuse-moi, je n’aurais pas dû sans ton consentement.

— C’est… Juste que… Enfin, je t’apprécie Kenzo, mais on est amis, tu vois ?

Je ne sais plus où me mettre. Je suis vraiment mal à l’aise, pour le coup. Je sais bien que mon attitude n’est pas totalement juste avec lui, que je peux être ambivalente, et pas toujours volontairement. Je suis une personne assez tactile et expansive avec mes amis. Et là, je n’ose même plus le regarder en face. Vive le malaise !

— Oui, tu as raison, Joy. On est amis. Oublie ça, et surtout n’en parle pas à Théo sinon il va me chambrer pendant cent-sept ans ! Quand j’ai essayé avec lui, c’était beaucoup plus chaud, je t’assure. On n’arrivait plus à s’arrêter, commence-t-il avant de s’arrêter, encore plus troublé qu’avant.

— Hein ? De quoi tu parles ? Vous… Vous vous êtes embrassés ?

— Euh oui… Je n’ai pas beaucoup d’expérience avec les femmes, tu sais, et il m’a proposé d’essayer avec lui… Pour m’entrainer. Je ne voulais pas avoir l’air ridicule avec toi, tu comprends ?

— Oui, oui, je comprends, lui dis-je, quelque peu dubitative.

Je vais récupérer ma bouteille d’eau et en bois quelques gorgées lentement pour me donner le temps d’encaisser la nouvelle. Théo complote avec Kenzo ? Ou il en profite ? Toujours est-il qu’il ne m’a rien dit. Et puis… Apparemment, ça lui a plu et c’était chaud… Est-ce que mon colocataire aurait raison ?

— Tu… Enfin, tu as apprécié, avec Théo ? Sans jugement aucun de ma part, je te le promets. On est amis.

— C’était très agréable, oui, mais je pense que ce serait pareil avec une femme, non ? Un baiser, c’est un baiser. C’est toi que j’avais envie d’embrasser, Joy. Théo, c’était juste pour essayer. Il n’y a rien à juger là dedans, si ? me demande-t-il, inquiet.

— Il n’y a rien à juger, sur aucun choix. Chacun fait ce qu’il veut, mais… Théo est gay, tu sais ? Quant au baiser… Je peux t’assurer que tous les baisers ne sont pas pareils, ris-je. Il devait bien y avoir des différences, non ?

— Avec toi, ça a été un peu court pour juger, Joy, si je peux me permettre. Sans rien réclamer, hein !

— Désolée, ris-je. Tu m’as surprise, je ne m’attendais pas vraiment à ça. Et je peux t’assurer que même un court baiser… Enfin, selon la personne, ça peut tout changer.

— Ouais, ça va, j’ai compris, tu n’as rien ressenti avec moi, c’est pas grave, tu sais ? Ça valait le coup d’essayer.

— Je suis désolée… Je n’ai pas vraiment la tête à ça en ce moment, je crois. Tu es quelqu’un de bien et je suis sûre que tu trouveras chaussure à ton pied, Kenzo, mais je ne pense pas que ce soit moi, clairement.

— Tout cela ne m’empêchera pas de te dévorer des yeux à nos prochaines répétitions, Joy. Vu comme tu es belle, je peux t’assurer que je n’aurai pas à me forcer. Tant pis pour toi, mon amie !

Je secoue la tête en souriant. Il faut vraiment que tous ces mecs arrêtent avec les compliments, ou je vais finir par avoir tellement le melon que je ne passerai plus les portes.

— Tu ne m’en veux pas ? Je suis désolée si tu as pu mal interpréter mon comportement. Je vais faire attention.

Surtout que je n’ai en tête que son père. Le pauvre, s’il savait !

— Mais non, je ne t’en veux pas. Et surtout, ne change pas. C’est comme ça qu’on t’aime, Joy, réagit-il en forçant un peu le trait de la bonne humeur.

Je soupire, toujours aussi peu à l’aise avec ce qu’il vient de se passer. Théo va m’entendre, c’est sûr. Et voilà que je ne sais plus trop comment faire avec Kenzo !

— Tu veux qu’on aille manger un bout avant de rentrer chez nous ?

— Ouais, je meurs de faim. On va au kebab ou on la joue raisonnable et on va se prendre une salade ?

— Va pour un kebab. Vu la journée de danse de folie qu’on a eue, je pense qu’on peut faire une entorse, non ? J’essaie de me dépêcher sous la douche pour que tu ne poirotes pas comme la dernière fois ris-je.

— Vas-y, Ariel. Je t’attends !

— Bien. Et tu diras à ton père qu’on a besoin de lui pour avancer sur la choré ? Sinon je vais finir par être désagréable avec lui. Il nous fait trop attendre, là, je veux bien qu’il ne veuille pas donner l’impression de privilégier son fils, mais faudrait pas nous mettre en difficulté non plus.

Je l’embrasse sur la joue et file au vestiaire pour me doucher rapidement. Il va falloir que je fasse attention à tout ce que je fais avec Kenzo, et ça m’ennuie, mais je ne veux pas le faire souffrir. J’espère qu’il ne s’est pas trop fait de films à notre propos… Et il va vraiment falloir que j’aie une conversation avec mon colocataire. C’est quoi cette histoire d’entraînement, sérieusement ? Ce baiser n’avait rien de désagréable, mais j’ai bien l’impression que tout contact physique est devenu bien fade depuis que j’ai eu l’occasion de les avoir avec un Irlandais mytho, comptable et sans nom. Si seulement le temps pouvait s’être arrêté quand tout ceci était plus simple...

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