33. Meet the parents

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Joy

Je lisse ma robe en soupirant une nouvelle fois avant de sonner à la porte de la maison de mes parents. Aucune envie de passer plusieurs heures avec ma mère, et encore moins si elle fait du charme à Alken ou inversement. Lui est là, tout détendu dans ce foutu chino qui me fait tourner la tête, et c’est ma génitrice qui nous ouvre, tout sourire, dans l’une de ses robes les moins strictes bien que plutôt classique et guindée. Ma mère en puissance, somme toute.

— Ah, vous voilà enfin ! Vous êtes en retard, se plaint-elle d’entrée de jeu. Oh là là, tu t’es regardée dans un miroir, Joy ? Tu fais peur à voir ! Voilà ce que c’est d’aller se saouler en boîte.

Je lève les yeux au ciel et entre sans répondre dans la maison de mon enfance, où je retrouve mon père qui me serre dans ses bras avec vigueur. L’accueil est bien meilleur par-là.

— N’écoute pas ta mère, ma Joy, tu es superbe, me chuchote-t-il à l’oreille. Tu m’as manqué, ma Chérie.

— Toi aussi, Papa, toi aussi.

D’ailleurs, je suis certaine que je viendrais le voir plus souvent si ma mère n’était pas dans les parages. On ne choisit pas sa famille, hein ?

— Papa, je te présente Alken O’Brien, mon professeur de danse contemporaine et partenaire de salsa pour quelques semaines. Alken, je te présente Paul, mon père.

— Enchanté, lui dit mon père en lui serrant la main. J’étais dans la salle hier soir, vous avez la forme ! Je serais incapable de faire un quart de ce que vous avez réalisé.

— Enchanté aussi, Monsieur Santorini. C’est de l'entraînement, tout ça, vous savez. Et danser avec Joy est un vrai délice ! Vous avez une fille qui est déjà une danseuse exceptionnelle. Elle ira loin !

— Je vais vous croire sur parole, rit mon père en me serrant contre lui. Je n’y connais absolument rien en danse, mais je suis toujours tout ému de la voir sur scène.

— Arrête Papa, ris-je, mal à l’aise. Nous n’avons pas beaucoup de temps à vous accorder, désolée, mais nous devons voir les organisateurs du concours à quinze heures.

Je mens un peu, il me semble qu’on a dit vers seize heures, mais si je peux grapiller une heure de tranquillité, je ne vais pas m’en plaindre. Alken fronce les sourcils dans ma direction, mais mon regard doit être assez assuré, ou suppliant, pour qu’il ne me corrige pas.

— Très bien, soupire ma mère, mettons-nous à table alors. Alken, vous souhaitez un apéritif ?

— Non, pas d’alcool aujourd’hui. Comme vous le savez du fait de votre expérience, un danseur, ça fait attention à ce genre de choses. Vous auriez un jus de fruits ?

— Bien sûr, aucun souci ! sourit-elle en se dirigeant vers la cuisine alors que j’attrape l’avant-bras de mon partenaire, qui jette un œil aux photos sur le mur, pour l’entraîner dans la salle à manger.

— Viens t’asseoir, Prof. Pas la peine de t’attarder là…

— Attends une seconde, Joy. C’est toi la petite fille là avec les couettes ? demande-t-il, un brin moqueur.

— Ouais, bougonné-je. Un problème ?

— Non, tu étais trop mignonne ! Pas étonnant que tu sois si jolie maintenant. Tu as le même petit air que ta mère sur cette photo-là, m’indique-t-il sur une photo où on me voit agenouillée près du chien de ma cousine.

— J’espère que j’ai l’air moins coincée qu’elle quand même. Bon, tu as fini ton inspection, c’est bon ? C’est Théo là, regarde ce joli tutu ! Je ne sais pas si je le préfère à poil ou en tutu, en fait, ris-je.

— A poil ? Tu le vois souvent comme ça ? demande Alken dont la jalousie me donne un plaisir coupable.

— On vit ensemble, Smith, forcément que je le vois à poil, souris-je innocemment.

— Vous êtes pressés et vous traînez ici ? intervient ma mère en déposant son jus de fruits dans les mains de mon prof avant de m’en tendre un également.

— J’aurais préféré un cocktail, soupiré-je.

— Tu es danseuse, tu devrais prendre exemple sur ton professeur, ça ne te ferait pas de mal.

J’ai envie de lui rétorquer que ça va aller, que je préfère que personne n’ait besoin de me coucher et que je me serais contenté d’un apéritif, mais j’épargne cette remarque à tout le monde. Quoique, j’hésite quand même, elle pourrait peut-être arrêter de faire les yeux doux à Alken si je lui fais part de l’état de mon professeur il y a quelques heures ?

Je m’installe à table dans notre belle et grande salle à manger dont les murs sont couverts de photos encadrées de ma mère en ballerine. Oui, chez nous, les photos de famille sont réservées à l’entrée, et la carrière de ma mère, elle, est bien mise en avant. Une petite carrière sur Paris, rien de fou, mais qui lui a permis de se faire connaître dans le cercle restreint de la danse classique de l’hexagone. Tardivement, du fait de sa grossesse, mais mon nom de famille n’est pas inconnu. Si bien que lorsque j’ai décidé de me lancer dans la danse contemporaine, ma génitrice a pris cela comme un affront. Si notre relation était déjà bancale, autant dire que j’ai franchi une ligne que je n’aurais jamais dû, selon elle. La danse contemporaine, beaucoup moins cadrée, est un outrage à mon héritage familial. Je crois qu’elle ne se remettra jamais de ne pas voir mes pieds pointés. Mais mes pieds, eux, s’en sont bien remis de ne pas toujours être enfermés dans ces chaussons de danse.

— Alors, Alken, la préparation de votre spectacle se passe bien ? Vous arrivez à tout combiner, entre l’école, la vie de famille et les allers-retours à Paris ?

— J’avoue que j’ai un peu mis de côté la préparation du spectacle avec ce concours, mais ça valait le coup. Votre fille a été parfaite ! C’est une belle victoire que l’on doit principalement à sa grâce et sa capacité à transmettre ses émotions. Je pense que ça doit être un peu génétique, tout ça, dit-il avec un sourire dans ma direction.

Je lève les yeux au ciel alors que ma mère sourit de toutes ses dents. Et croyez-moi, elle ne sourit pas parce que mon professeur a dit que j’ai été parfaite. Son ego de danseuse est flatté, il sait la prendre dans le sens du poil, elle va lui manger dans la main.

— Oui, je l’ai mise au classique dès son plus jeune âge, mais ma fille tient aussi de son père, elle a un côté rebelle incontrôlable et un côté fragile. Elle n’a pas supporté la pression des concours alors qu’elle était prometteuse, et m’a fait du chantage pour se diriger vers la danse contemporaine, malheureusement.

— On ne va pas revenir là-dessus, Laura, intervient mon père. Tant qu’elle s'épanouit, c’est le principal, non ?

— Oui, oui, soupire ma mère en se levant pour retourner à la cuisine.

— Et puis, la danse contemporaine, c’est un choix que je recommande, s’exprime Alken. La liberté d’expression associée à la grâce et l’émotion, votre fille est faite pour ça ! Tout le monde n’a pas forcément envie de s’enfermer dans un classicisme qui ne permet pas de se libérer totalement. Vous allez voir, je le prédis aujourd’hui, vous allez avoir une nouvelle star de la danse dans la famille !

— Si vous le dites, Alken, si vous le dites.

Elle dépose le plat devant nous, la mine fermée. Manque de chance, Maman, il fallait que le professeur que je ramène à la maison ne soit pas un adepte de la danse classique. Et encore, je pense qu’il se retient, parce que de ce que j’ai compris grâce à Kenzo, ses relations sont très tendues avec sa future ex-femme. Il aurait de quoi déglinguer encore davantage le classique.

Le repas est une succession de petites piques adressées au contemporain et à la petite ado fragile qui a failli abandonner la danse. Des retrouvailles plus que réjouissantes, somme toute, qui font que je suis ravie d’arriver au café, jusqu’à ce que mon père lance un pavé dans la mare.

— Et sinon, les amours, ma Chérie ?

Je manque de m’étouffer. Les amours ? Bon sang, il me pose vraiment cette question devant mon professeur ? Il est fou, le paternel !

— C’est comme pour le contempo, Papa, je suis libre comme l’air, souris-je. Je n’ai pas beaucoup de temps tu sais, entre la danse et le boulot.

— En même temps, si tu acceptais que nous t’aidions financièrement, me reproche-t-il gentiment.

— Il y a assez de conflits comme ça dans la famille sans avoir à y ajouter l’argent, Papa, marmonné-je. On peut éviter de régler nos comptes devant mon professeur ? Il en a déjà assez entendu comme ça, je crois…

— C’est bien que tu sois libre comme l’air, en tous cas, me dit Alken avec un sourire en coin. Cela te permet de te consacrer totalement à la danse quand tu n’es pas au travail.

— Oui, mais avec cette victoire au concours et le petit pécule qu’elle engendre, je vais pouvoir réduire mes heures au bar et profiter un peu plus de la vie. Souffler et me vider l’esprit, reposer le corps, ça ne fait pas de mal non plus. Surtout que nos professeurs sont des tortionnaires, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

— Et moi qui pensais que tu aimais tous les exercices que je te faisais faire ! soupire-t-il dans un air faussement dramatique qui fait sourire mes parents.

— J’aime qu’on me torture, il semblerait. Certains de tes exercices sont très agréables aussi, osé-je lui rétorquer sans détourner les yeux.

— Je suis content de savoir que tu les apprécies. Des fois, j’en doute. Mais c’est le quotidien de tous les professeurs. On ne peut jamais savoir à quel point nos élèves nous aiment.

— Oh, je ne doute pas que vos élèves vous apprécient, Alken. J’ai hâte de pouvoir vous admirer sur scène, minaude ma mère.

— Je suis sûr que Joy sera ravie de vous accompagner à une de nos représentations, Madame Santorini. Je vous réserverai des sièges à tous les trois.

Est-ce que j’ai envie d’aller le voir danser ? Evidemment ! Mais, entre nous, j’aurais préféré vivre ce moment tranquillement, seule, et surtout loin de ma mère. D’ailleurs, j’annonce la fin de ce repas déjà bien trop long à mon goût. Je fuis lâchement, mais je préfère conserver mon énergie et respirer un peu mieux à nouveau. Mon père, toujours aussi affectueux, me gratifie d’un long câlin, qui me semble bien plus sincère que le petit geste de ma mère qui m’enlace rapidement. Alken les salue poliment en les remerciant pour l’invitation, et Dieu merci ne s’attarde pas.

Je pousse un long soupir de soulagement en montant dans le taxi qui va nous ramener au cœur de la Capitale. Je préférerais vivre dix stress de concours plutôt que celui d’un repas en présence de ma mère. Oui, j’en suis arrivée là.

— Pas de commentaire sur ce repas, je t’en prie, soupiré-je en voyant le regard d’Alken, clairement curieux.

— D’accord. Ton père a l’air très sympathique en tous cas. J’espère que ta mère ne dragouille pas tous ses invités devant lui comme ça.

— Ma mère est capable de tout. Du pire comme… Du pire en fait… Je ne sais pas ce qu’il fiche encore avec elle, elle lui en fait voir de toutes les couleurs, le pauvre.

— Je comprends que tu aies voulu t’en éloigner. La danse classique, ça doit avoir des effets sur le cerveau, tu ne crois pas ? Heureusement qu’on est dans le contemporain !

— Il suffit de parler deux minutes à ma mère pour le confirmer, ris-je nerveusement. Plus strict, tu meurs. Elle visait le meilleur pour sa petite ballerine de fille, c’était pire qu’étouffant. Elle ne me laissait pas une minute de répit. Le contempo m’a sauvée, je crois.

— En tous cas, je suis content de les avoir rencontrés, ça m’aide à mieux te connaître et te comprendre. J’ai l’impression que ça me rapproche un peu de toi, car depuis que Marie a débarqué à l'hôtel, j’ai un peu l’impression que tu me fuis et m’évites.

— Je me protège, soupiré-je. J’ai l’impression que tu as besoin de t’amuser et, de mon côté, je déteste être un jouet…

— Je ne sais pas ce qui te donne cette impression. C’est vrai que j’ai essayé de passer à autre chose quand j’ai découvert que tu étais mon élève, Joy. Mais ça ne fonctionne pas. Jamais je n’ai pu trouver ce que je ressens quand je suis avec toi. Pourquoi tu crois que Marie a disparu et n’est même pas venue au concours ?

— Je n’en sais rien, Alken, je… Je ne sais plus quoi penser de tout ça.

— Prends ton temps, Joy, mais sache que je suis là. J’attendrai le temps nécessaire. Parce que toi et moi, c’est quand même formidable. Et pas que pour la danse.

Je ne lui réponds pas et me perds dans la contemplation du paysage. Tout ce à quoi je pense, à cet instant, c’est que c’est surtout interdit. Et ça prend presque le pas sur le message délivré par mon professeur et amant occasionnel. Ou alors, je me concentre sur cette notion pour ne pas avoir à analyser ses propos. Lui et moi, c’est formidable, et pas que pour la danse. Est-ce que ça ne l’est que pour le sexe, en dehors de ça ? Ou est-ce qu’il envisagerait autre chose encore ? Oui, je crois qu’il vaut mieux que je me concentre sur cet interdit, et sur ma formation, plutôt que sur le beau brun qui me fait ressentir bien trop de choses pour que je ne m’y perde pas.

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