36. Pause séduction malvenue

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Alken

Cette matinée de cours a au moins le mérite de me ramener à la réalité de ce qui fait mon quotidien : des élèves pas toujours attentifs, des pas à faire répéter des dizaines de fois, le temps qui ne passe jamais assez vite… Tout ça est loin des répétitions que je fais pour mon spectacle à Paris ou des moments pleins de sensations que j’ai vécus pendant le concours avec Joy. D’ailleurs, ce matin, après la petite cérémonie, j’ai pu apprécier une nouvelle fois tout son talent pendant mon cours. Par contre, un qui a l’air de plus en plus accro, c’est mon fils. Kenzo ne la lâche pas du regard, ne la quitte pas d’une semelle et ils sont très proches, tous les deux. Des fois, je me surprends même à être jaloux de lui. C’est dingue.

Je m’installe dans la salle des professeurs dont Marie part quand j’arrive. Vu son regard, je crois qu’elle a encore du désir pour moi, mais elle se protège et je ne peux lui en vouloir. Je n’ai vraiment rien à lui offrir, en tous cas rien qu’un sextoy ne puisse lui donner, et elle vaut mieux que ça. Je sors mon repas de son sac isotherme et le mets au micro-ondes. Je ferme les yeux pour me reposer un peu le temps que ça chauffe. Quand je sens deux mains se poser sur mes épaules, je sursaute et me retourne vivement.

— Tu fais quoi, là ? Tu ne peux donc pas me laisser tranquille, asséné-je à ma femme qui, loin de se braquer, sourit.

— Il fut un temps où ça te plaisait bien que l’on se retrouve ici à la pause, mon Chéri, dit-elle en faisant glisser ses mains sur mon torse.

— Il fut un temps où j’espérais qu’on puisse s’entendre et ne pas se disputer. Et où tu ne couchais pas avec le prof de salsa, Lizi. Tu m’expliques ce changement d’attitude ? Il y a quelques jours encore, tu ne me parlais que de divorce. Il se passe quoi ? J’ai touché un héritage et tu veux le fric ?

— J’ai beaucoup réfléchi, Alken, je ne veux pas lâcher l’affaire et réessayer, murmure-t-elle à mon oreille avant d’en mordiller le lobe.

— Mais arrête ! crié-je presque en la repoussant alors que la sensation de ses petits seins contre moi m’a rappelé des souvenirs de certaines de nos étreintes qui, au moins au début de notre relation, n’étaient pas toutes très raisonnables. Tu t’es demandé si moi je n’avais pas tourné la page et trouvé quelqu’un ?

— Tu as trouvé quelqu’un ? Vraiment ? Je croyais qu’avec Marie, c’était juste du cul ? s’affole-t-elle presque.

— Qui sait ? Tu devrais peut-être te poser ce genre de questions avant de te jeter sur moi ? Je te rappelle que le divorce sera bientôt prononcé.

Je la regarde alors qu’elle m’observe en plissant les yeux. Elle me connaît trop bien après toutes ces années et je ne peux pas lui mentir. J’espère seulement qu’elle ne soit pas au courant de mon rejet de Marie, sinon elle va croire que la route est libre pour son retour.

— Rien de suffisamment entériné pour ne pouvoir être défait, mon Chéri. J’ai envie qu’on retente notre chance, toi et moi. Est-ce que ces vingt années ensemble n’ont aucune espèce d’importance pour toi ?

— J’ai tourné cette page de notre vie à deux, Lizi, indiqué-je avec plus d’assurance. Tu crois quoi ? Que tu peux me jeter comme de la merde et revenir ensuite, la bouche en cœur, et essayer de me séduire à nouveau ? Franchement, si j’étais toi, j’arrêterais de croire en un miracle qui n’arrivera jamais.

— Tu devrais y réfléchir, Alken. Pour notre fils, pour ces deux décennies ensemble. Pour les souvenirs, pour notre complicité de l’époque… On pourrait retenter. Repartir de zéro. Sortir, se redécouvrir…

Je l’observe et constate qu’elle dit tout ça sérieusement. J’ai même l’impression de retrouver le regard qu’elle me portait lorsqu’elle voulait que je lui fasse l’amour. J’y lis un profond désir et je me demande jusqu’où elle est prête à aller dans cette salle déserte à l’exception de nous deux.

— Je n’en ai pas du tout envie, Lizi. Si tu as besoin de quelque chose, je te conseille plutôt de voir avec mon avocat. Moi, je n’ai rien à te donner.

— Donc c’est non, vraiment ? Tu me rejettes sans même essayer ? J’y crois pas, soupire-t-elle. Tu t’es mis avec la première pimbêche qui passait devant toi pour ne pas être seul, c’est ça ? Qui est l’heureuse élue après la pauvre Marie ?

— Rien de sérieux pour l’instant. De quoi tu te mêles, d’ailleurs ? Je couche avec qui je veux, non ? Est-ce que moi je vais te demander si l’amour avec Enrico, c’est mieux qu’avec moi ? S’il sait aussi bien que moi trouver tous ces endroits qui te rendent folle de désir ?

— Je suis juste curieuse de savoir si mon fils voit défiler des pétasses à moitié nues tous les jours, s’agace-t-elle. Si tu préfères te taper n’importe qui plutôt que la mère de ton fils.

— Toi, c’est clair que je n’ai plus envie. Tu m’horripiles. Tu viens me sauter dessus, tu essaies de m’exciter, et dès que je te résiste, tu m’insultes et me reproches de baiser avec des pétasses. Quelle vision tu as de moi ! Je ne regrette pas que l’on ne soit plus ensemble, en tous cas. Bref, tu fais chier. Je peux même pas prendre ma pause tranquille.

— Alken, soupire ma future ex-femme en s’asseyant à mes côtés et en posant ses mains sur mes cuisses. Réfléchis-y, je t’en prie. Laisse-nous une autre chance. Tu me manques atrocement. Et pour Kenzo, ce serait tellement mieux de voir ses parents réunis.

— Il y a quelque chose que tu ne comprends pas dans “c’est fini” ? Et je peux t’assurer que Kenzo a d’autres chats à fouetter que la séparation de ses parents. Entre ses cours et ses vues sur Joy, je crois que voir ses parents réunis ou pas, il n’en a rien à cirer !

Je me lève alors brusquement et rejoins mon bureau pour éviter de continuer à me disputer avec elle. Le pire, c’est qu’elle sait comment me séduire, comment me faire craquer. Elle me connaît trop bien. Est-ce que j’aurais résisté avec autant de force et d’aplomb si elle s’était dénudée devant moi ? Pas sûr… Pas sûr du tout…

Cet après-midi, profitant de l’absence du prof d’histoire de la danse, j’ai invité les élèves volontaires à venir me voir répéter et m’entraîner pour le spectacle à Paris. L’idée est qu’ils puissent apprendre comment on fait quand on est seul, quels exercices on pratique, comment on répartit son temps et son énergie afin de rendre la session efficace et intéressante. J’essaie de me concentrer sur cette session à venir, mais j’ai du mal à y parvenir. Ma conversation avec ma femme repasse en boucle dans ma tête. Elle a vraiment une piètre image de moi si elle croit que je couche avec toutes les femmes que je rencontre. Et son insistance, d’où vient-elle ? Qu’est-ce qui a changé depuis la semaine dernière ? Est-ce vraiment le fait de m’avoir vu danser avec Joy qui lui a fait réaliser qu’elle ne voulait pas me quitter ? Ou alors, elle a juste un fantasme sur les danseurs de salsa, et le dernier qu’elle a vu, c’est moi. Qui sait ce qui peut passer dans la tête de cette folle ?

Je me rends dans ma salle de cours, toujours bien énervé, et j’ai la surprise de voir une quinzaine d’étudiants déjà présents avec parmi eux, Kenzo et Joy. Le sourire que me décoche la jolie brune a le don de me redonner la banane.

— Eh bien, que de monde ici ! Vous êtes tous aussi intéressés que ça par une simple séance d'entraînement ?

— Oh oui, Professeur. Et puis, on veut avoir une idée de ce que sera ce spectacle !

— Moi, je ne suis là que parce que les filles sont venues, insinue mon fils, toujours prompt à sortir des vannes.

— Les filles ? souris-je. J’ai l’impression que c’est surtout une fille, si tu veux mon avis, Kenzo. Les autres n’ont pas l’air de beaucoup t’intéresser.

Tous les présents rient de ce trait d’humour avant de me suivre dans la pièce de répétition. Je m’installe au milieu de la pièce et commence par un rapide échauffement avant de débuter et de leur montrer quelques pas et quelques enchaînements. Certains prennent des notes, d’autres ne me quittent pas des yeux. Joy fait partie de ce deuxième groupe et je ressens, même à distance, tout son trouble et son émoi. J’ai l’impression qu’elle n’est pas insensible à certains mouvements que j’effectue et qui sont très suggestifs. J’avoue que le faire devant elle, pour elle plutôt que seul devant mon miroir, m’aide à exprimer plus d'émotions que si j’étais enfermé dans le studio sans auditoire.

Les deux heures passent très vite et je finis mes exercices en sueur, fatigué mais heureux des progrès réalisés.

— Alors, est-ce que vous avez des questions ? demandé-je à mes étudiants.

— Moi, j’en ai une, demande Sarah, une petite blonde. On pourra venir vous voir à Paris ? Ça a l’air super déjà comme ça à l'entraînement. Alors, avec les autres danseurs...

— On pourra s’organiser pour que vous veniez, oui. J’aurai sûrement quelques places gratuites et bien placées. Est-ce que certaines d’entre vous sont intéressées ? ajouté-je, un brin mesquin. J’aimerais savoir si je vais compter mon fils parmi les présents ou pas.

— Joy, tu vas y aller ? demande Sarah avec un sourire en coin. Je doute qu’il vienne sinon.

— Je ne raterais ce spectacle pour rien au monde ! Ce n’est pas tous les jours qu’on peut aller voir son prof dans un spectacle de Mohamed Benkali !

— Bien, voilà qui répond à la question, souris-je. Merci d’être venus me soutenir en tous cas. Bonne fin de journée à vous.

Ils sortent et je les entends discuter de certains de mes pas, les commenter et les analyser. Autant mon début de journée a été compliqué et je manquais de sens dans mon travail, autant cet après-midi m’a permis de renouer avec ce qui me motive pour aller au boulot chaque jour.

— En fait, j’ai une question, me surprend la voix de Joy dans mon dos. Un truc qui me turlupine mais…

— Qu’est-ce qui t’embête, Joy ? Dis-moi si je peux t’aider. Je suis là pour ça.

— J’ai peur que ce soit une question bête ou… Indigne d’une danseuse, rit-elle nerveusement. Tu vois, quand j’apprends une danse, mon objectif, c’est de la faire à la perfection, ou tout du moins au meilleur de mes capacités. Non, je veux me dépasser, mais… Bref, je m’égare. Comment tu fais pour ne pas te lasser et toujours y être à cent pour cent, toujours exprimer les émotions, soir après soir, quand tu fais toujours la même chose ?

— Oh, je ne suis pas toujours à cent pour cent, tu sais. J’adore ce que je fais et ça aide, mais après, c’est aussi l’expérience qui permet de cacher les moments où on est un peu moins bien, ou on se sent en difficulté. Par contre, pour être totalement honnête avec toi, quand tu es dans l’audience et que tu me regardes, ça me donne encore plus envie de me dépasser afin de te faire totalement plaisir. Ton regard admiratif est une des meilleures motivations qui soit, Joy.

Je la vois rougir suite à mon aveu et me sourire, un peu gênée. Elle ne s’attarde pas et s’éloigne après m’avoir salué d’un bref mouvement de la tête. J’espère que mon honnêteté ne se retournera pas contre moi. J’adore vraiment quand elle m’observe, presque autant que quand elle participe avec moi. Pourvu que tout ça ne lui fasse pas trop peur !

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