35. Stars en scène

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Joy

— Joy, bouge-toi, on va être en retard, m’interpelle pour la dixième fois Théo en toquant à la porte.

— J’arrive, j’arrive, bougonné-je en sortant de la salle de bain, les cheveux encore en pétard. J’ai bossé tout le weekend, je peux bien arriver en retard aujourd’hui.

— T’as bossé hier ? Mon œil, ricane-t-il en me tendant mon manteau. Allez Princesse, faut y aller là.

J’enfile ma veste bon gré mal gré et mets mes chaussures avant de récupérer mon sac et de dévaler les escaliers. Léon nous accueille à l’entrée avec le sourire et me serre dans ses bras.

— Félicitations ma Jolie, Théo m’a dit que tu avais gagné ce concours.

— Merci beaucoup. Ça valait le coup de s’épuiser, souris-je.Tu as besoin de courses ou de quelque chose ?

— Non, tout va bien. La voisine m’a emmené samedi matin pour faire le plein.

— Oh, la fameuse voisine ! Quand est-ce que tu vas enfin l’inviter à dîner ? Elle n’attend que ça !

— Elle est bien trop jeune pour moi, Joy, ne dis pas de bêtise. Elle a bien quinze ans de moins que moi. Je ne vais pas l’embêter avec un vieil imbécile comme moi, quand même !

Je soupire et ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec mon semblant d’histoire avec Alken. Quinze ans, quand on sait que lui et moi en avons dix-huit d’écart...J’ai envie de lui dire de foncer, à Léon, que l’âge n’a pas d’importance.

— Et alors ? Si vous vous faites du bien tous les deux, que vous vous appréciez et vivez mieux ensemble, pourquoi est-ce que l’âge serait un problème ?

— Qu’est-ce qu’elle pourrait trouver à un vieil invalide comme moi ? Elle vient juste de prendre sa retraite, tu te rends compte ? Allez, arrête tes bêtises, mais sache qu'elle va m’emmener faire les courses encore cette semaine. Tu n’auras pas à t’occuper de moi.

— Mais j’aime bien m’occuper de toi, moi, souris-je en déposant un baiser sur sa joue. Bonne journée Léon, et fais des bêtises ! Ça fait du bien de temps en temps.

Je sors de la maison et rejoins la voiture où Théo m’attend en bougonnant.

— Tu as peut-être le privilège d’avoir fait parler de l’école en bien ce weekend dans la Capitale, mais moi je ne suis qu’un petit étudiant de deuxième année qui va se faire tirer les oreilles s’il arrive en retard, geint-il en démarrant.

— Quel pleurnichard tu fais. On en parle de tous ces matins où c’est moi qui t’attends ?

— On ne parle pas de moi, là, mais de la reine de la promo.

— Ça va, c’est qu’un concours. Nouvelle semaine, on passe à autre chose .Il y a le spectacle de Noël à préparer, les examens de fin de semestre… Oh, il faudra qu’on passe à la banque ce soir, j’ai un chèque à déposer, je suis riche, m’extasié-je.

— Je suis content que ce soit bientôt mon anniversaire ! Je te montrerai les chaussures que j’ai vues, des bijoux !

— On verra ça en temps voulu. Et mon budget risque de ne pas être celui que tu espères, ris-je.

— A peine riche et déjà radine !

Je lui tire la langue et décide de ne pas surenchérir de bon matin, profitant du calme du trajet avant de reprendre d’entrée avec de la danse contemporaine.

Quand nous arrivons au campus, je suis surprise de voir au panneau d’affichage que nous sommes tous convoqués au théâtre à neuf heures. Il ne nous reste que deux minutes avant de nous faire tirer les oreilles, mais un sourire se dessine sur mes lèvres quand je vois arriver notre professeur de contempo, pas plus en avance que moi. Il sort rapidement de sa voiture, Kenzo sur les talons, et nous sourit en nous apercevant.

— Bonjour les jeunes ! Joy, je ne te chamaillerai pas parce que tu es en retard, mais Théo, je ne peux rien pour toi, attention.

— Et voilà, riche depuis vingt-quatre heures et déjà privilégiée, soupire théâtralement mon colocataire.

— Nous sommes tous convoqués au théâtre, alors on va se faire tirer les oreilles tous ensemble, ris-je en ouvrant la porte du hall.

— Ah oui, c’est vrai, soupire Alken. Prête pour ton heure de gloire ?

— Hein ? Quoi ?

Il n’a pas le temps de me répondre que la porte du théâtre s’ouvre sur une Elizabeth tout sourire, qui lui saute littéralement au cou et lui roule une galoche monumentale et plutôt malaisante. Je détourne rapidement le regard, gênée et clairement piquée par la jalousie. Il joue vraiment sur tous les tableaux, ce fourbe !

— Oh Al’ ! Tu étais tellement beau et tellement sensuel, c’était caliente !

— Elizabeth ! C’est quoi ça ? Tu dis bonjour à tous tes ex comme ça, ou quoi ?

— Non, juste à mon mari, Chéri, minaude-t-elle en lui caressant la joue. Quel danseur tu fais, ça m’a rappelé tellement de souvenirs !

— Lizi, le SMS hier soir, c’était toi ? demande-t-il sans la repousser à mon plus grand désespoir.

— Evidemment que c’était moi ! Qui voulais-tu que ce soit ? Tu en as eu beaucoup des femmes qui veulent une seconde chance ?

— On ne va pas discuter de tout ça ici devant tout le monde, Lizi. C’est quoi cette idée de seconde chance alors que le divorce va être prononcé bientôt ? Je suis passé à autre chose moi. Et toi aussi avec Enrico, si je ne m’abuse.

— Tout le monde fait des erreurs, non ? On devrait repenser à tout ça et se donner une nouvelle chance, Chéri.

— Excusez-moi de vous déranger, ne puis-je m’empêcher d’intervenir alors que Kenzo les regarde, ébahi. Il est neuf heures passées, peut-être qu’on pourrait laisser le personnel à la porte et se concentrer un peu sur l’ESD ?

J’y crois pas, franchement. Si en plus, Madame O’Brien s’y met, je ne vais pas tenir l’année sans faire un scandale et tout envoyer bouler ici. Je n’attends pas leur réponse et m’engouffre dans le théâtre.

— Ah, vous voilà Mademoiselle Santorini ! On joue déjà la star ?

Elise Martin est sur scène et me tacle à peine ai-je mis un pied dans cette superbe salle.

— Et voilà l’autre partie du duo. Ravie de pouvoir vous compter enfin parmi nous, Monsieur O’Brien. Allez, venez tous les deux.

Je jette un coup d’oeil à Alken qui semble contrarié alors que mes camarades ainsi que sa femme vont s’installer dans le public. Nous montons sur scène tous les deux et je suis bien moins à l’aise que lorsque j’y mets les pieds pour danser. Madame Martin me fait une accolade avant d’en faire de même avec mon partenaire, et je constate qu’Enrico fait la tronche au premier rang. Le pauvre, entre sa blessure et sa nana qui veut reconquérir le bel Irlandais, moi aussi j’aurais la tête à l’envers à sa place.

— Avant toute chose, je vous demande d’applaudir Joy et son professeur, Alken O’Brien, pour leur magnifique performance qui leur a permis de remporter le concours de salsa ! Non seulement, ils ont conservé le titre pour notre école, mais ils nous ont permis d’améliorer encore notre record de nombre de victoires ! Bravo !

Toute la salle se met à applaudir, ce qui me fait vraiment chaud au cœur malgré la gêne que je ressens à être ainsi mise en avant. Alken prend ma main et s’avance avec moi pour faire une petite révérence et remercier les personnes présentes de leur soutien. Elise reprend son petit discours.

— Je pense que nous pouvons aussi remercier Enrico qui a magnifiquement formé notre jeune Joy qui a su s’adapter en très peu de temps à un nouveau partenaire. Nous savons tous qu’Alken est un bon danseur, mais la salsa, ce n’est pas sa spécialité. Si le concours a été remporté, nous le devons surtout à la grâce et à la capacité de Mademoiselle Santorini de communiquer ses émotions. Voilà ce que nous recherchons pour nos danseurs : grâce, élégance, abnégation, travail, adaptabilité. Ce sont toutes ces qualités que nous retrouvons chez Joy et qui feront d’elle une grande danseuse, peut-être une future star !

Je ne sais plus où me mettre devant tant d’éloges surtout que la danse, je ne l’ai pas faite seule. Pourquoi ne met-elle pas plus en avant Alken ? C’est étrange et je ne peux m’empêcher de rougir un peu.

— Alors pour vous remercier tous les deux, nous allons vous remettre un petit bouquet et faire une photographie qui viendra agrémenter notre site Internet ! Encore félicitations à tous les deux.

Elle fait un petit signe et je vois Kenzo et sa mère se présenter sur scène. Il me remet un beau bouquet alors qu’Elizabeth enlace son ex mari de manière plus langoureuse que nécessaire. J’ai l’impression, en plus, qu’Alken ne la repousse pas comme il le devrait et, pour lui rendre la monnaie de sa pièce, j’embrasse Kenzo sur les deux joues et le serre fort contre moi.

Vient le moment de faire la photo, et je regrette de ne pas avoir été mise au courant de cette petite sauterie, parce que le jogging n’est pas le plus avantageux. D’autant plus qu’Alken devait, lui, être au courant, parce qu’il a troqué la tenue décontractée et confortable de danse pour un jean et une chemise.

— Tu aurais pu me prévenir pour cette petite réunion, lui murmuré-je alors que je sens sa main se poser sur ma hanche. Je ne m’y attendais pas.

— Je t’ai envoyé un SMS, tu n’as pas regardé ton téléphone avant de partir ? me demande-t-il en posant ses lèvres dans mon cou, presque comme si ce n’était pas fait exprès.

— J’étais à la bourre… Je n’ai pas eu le temps de regarder mon téléphone, dis-je en souriant à l’objectif tout en me collant davantage à lui. Tu as eu toute la journée hier pour m’en faire part, quand même. Ça m'aurait évité le jogging sur le site internet… Classe, Joy.

— Elise m’a prévenu ce matin. Désolé, et ce jogging te fait un joli petit cul. Cheese ! ajoute-t-il pour le photographe.

Je suis à deux doigts de lui notifier que ce jean n’est pas mal non plus, mais je me retiens. Il faut que j’arrête de jouer avec lui, sinon tout ça va très mal finir. Alken me semble être tout sauf sérieux en ce qui concerne les femmes. Je crois qu’après ses années de mariage, il ne veut plus s’ennuyer avec une relation sérieuse. Et moi, j’ai fait l’amer constat il y a quelques minutes que ce n’est pas d’un plan cul que j’ai envie avec lui. Continuer à jouer avec lui serait prendre le risque de faire souffrir mon petit cœur.

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