17. Emotions exacerbées

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Joy

Je regagne les coulisses avec mon partenaire de danse qui m’attire dans ses bras et me soulève du sol avant de me smacker, comme il a l’habitude de le faire après une prestation. Je ris contre lui alors qu’il met un temps fou à me relâcher, me faisant tourner dans ses bras, tout excité et hyper expressif, comme souvent.

Lorsqu’il me relâche, plusieurs personnes viennent nous féliciter, certains plus amèrement que d’autres, et je finis par attirer Théo au sous-sol pour nous isoler un peu dans la pièce qui accueille les costumes. Je soupire lourdement en refermant la porte et secoue les bras pour tenter de relâcher la pression.

— J’ai fait deux ou trois erreurs de bras, je déteste ça, soupiré-je alors que mon meilleur ami s’assied sur une malle, toujours aussi souriant.

Comme toujours, nous deux, ça matche sur scène. Dès qu’il y a de l’affect avec un partenaire, moi j’adore ça et tout passe. Les émotions s’exacerbent, les gestes suivent et c’est génial. Mais à trop jouer sur l’émotion, j’en oublie parfois la technique, et là, je sais que j’ai merdé plusieurs fois. J’espère simplement que le show était assez bon dans son ensemble pour faire oublier ça à notre chère directrice au regard de pierre, à Enrico qui est particulièrement strict et à cheval sur la technique, et à Alken, dont je n’ai rien à dire, hormis : qu’est-ce qu’il foutait là ?

— Oh ma Chérie, arrête avec tes histoires de bras ! Tu étais magnifique ! Un vrai délice de danser avec toi ! Tu as même réussi à me faire bander, Princesse ! Et pourtant, je suis gay jusqu’au bout du sexe !

Je pouffe en entendant Théo. Honnêtement, le seul que j’avais envie de faire bander… Je ne peux plus y toucher. Non mais, vraiment, pourquoi est-ce qu’il fait partie du jury ? Danse contemporaine, c’est pas salsa ! Quand je l’ai vu depuis les coulisses s’installer près d’Enrico, je dois avouer que j’ai été particulièrement déstabilisée. Et clairement, je flippe que notre histoire, si on peut appeler cette petite parenthèse une histoire, n’influence sa façon de me voir en tant que danseuse. Et si la distance que j’impose, mon ignorance à son propos, lui donnaient envie de se venger ? Je ne peux m’empêcher de me demander jusqu’où va son objectivité.

— T’as jamais testé une nana. Si ça se trouve, tu kifferais tu sais, ris-je alors qu’on entend à nouveau la musique au-dessus de nous.

— Je crois que tu es la seule sur laquelle je pourrais éventuellement réfléchir à l’idée potentielle de craquer, ma belle. Mais franchement, je préfère les jolis petits culs de mecs à tes fesses rebondies ! Au fait, rassure-moi, tu n’allais pas vraiment m’arracher tous mes vêtements ? J’ai bien cru à un moment que j’allais me retrouver à poil sur scène ! Enrico ne m’aurait pas résisté, je suis sûr, s’esclaffe-t-il en utilisant ses mains pour se donner de l’air, d’une façon si efféminée que j’éclate de rire.

— Enrico préfère le petit cul de danseuse d’Elizabeth, désolée de te décevoir. Et vu les paroles de la chanson, il fallait bien jouer le jeu, non ?

Même si ce n’est pas forcément à lui que je pensais… Ce texte m’a parlé et, forcément, un bar, de la danse, un corps, des formes. Irrémédiablement, ces paroles m’évoquent mon Monsieur Smith. Et ça me gonfle, même si ça m’a permis d’y mettre toute mon âme. Il fallait bien ça, vu les prestations des danseuses précédentes. Il y a du niveau dans cette école et c’est peu de le dire. Julia, la partenaire habituelle de Théo, envoie du lourd. D’ailleurs, je crois qu’elle me déteste définitivement de lui avoir piqué sa moitié, mais sans vouloir être méchante, je suis bien contente qu’il n’ait pas dansé avec elle. Le talent de mon meilleur ami est magique, il est doué pour se mettre en avant, autant qu’il l’est pour mettre en lumière sa partenaire de danse. Et ce matin, alors que nous répétions encore au beau milieu de la nuit sur la terrasse de Léon, il a été magique, malgré la fatigue, malgré les courbatures, malgré mon besoin de perfection qui l’a agacé, comme toujours.

Je m’assieds sur ses genoux et le serre contre moi, nichant mon nez dans son cou.

— Merci, Théo. Je ne sais pas si c’est moi qui ferai le concours, mais j’ai adoré danser avec toi, et j’espère que nous aurons encore l’occasion de le faire.

— Quand tu veux, ma Puce. J'adore rendre jaloux tous les mâles de l'école ! Et tu vas le faire, ce concours, n'en doute pas !

— On verra bien, te voilà plus optimiste que lorsque je t’ai demandé de danser avec moi, ris-je. Julia a été excellente, je ne suis pas sûre de partir à Paris, honnêtement. Et Sonia aussi a assuré.

— Elles ne m'ont pas fait bander, elles. Fais confiance à mon radar et prépare tes valises ! Enrico va t'emmener à Paris, je te parie un dîner où tu m'invites avec Kenzo que tu vas être choisie !

— Eh, tu as des vues sur Kenzo ? lui demandé-je sérieusement. Tu es sûr que ton radar fonctionne bien ? Parce que… Merde, ça m’embêterait que tu souffres.

— C'est chasse gardée ou pas ? Il est trop beau, Kenzo. Tu n'as pas envie de dévorer ses jolies fesses musclées ?

— J’avoue qu’il a un joli petit cul. Et de belles grandes mains, et des yeux, soupiré-je. J’en sais rien si c’est chasse gardée. Il me plaît bien, mais… Je sais pas, je suis pas sûre d’en arriver à vouloir plus. Pour s’amuser, peut-être, mais rien de bien sérieux.

— Vu comment il te regarde, tu aurais tort de te priver, ma Jolie. Juste un dîner à trois si tu es sélectionnée, ça te va ?

— Deal. Et n’oublie pas que si tu veux savoir ce que ça fait de coucher avec une nana, je peux me dévouer. En toute amitié, ris-je alors que la porte s’ouvre sur notre professeur de danses de salon.

Faudra d’ailleurs qu’il nous explique, un jour, pourquoi on fait de la salsa avec lui. Bref. Il entre dans la pièce avec un air neutre et fronce les sourcils en nous voyant.

— Ah vous voilà, tous les deux. Vous vous faites désirer, on vous attend sur scène pour les résultats.

— Oh, déjà ? dis-je en me levant et en lissant ma robe.

Il acquiesce et sort sans plus un mot alors que je croise le regard de Monsieur Smith dans le couloir. Indéchiffrable, quoique… Jaloux ? Bien fait, parce que je n’arrive pas à me sortir de la tête l’image d’Alken en train de dévorer la bouche de la secrétaire, de la tripoter sans retenue dans l’entrée de son appartement. Foutu mec.

J’attrape la main de Théo et l’entraîne hors de la pièce, saluant notre professeur d’un signe de tête au passage avant de monter les escaliers pour rejoindre la scène. Théo s’arrête au bord des coulisses et m’attire dans ses bras avant de m’embrasser sur le front.

— Je reste là, tu as assuré, je suis sûr qu’elle est pour toi, cette victoire. Et même si c’est pas le cas, ce dont je doute, ça ne change rien, tu es la meilleure, Princesse.

— La meilleure ? ris-je. Certainement pas. Mais merci.

Je l’embrasse sur la joue et rejoins les autres danseuses sur la scène alors que nos professeurs viennent se placer devant nous. Il y a un moment que je n’avais pas ressenti autant de stress. J’ai vraiment envie de gagner, d’aller à Paris, de faire le concours. Et bon sang, quinze mille euros, je ne cracherais pas dessus. Ça me permettrait de réduire mes heures au bar, parce que je fatigue déjà et que j’ai peur de ne pas tenir toute l’année à ce rythme.

— D'abord, je voudrais toutes vous féliciter, mesdemoiselles, commence la directrice. Un vrai beau spectacle dont l'école peut être fière. Je ne vais pas faire un long discours mais juste vous préciser que mes deux collègues et moi-même avons fait un choix. En cas d'égalité, la voix d'Enrico compte double. Alors, avant d'annoncer mon choix, merci à tous d'applaudir les quatorze candidates !

Nous nous applaudissons mutuellement, tout comme les spectateurs présents qui ne sont autres que des élèves de l’école, et je sens mon ventre se tordre sous le stress. Qu’elle arrête de tourner autour du pot, bon sang, je veux savoir, moi !

— Alors, moi, reprend-elle lentement pour ménager le suspense, j'ai envie de voir Julia Masson accompagner notre prof à Paris. Je lui donne donc ma voix ! Bravo Julia pour votre belle performance !

Je retiens de peu un soupir dépité. Bien, je comprends, Julia a un sacré niveau. C’est mérité. Rien n’est perdu, mais mon stress grimpe en flèche. Je viens de perdre toute ma confiance en moi en quelques secondes.

— A mon tour alors, intervient Alken. J'avoue que je suis surpris par le niveau collectif de ce concours. Je vous félicite vraiment pour la qualité de vos prestations et suis fier d'être un de vos professeurs.

Son regard se pose alors sur moi et je ne parviens pas à savoir pour qui il va voter. Si c'est Julia, c'est plié.

— Moi, je n'ai pas eu d'hésitation pour choisir ma danseuse préférée. Et pour paraphraser la chanson qu'on a tant entendue ce matin, "I'm in love with the sensuality of you" Joy Santorini. Je te donne ma voix sans retenue !

Je ne peux masquer le sourire qui naît sur mon visage, et le remercie d’un signe de tête. Tout va donc se jouer sur l’opinion d’Enrico, et malgré le plaisir que j’ai de savoir que la voix d’Alken est pour moi, mon taux de stress ne diminue pas. J’aperçois Théo dans les coulisses qui lève les pouces en l’air et hausse les sourcils avant de faire des gestes qui insinuent que notre prof de contempo voudrait bien passer à l’acte avec moi, et je manque de pouffer en me disant qu’il n’a pas idée à quel point l’acte a déjà été fait et refait.

Enrico se racle la gorge avant d’aller et venir devant nous, faisant les cent pas comme s’il jouait sa vie sur sa décision. Un peu trop drama à mon goût, d’autant plus que je n’en peux plus d’attendre. Je veux savoir.

— Bien. Il va de soi qu’effectivement, désolée pour les autres, mais cela se joue entre Julia et Joy. Vous avez toutes les deux une excellente technique et on sent le boulot derrière la chorégraphie. Julia, ton port de tête est parfait, tes bras bien placés, tes pieds… Oh tes pieds, magnifiques, même si j’ai pu repérer quelques hésitations qui t’ont mises en retard sur la choré. Joy, la technique est excellente, mais il y a du boulot sur les ports de bras.

Je le savais. Oh bordel, si je ne pars pas à Paris à cause de ces foutus bras, je vais m’en vouloir plus que de raison.

— Pour un concours, continue Enrico, il faut évidemment la technique, elle est essentielle. Mais il y a aussi les émotions que l’on transmet, et qui permettent de minimiser les erreurs. Vous voyez ? Je suis sûr que personne ou presque n’a repéré les bras trop bas de Joy. Pourquoi ? Parce qu’on a vécu la chorégraphie avec elle et Théo, parce qu’on a ressenti les paroles, les émotions qui se dégageaient du duo. Bref, je ne vais pas m’étaler, et on en reparlera plus en détails. On a du boulot, et j’espère que tu vas être hyper disponible, mais je vais partir à Paris avec toi, Joy.

J’ai à peine le temps de réaliser que je me retrouve soulevée dans les airs par un Théo hystérique qui m’embrasse bruyamment sur la bouche avant de me faire sautiller dans ses bras. Je ris sans le repousser, habituée à ses démonstrations d’affection avec moi, et savoure ma victoire avant d’aller féliciter Julia, et de m’excuser de lui avoir pris son partenaire, mon meilleur ami. C’est sincère, parce que je suis certaine qu’elle aurait gagné avec lui, mais je ne regrette pas pour autant. Si je fais ce concours, c’est grâce à Théo. Grâce à notre travail commun. Grâce à son talent mêlé au mien. Un duo de choc. Ne me restera plus qu’à assurer avec Enrico, et ça ce sera tout de suite moins facile. Créer de la complicité avec son prof ? Ça ne va pas être de la tarte. Surtout qu’il n’est pas LE prof.

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