La convalescence

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Kairii se réveilla dans son futon. On avait soigné et bandé sa blessure : par une chance inouïe, elle avait traversé le muscle intercostal sans causer aucun dommage aux organes. L'hémorragie avait été stoppée.

— C'est un miracle, s’exclama le patron en posant les yeux sur lui. Tu nous as donné des sueurs froides, Yuki. Perdre un tayû, le joyau de notre établissement, pour une bête histoire de bains ! Ce danna est fou de toi. Il se rongeait les ongles pendant toute ta convalescence, envoyant messager sur messager et faisant déjà les préparatifs pour se suicider ! Il t'a sauvé la vie en te ramenant ici et en t'envoyant les meilleurs médecins, alors montre-toi reconnaissant.

— Il m'a tiré dessus, murmura Kairii.

— Parce que tu t'es encore comporté comme un fou furieux, répliqua le vieil homme en frappant sa pipe sur le cendrier. Essaie de te montrer raisonnable. Il a payé grassement pour les dommages occasionnés aujourd'hui... Et je l'ai appointé à devenir l'un de tes réguliers. Je compte sur toi pour être affectueux.

Kairii tourna la tête sur le côté. Cette fois, il était définitivement vaincu.

Le rônin vint le rejoindre plus tard dans la semaine. Kairii était encore en convalescence. Mais sans autre formalité, alors qu'il dormait, la respiration sifflante et difficile, Sakabe tira le drap d'un coup sec, dévoilant le corps du garçon, vêtu d'un simple yukata.

Kairii ne put pas faire grand chose lorsque l'homme lui écarta les genoux. Il n'avait pas le choix.

— Je ne peux pas me passer de toi, Yuki, fit le ronin en le fixant d'un regard où couvait la braise. Une semaine, c'était trop... Laisse-moi t'aimer !

Kairii ne put s'empêcher de grimacer sous les coups de butoir de Sakabe. Cela faisait une semaine qu'il était allongé là : il se sentait sale, diminué. En outre, sa blessure le faisait souffrir.

— Arrêtez, finit-il par grincer en tentant de repousser le samurai. Vous me faites mal !

— Ah ? Enfin une réaction ? Tu ressens quelque chose, alors ! exulta le rônin.

Il attrapa Kairii par les épaules et le retourna. Il finit son affaire ainsi, ignorant les exhortations de Kairii à arrêter.

Ce dernier n'avait plus la force de se défendre. Le rônin s'en rendait compte, et il en profitait.

— Tu es à moi, murmura-t-il dans son oreille. Rien qu'à moi.

— Mon corps est à tous ceux qui payent, répliqua Kairii d'une voix éteinte. Mon esprit... Il n'appartient à personne.

Le samurai le retourna à nouveau. Il le regarda, les sourcils froncés.

— Pourquoi tu ne te soumets pas ? Je te traiterais bien, tu sais. Mieux que je ne le fais maintenant. Tu es trop arrogant, tu m'obliges à te brusquer. Regarde ce qui est arrivé ! À cause de ton entêtement, on a frôlé le drame.

— Je doute que vous connaissiez autre chose que ce mode d'action, de toute façon, lui répondit le jeune homme, que la douleur avait fatigué.

Sur son yukata blanc, le sang de sa blessure rouverte avait déjà formé une fleur rouge, qui s'étendait de plus en plus. Sakabe s'aperçut qu'il avait du sang plein les mains.

— Tu saignes…observa t-il, comme fasciné.

Allongé sous lui, Kairii gardait les yeux fermés, les sourcils froncés et la respiration haletante. Ses poings crispés s'agrippaient au drap, alors qu'il se concentrait pour garder les battements de son cœur affolé sous contrôle. La douleur et la colère, associées à la fatigue, l'avaient fait entrer dans un état second, qu'il avait bien du mal à maitriser.

— De l'opium..., grinça t-il en tendant les doigts vers la boîte en laque qui contenait l'opiacée. Donne-moi de l'opium. Vite !

Sakabe obéit sans réfléchir. L'état de crise manifeste du garçon l'effrayait. Il alluma la longue pipe d'acier fébrilement, faisant tomber la braise sur le drap. Lorsqu'il lui tendit enfin le nécessaire à fumer, Kairii le balaya d'un coup violent, avant de rouler sur son côté gauche, la respiration saccadée. Le rônin crut qu'il s'étouffait. Sous le garçon, le sang formait déjà une véritable mare.

— Yuki..., murmura-t-il, impuissant.

Alerté par le bruit, Harumi avait entrouvert la cloison. Il se précipita en apercevant la scène, laissant sur place le plateau de thé qu'il portait.

— Reculez, s'il vous plait, demanda-t-il avec des gestes qui trahissaient son inquiétude. Ce garçon est spasmophile : il a besoin d'air.

Sakabe dut s'exécuter, alors que l'intendant du Kikuya dégageait la blessure de Kairii. A la porte, des kagema s'aglutinèrent, bientôt chassés par le patron.

— Allez chercher le médecin ! hurla celui-ci avec emphase. Dites lui que Yukigiku est en train d'étouffer dans son propre sang !

Il appela les aides du Kikuya, qui à leur tour allèrent chercher le docteur. Bien entendu, Harumi avait volontairement noirci le tableau : le poumon n'était pas touché. Mais le praticien, après avoir recousu la plaie et stabilisé le garçon enfin calmé et endormi, préconisa au moins deux semaines de repos complet.

Complet, fit-il sans oser regarder le samurai. C'est à dire pas de travail de chambre. Si vous voulez qu'il meure, le forcer à de telles activités alors qu'il n'a pas encore récupéré est le meilleur moyen !

Sakabe dut battre en retraite. Provisoirement.

Durant cet intervalle, il couvrit Kairii de cadeaux. Il ne se passait pas une journée sans qu'il ne lui fasse amener quelque chose : des mandarines, de l'eau de vie de Satsuma, un nouveau kimono en soie, un éventail précieux...

— Cet homme est en train de se ruiner pour toi, lui dit le patron. Guéris vite, et récompense-le bien.

Kairii n'avait aucune intention de le « récompenser ». Il ne cessait de rêver à sa mort, grimaçant dès qu'il repensait à son visage. Cette intention dut être entendue en haut, car le rônin cessa soudain de venir : il envoya un message au Kikuya, expliquant, désolé, que son seigneur l'avait finalement rappelé à Kaga, de l'autre côté du pays, et que par conséquent, il ne pourrait plus venir pendant un petit bout de temps. Il concluait en exprimant sa peine de ne pas avoir pu embrasser une dernière fois son amant avant de partir. On devina qu'il était ruiné, ayant consacré tout son argent à amadouer Yukigiku pour obtenir son pardon, et que le seigneur Maeda avait eu vent de l'affaire. Lorsqu'on lui lut la lettre, Kairii exulta si fort que son rire sardonique fut entendu de l'autre côté de la rue.

— Le voilà bien puni, sourit-il largement. À Kaga, les bordels de garçons sont interdits... Ce porc va devoir se serrer la ceinture !

Kairii imputait ce revers de fortune non pas à un coup de chance, mais à sa propre volonté. Il trouvait que le samurai, en dépit de toutes ces belles déclarations, n'avait pas trop insisté. Il s'était probablement déjà lassé de lui... Ou avait dû effectivement être dégoûté, en le voyant blessé et non apprêté. Peut-être que le voir en crise lui avait fait peur. Les clients étaient tous pareils, de toute façon.

Pour les kagema du Kikuya, il ne faisait aucun doute que le tayû s'était arrangé pour que le rônin soit vite éloigné d'Edo. C'était une chance pour cet homme de retrouver du travail chez un seigneur, mais tout le monde était sûr qu'il lui arriverait quelque chose de funeste. Ce n'est qu'une question de temps, disait-on.

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