La première fois

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(Dans la version finale, ce segment sera placé à la fin du chp "la colle et le baton") 

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Si tu ne l’as jamais fait par derrière, dis-le tout de suite.

Voilà le conseil que le putain Naogiku, le « chrysanthème sincère », lui avait donné comme cadeau de bienvenue. Cette évocation malvenue le força à se remémorer les terribles circonstances dans lesquelles il avait perdu sa virginité. Ce n’était pas avec Tai, ni avec quelconque autre jeune homme plus âgé qui l’aurait initié dans les règles de l’art, dans le cadre d’une relation consentie entre deux guerriers se vouant affection et respect mutuel. Cela avait été Otsuki Sadamaro, son pire ennemi.

Après sa capture par les hommes des Otsuki, Kairii s’était rebellé. Il avait récolté quelques coups de fouet en guise de punition. Puis on l’avait laissé sur place, horriblement affaibli, surveillé et soigné par des gardes préposés. Très vite, Sadamaro était venu lui rendre visite en personne sur son lit de douleur.

— Je vois que tu guéris vite, avait-il observé en voyant le dos zébré qu'on lui montrait. Tu n'es pas Onimasa pour rien !

Kairii lui avait jeté un regard noir. Depuis le début, cet idiot s'obstinait à l'appeler Onimasa : il ne cherchait même plus à le contredire.

— Et tout ça sans desserrer les dents, en plus, avait poursuivi son bourreau avec un sourire vainqueur. On dirait que tu ne sens pas la douleur. Tu verserais une petite larme, pourtant, si je faisais tuer ton ami ?

— Ne le touchez pas, avait grondé Kairii en réponse. S'il lui arrive quelque chose, je peux vous dire que vos trois pauvres coups de fouet aurons l'air d'une vraie partie de plaisir, comparé à ce que je vous ferais subir !

Sadamaro s’était contenté de sourire.

— De nouveau menaçant, avait-il dit en posant sa main sur les reins dénudés du garçon. Tu es vraiment une créature indomptable !

Le contact de la main honnie avait immédiatement raidi Kairii. Ignorant la douleur qui lançait son dos, il s’était redressé :

— Ne me touchez pas !

Sadamaro l’avait contemplé froidement, son regard plus calme et cruel que celui d’un serpent.

— Du calme, avait-il articulé d'une voix glaciale. As-tu oublié qu'un seul mot de moi peut mettre ton petit Taito sous le couteau du bourreau ?

Kairii s’était immédiatement recroquevillé.

— Non... Ne lui faites rien, avait-il obtempéré, soudain vaincu.

Il ne lâchait plus Sadamaro des yeux. Qu'est-ce qu'il allait faire, encore ?

Le seigneur des Otsuki avait souri, satisfait.

— Voilà qui est mieux. Allez, allonge-toi. Tes blessures ne sont pas encore guéries. Vous, passez-lui de la pommade, avait-il ordonné en faisant signe à un sbire.

Sa méfiance à peine endormie, Kairii s'était allongé lentement, posant sa tête dans ses bras croisés. Il avait frissonné de déplaisir lorsque la servante qui s'occupait de le soigner avait passé ses mains sur son dos, sous le regard attentif de Sadamaro.

Son instinct lui avait crié de fuir lorsqu'il avait senti des mains inconnues s'affairer lentement sur sa peau. Elles étaient fortes mais doucereuses, horriblement lentes et insistantes. Kairii avait vu tous ses poils se hérisser un à un à ce contact désagréable. Il s’était tortillé, avait grincé des dents. Pour le jeune homme, ces caresses avaient semblé plus insoutenables encore que la pire des tortures.

— Allons, avait minaudé Sadamaro, les deux mains collées sur le dos de Kairii. Laisse-toi faire un peu. Ce n'est pas agréable, de se faire masser par un seigneur ?

— Ne me tripotez pas. J'ai horreur de ça !

Kairii n'avait jamais laissé quelqu'un le toucher, si ce n’est Tai qui se montrait toujours très respectueux de son intégrité physique, et voilà que cette ordure de Sadamaro posait ses mains sur lui !

— Lâchez-moi, je vous dis ! avait-il protesté en sentant la main insistante de l'homme sur son sillon fessier.

Mais c'était trop tard. Au-dessus de lui, le masque raffiné de Sadamaro avait laissé la place à un rictus de loup affamé. Ce seigneur qui donnait l’illusion d’un tel contrôle de soi transpirait à grosses gouttes, la respiration lourde et irrégulière. En cherchant à se retourner, Kairii l’avait aperçu en train de s'affairer sur la ceinture de son kimono.

— Tu vas me donner ton petit cul bien gentiment, avait-il haleté d’une voix rauque. Sinon, tu sais ce qui arrivera à Tai !

Kairii n’avait plus pensé à Taito. Il s’était débattu avec la rage du désespoir, alors qu'au-dessus de lui, Sadamaro tentait de le déshabiller.

— Viens me le tenir, imbécile ! avait-il ordonné, impatient, au garde près de la porte.

L'homme s’était précipité à la rescousse. Il avait saisi Kairii par les épaules, lui collant la tête au matelas.

Cependant, le garçon avait continué à se débattre. Ni le garde ni Sadamaro n'étaient parvenus à le contenir, et la petite séance plaisante que ce dernier avait imaginée s’était vite transformée en impitoyable lutte au corps à corps.

— Mais enfin, s'était écrié Sadamaro, les deux mains prises par Kairii, tu vas te calmer, oui ! Tu veux la mort de ton ami, c'est ça ?

Maintenant qu’il avait compris les intentions de son ravisseur, Kairii se défendait comme une bête enragée. Il était resté sourd aux menaces et aux tentatives de séduction de Sadamaro.

Le garde s’était soudain redressé en hurlant, les orbites en sang. Avec deux doigts ouverts en V, Kairii lui avait crevé les yeux.

— À la garde ! avait hurlé Sadamaro, la main sur le cou de son adversaire. Qu'on m'aide à maîtriser cet animal !

Kairii avait interrompu son appel en le mordant violemment. Sadamaro avait lâché prise, et le garçon s’était précipité dehors, affolé. Mais un coup de bâton en pleine tête l'avait arrêté net dans sa course. Il avait vacillé, incertain, avant de s'écrouler.

Kairii s'était réveillé avec un goût ferrugineux dans la bouche. Son propre sang, qui coulait d'une plaie au front. Il lui avait fallu un certain temps pour savoir où il avait le plus mal : à la tête, à la gorge, ou au rectum, qui le brûlait violemment.

Le jeune homme avait ouvert de grands yeux affolés. Quelqu'un s'affairait au dessus de lui. Il pouvait entendre sa respiration lourde, ses halètements et ses grognements de plaisir. Il avait voulu se retourner, mais ce fut en vain : on l'avait sévèrement garroté, et le moindre mouvement manquait de l'étouffer.

La panique, associée à la pression de la corde sur sa gorge, l’avait fait tousser. Il avait sentit son cœur s’accélérer, et une froide transpiration lui mouiller la nuque et le front. Luttant pour respirer, la langue sortie, il s'étouffait... Le gémissement de plaisir de Sadamaro lui parvenait d'un au-delà lointain, et la main détestable de ce dernier était venue fouiller ses cheveux.

— Tout doux, l'avait-il entendu murmurer. Calme-toi, mon joli. C'est fini... Pour le moment.

Kairii avait grimacé de douleur lorsque Sadamaro s’était retiré de son rectum en feu. Il avait été pénétré... Sadamaro l'avait violé.

— Tu vois, avait triomphé l'odieux, doucereux. Tu t'en faisais toute une montagne, mais c'était rien du tout ! Tous les garçons passent par là. J'étais déjà bien étonné de te découvrir vierge ! Enfin, ce n'est plus le cas maintenant.

Un bref gloussement avait suivi cette détestable annonce, puis une nouvelle caresse, désinvolte, sur son visage. Amorphe et absent, la joue collée contre la paille froide du tatami, Kairii n’avait pas réagi. Il n'avait plus la force – ni l'envie – de lutter.

— Donnez-lui à boire, avait ordonné son bourreau. Ah, et nettoyez-le un peu... Je reviendrais le voir tout à l'heure.

Le bruit d'une cloison qu'on referme. Avant de sombrer, le garçon avait senti l'eau couler entre ses lèvres, froide et coupante.

Sadamaro était revenu. Il l'avait violé, encore et encore. Sur le dos, lui maintenant les jambes et les articulations écartelées, sur le ventre, en lui écrasant le visage contre la terre battue, mais toujours solidement attaché et garroté. Il avait été absolument impossible au jeune homme de défendre sa dignité. L'esprit brumeux et le corps au supplice, il ne pouvait que supporter les assauts, avides et brutaux, de Sadamaro. Il le faisait en silence, encore stupéfait de subir de tels outrages.

Comme tous les jeunes de son sexe et de son milieu, Kairii savait ce qu’était le nanshoku, l’amour des garçons. Il avait toujours regardé la chose comme une coutume lointaine, qui ne le concernait pas. Kairii n'aurait jamais pu s'imaginer être l'objet d'un intérêt charnel. Qu'on cherche à s'approprier sa puissance, son nom, ses titres, ça il pouvait comprendre... Mais le posséder sexuellement ! Qu'est-ce que ces gens trouvaient au coït de si fascinant, pour qu'ils commettent des crimes pareils et s'attirent les foudres des dieux ? Lui-même ne pensait pas à cela. Il avait une voie à suivre, une vindicte à accomplir. Il était le bras armé des Neuf Démons. L’instrument de leur vengeance. L’incarnation de leur colère.

Si l’autre monde était l'enfer du feu et métal, ce monde ici-bas était l'enfer de la chair. Tout était chair. Et lui aussi, désormais. C'était ainsi. Il n'y pouvait rien.

Voilà à quoi il avait pensé alors que Sadamaro le violait. Il y pensait le lendemain, lorsqu'il avait enfin été seul, l'anus en sang et le corps couvert d'une sueur froide et graisseuse.

Au petit matin, alors que le soleil dardait ses rayons sur les toitures endormies de Yushima, le garçon y pensait encore.

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