Taito : évasion

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Je me réveillai avec un mal de crâne épouvantable, les extrémités cisaillées par une douleur non moins cuisante. En ouvrant les yeux, je me rendis rapidement compte qu'on m'avait attaché en l'air, suspendu par les poignets et les chevilles. Pire encore, j'étais entièrement nu, sans armes ni vêtement, un bâton de bambou passé entre les dents. Un gibier avant qu’on le passe à la broche.

La peur me prit immédiatement. J'étais à la merci de mes adversaires, mis dans l'incapacité de me défendre, ou même de me suicider. Bientôt, on allait venir me chercher pour pratiquer sur moi ces tortures dont m'avaient menacé mes ravisseurs. Mon cœur se mit à battre plus fort : je suais déjà à grosses gouttes. Mais ce n’était pas le moment de paniquer. Je retrouvai mes esprits et convoquai toute ma volonté pour regagner mon sang-froid. J'étais entraîné pour faire face à ce genre de situation. Au pire... Il allait bien falloir qu'il m'enlève mon bâillon pour m'interroger. Je n'aurais plus qu'à me couper la langue avec mes dents, à ce moment-là.

Cette résolution me permit de retrouver mon calme. Ma respiration s'apaisa et je pus à nouveau penser clairement.

Normalement, lorsqu'il était inévitable d'être attaché, je contractais tous mes muscles et emplissais mes poumons pour pouvoir créer du jeu entre mon corps et les liens en me détendant. Mais cette fois, on m'avait attaché alors que j'étais inconscient et donc incapable d'opérer ce tour de passe-passe. En outre, on m'avait lié étroitement, avec des nœuds solides et complexes et une corde visiblement d'excellente qualité. Avec la bouche prise et les deux mains immobilisées, je n'avais même pas le moyen d'opérer la plus petite des invocations que je connaissais. Mais Kiyomasa, un jour d'ennui, m'avait montré une technique pour se libérer au prix d'un déboitage de pouce. C'était juste une question de pratique, et de concentration. Je m'étais entraîné dur pour la reproduire, au point d'abimer mes articulations et de les rendre beaucoup plus laxes.

Au prix de quelques minutes de concentration et de frottements intenses sur la corde, je réussis à dégager le pouce de ma main droite. C'était le moment le plus dangereux. Il ne fallait pas que cette victoire brise ma concentration... la tête en bas, couvert de sueur, une chaleur intense montant du ventre malgré le froid, je travaillais la corde avec prudence et détermination. Cette dernière finit par se détendre, libérant mes mains. Je me redressai par une forte traction des abdominaux et attrapai la corde qui gardait mes pieds liés. Bientôt, elle se rompit, et je sautai pour retomber sur mes pieds, me retrouvant agenouillé par terre.

Il ne me restait plus qu'à attendre qu'un garde ou un bourreau quelconque vienne me chercher. Cela arriva peu de temps après. Posté, immobile, derrière la porte depuis un long moment, j'entendis enfin des pas de l'autre côté du battant. Un bruit de clés se fit entendre et elle s'ouvrit. Pour ma grande chance, l'homme était seul : ce fut facile de lui rompre le cou avant qu'il ne se rende compte de quoi que ce soit et de revêtir ses vêtements. Comme tous les sous-fifres promus aux plus viles tâches, il avait le visage couvert. Je lui pris ses armes, la torche qu'il portait et sortis dans le couloir après avoir refermé la porte derrière moi.

Ma prison se trouvait dans le sous-sol d'une place forte. En sortant, je débouchai sur une cour éclairée de plusieurs petits brasiers, autour desquels se tenaient plusieurs hommes en arme. Lorsque je passais près de l'un d'eux, on m'invectiva.

— Eh bien, on peut dire que t'as fait rapidement !

Je hochai la tête.

— T'as raison. Il a beau être aussi adorable qu'un jeune lapin des neiges, faut faire attention avec ce môme. C'est un shinobi no mono, un tueur de quelque metsuke, employé pour accomplir des tâches qui vont à l’encontre du code du guerrier et de la morale. Le genre de gamin entraîné à l'assassinat furtif depuis son plus jeune âge, capable de t’égorger d’une oreille à l’autre avant même que tu l'aies vu. Son petit air innocent, c'est qu'une couverture... On a retrouvé une bonne vingtaine d'armes de jet sous son kimono, toutes trempées dans le poison. T'as bien enduit ton radis d'huile de sésame avant de lui faire son affaire ?

Je hochai la tête à nouveau.

L'homme, dont le visage était découvert, me sourit, dévoilant une dentition en mauvais état, le tout accompagné d’une écoeurante odeur de chair rance.

— C'était bon ? Il est étroit comme un petit garçon, non ?

Je continuai à acquiescer en silence.

— Bon, je vais y aller aussi, fit l'homme en posant sa hallebarde contre le mur. Puisqu'il sera exécuté demain, de toute façon... autant profiter de ce mignon tant qu'on le peut encore !

Je profitai de cette seconde d'inattention pour lui tordre le cou. Il s'écroula en silence dans mes bras, entre lesquels je le laissais glisser avant de le caler contre le mur, comme s'il montait toujours la garde. Il avait raison : j'étais effectivement rompu à l'art de l'assassinat furtif.

Il me fallait trouver le jeune seigneur au plus vite et partir d'ici avant que les corps ne soient découverts et l'alerte donnée. Mais j'eus beau le chercher partout, je ne le trouvais pas. Finalement, je me décidais à tenter le tout pour le tout et à aller interroger un garde.

J'en attrapai un qui avait l'air d'un capitaine dans un couloir sombre et le tirait à l'intérieur d'une pièce, le couteau sous la gorge.

— Où est l'autre garçon, demandai-je, celui qui est arrivé avec moi ?

— Il n'est pas ici, me répondit péniblement l'homme.

— Où sommes-nous, ici ?

— Dans une place forte du seigneur Otsuki, près de Nagoya.

— Où ont-ils emmené le garçon ?

— À l’ancienne capitale, me répondit le garde.

Je poussai la lame plus près de sa gorge.

— Où ?

— À la résidence du seigneur Otsuki, au Ninna-ji, fit-il.

Sa voix était de plus en plus hésitante.

—Pourquoi l'ont-ils emmené là-bas ? insistai-je. Dis-moi tout et n'omets rien. Si tu parles, je te laisserais la vie sauve.

Cela sembla rassurer le garde.

—Le seigneur Otsuki veut le placer dans son sérail de serviteurs, m'apprit-il, pour en faire son favori.

L'homme raffiné qui nous avait attaqués était donc Otsuki Sadamaro, le dernier héritier en titre de la némésis des Kuki. D'après ce qui se murmurait à Iga, c'était un pervers dévoyé, pédéraste, passionné de théâtre et d'acteurs adolescents, qui entretenait en outre une fascination morbide pour son ennemi juré, Kuki Kiyomasa, le père de Kairii.

— Merci, dis-je avant de faire glisser ma lame sur la gorge du garde.

— Mais vous aviez...

La suite se perdit dans un gargouillement inaudible.

— Je suis un shinobi no mono, répondis-je au mort dont le corps s'affalait sur le sol. Un chien de guerre sans honneur. Et toi, tu étais un chien tout court.

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