Taito : Hanai Sozaburô I

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Je me précipitai vers la sortie du théâtre. Mais le temps que j'arrive dehors, une bonne trentaine de minutes avaient passé, et les acteurs avaient déjà quitté les lieux. Quelques bataillons de dôshin arrivaient pour faire revenir l'ordre, tandis que des parias nettoyaient avec du sable les restes de ce qui semblait avoir été une rixe au sabre. J'aperçus qu'on transportait des corps ensanglantés, roulés dans des nattes de paille.

— Qu'est-ce qui s'est passé ici ? m’enquis-je en m'approchant de l'un d'eux.

Surpris, le vieil homme releva un regard morne sur moi.

— Vous ne savez pas ? Un jeune acteur de kabuki, Kikuya no Yukigiku, a soudain été pris de folie meurtrière... Il s'est emparé du sabre d'un samurai et s'est mis à attaquer la milice qui gardait le théâtre pour y entrer. Il cherchait un certain Tai-chan... Son amant, sûrement. C'est pour ça que l'entrée a été bloquée si longtemps.

Je sentis mon estomac tomber dans mes jambes.

— Qu'est-ce qui lui est arrivé ? demandai-je d'une voix tremblante.

Non, faites qu'il soit vivant... Qu'on ne l’ait pas tué !

— Les hommes de son danna qui étaient en route pour le chercher après la pièce sont arrivés en renfort, et ils ont réussi à le maîtriser... Il était comme un tigre enragé ! Je ne me doutais pas que les acteurs pouvaient être d'aussi fines lames. C'est vraiment quelque chose, ce Yukigiku !

— Vous savez où ils l'ont emmené ?

Le vieillard me jeta un regard suspicieux.

— Dans les prisons d'Edo, sûrement ? J'en sais rien. Les fonctionnaires savent. Pas moi.

Il remballa son attirail et s'en alla.

Je me retrouvai bientôt seul dans la rue. Le dernier paria resté à balayer finit par vider les lieux, et la nuit tomba brutalement, comme un rideau qu'on tire enfin sur la scène. Je me sentais vide, abattu et désespéré.

Cependant, alors que je marchais lentement dans la rue principale pour retourner vers les maisons de thé, déterminé à prendre d'assaut les prisons de la ville à moi tout seul, un jeune homme bien habillé, les hanches ceintes de deux sabres et dont la mise détonait dans cet environnement sale, vint à ma rencontre. Il s'arrêta à ma hauteur et salua.

— Je suis l'intendant du seigneur Hanai Sozaburô, fit-il en se présentant. Ce dernier est un admirateur de Yukigiku et vous ayant vu au théâtre, il aimerait vous inviter dans une maison de thé pour discuter entre amateurs de kabuki.

Je devinai que ce seigneur Hanai n'était autre que la personne cachée derrière le paravent, dans la loge privée. Un personnage important, sûrement... Y voyant une opportunité non négligeable, j'acceptai.

Le jeune attendant me conduisit dans une maison de thé non loin, à l'intérieur de laquelle m'attendait Hanai dans une pièce privée. Je le saluais, accompagnant mon entrée de toute l'étiquette des bushi que j'avais pu apprendre ces derniers mois.

— Je me nomme Nagisa Taito, me présentai-je, de la province indépendante d’Iga. Je crains de ne pas être un interlocuteur digne de vous : je suis de bien moindre rang, et je n'ai aucune connaissance en théâtre.

— Ce n'est rien, répondit Hanai en posant une tasse de saké devant moi. Je vous ai vu au Nakamura-za, et j'ai été étonné qu'un samurai aussi jeune s'y rende. Vous semblez bien connaître Yukigiku ? Vous l'avez appelé par son nom d'avant, si je ne me trompe. Kairii, c'est ça ?

Le dos droit et les mains sur les hanches, je gardai le silence. Je ne touchai pas à la coupe de saké non plus.

— Pour vous répondre sincèrement, lui dis-je en le regardant dans les yeux, je suis venu libérer mon ami de ce joug odieux sous lequel il est maintenu.

Hanai me regarda, intéressé.

— Qui est ce jeune homme, exactement ? me demanda-t-il en portant sa coupe à ses lèvres. Ce n'est pas un kagema ordinaire, n'est-ce pas ?

— C'est un jeune fils de famille noble, d'un clan dont je ne peux pas révéler le nom, répondis-je. Il a été amené ici en otage suite à une machination sournoise, et pour l'humilier on l'a forcé à se produire sur scène... avec tout ce que ça implique.

Le daimyô leva un sourcil.

— C'est pourtant un acteur de premier ordre, observa-t-il, je serais étonné qu'il n’ait reçu aucune formation en arts de la scène. Peut-on savoir par quel chantage on a réussi à lui faire accepter cela ?

On a menacé de me tuer, moi, son vassal et compagnon d’armes, s'il n'obéissait pas. Mais c'est fini, maintenant : je suis ici, et je suis déterminé à tout faire pour sauver mon seigneur. Absolument tout.

Hanai me fixa.

— Deux jeunes guerriers, unis par l'amitié, prêts à tout l'un pour l'autre... C'est exactement comme dans la pièce que l'on vient de voir. Comment tu as dit que tu t'appelais, déjà ?

— Nagisa Taito, répondis-je d'une voix ferme.

— Et comment comptes-tu t'y prendre pour récupérer ton ami, Nagisa Taito ?

— Je vais le racheter, fis-je naïvement.

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