Taito : le fils de la dame des neiges V

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La résidence d'hiver du jeune seigneur Otsuki disparut cette nuit-là. Kairii ne se calma que lorsque tout fut réduit en cendres. Au petit matin, alors que les pompiers de l’ancienne capitale luttaient pour éviter que le feu ne se propage et ne carbonise toute la ville, mon compagnon s'enfonça dans la montagne Rentai. Il alla se laver dans la rivière, laissant son vieux kimono tâché de sang s'éloigner dans le courant. Avec le wakizashi que je lui avais donné, il se coupa les cheveux comme s'il allait rejoindre les ordres. Puis, entièrement nu, il entra dans une habitation adjacente pour dévorer du riz à même les fourneaux. On le laissa faire, sagement. Derrière lui, je donnais quelques pièces au paysan qui le regardait partir, éberlué, en lui demandant s'il n'avait pas un vieux kimono à me vendre. Puis, le vêtement dans les bras, je suivis Kairii dans la forêt à nouveau.

Il s'installa dans le creux d'un arbre pour dormir, sombrant dans le sommeil aussitôt après avoir fermé les yeux. Je le couvris du kimono que j'avais acheté et restais à côté de lui, songeur. Il ne m'avait pas adressé un seul mot depuis qu'il m'avait demandé mon arme.

J'essayai de réfléchir à ce que je devais faire. À sa place, comment aurais-je réagi ? Kairii et moi avions tout vécu ensemble, nous étions comme deux frères qui n'avaient aucun secret l'un pour l'autre. Mais cette année de séparation nous avait irrémédiablement éloignés. Mon rôle en tant que vassal et compagnon, c'était de rester là, en silence, en attendant qu'il revienne vers moi.

Il le fit dès son réveil le lendemain. J'étais resté devant l'arbre une bonne partie de la journée, puis j'étais parti chasser. J'étais en train de cuire des lapins lorsqu'il débarqua dans mon dos, vêtu du kimono dont je l'avais recouvert la veille. Il vint s'asseoir près du feu, les yeux posés sur les braises.

Je lui jetai un regard de côté.

— Comment vous sentez-vous ? commençai-je d’une voix qui devait terriblement manquer de naturel. Vous avez faim ?

— Très, répondit-il, la voix quelque peu cassée.

— Attendez encore un peu, lui dis-je. C'est bientôt cuit.

Je le vis sortir quelque chose de sa manche et l'observer minutieusement. C'était l'un des clous de charpentiers qu'on lui avait enfoncés sous les doigts.

Je tournai la tête. Comme moi, Kairii était un guerrier qui avait voué sa vie à la vengeance : il était donc déjà mort. Mais savoir qu'il avait été forcé à la prostitution puis torturé et violenté pendant des mois, à la merci des désirs sordides de nobles décadents, sans qu'on lui laisse la moindre possibilité de défendre son honneur, me rendait malade.

— Je suis impardonnable, lui murmurai-je sans le regarder. Je n’ai pas réussi à vous retrouver plus tôt. Cela m’a pris un an pour vous localiser... Un an de trop.

Je sentis le poids de son regard sur moi. Du coin de l'œil, je le vis refermer son poing sur le clou, le glisser dans son kimono puis tendre sa main dans le feu pour attraper un des lapins.

— T'en fais pas, fit-il en croquant dans la viande. Je suis déjà mort pour le monde. Et puis maintenant, j'ai une raison actuelle et personnelle de m'en prendre aux Otsuki. Ces chiens... Ils vont me le payer. Je vais tous les massacrer. Jusqu’au dernier enfant.

Je relevai les yeux vers lui. Ses joues avaient repris des couleurs, et il mangeait avidement, comme s'il ne s'était rien passé.

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