Taito : Le fils de la dame des neiges I

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J'arrivai à l’ancienne capitale au début du deuxième mois lunaire. La ville était ensevelie sous la neige, comme toujours à cette époque de l'année, et il faisait un froid à briser les os et fendre les pierres. Je pris mes quartiers dans l'auberge d'un quartier de passage, histoire de passer inaperçu. Là, j'écoutai, j'observai, et réfléchis à un plan pour infiltrer la résidence des Otsuki.

La grande majorité des seigneurs entretenaient des relations intimes avec des vassaux, à qui ils donnaient des postes d'importance. Les plus riches et puissants de ces seigneurs, tels que les shogun et grands chefs de clan, possédaient en plus de leur officiel de véritables bordels de garçons, gérés par leurs intendants et amants qui les sélectionnaient dans toutes les maisons de passe et les campagnes du pays.

Le jeune prostitué que j'avais rencontré à Yushima, Kankyūrō, avait lui aussi officié dans l'un de ces endroits en tant que « bien du seigneur ». À l'écouter, il s'agissait de l'un des travaux les plus faciles et agréables qu'il eut faits : il n'avait eu qu'un seul homme à contenter, il était nourri, chauffé, logé et blanchi, et en outre, eu égard au nombre élevé de ses condisciples, n'était pas de « service » tous les soirs. Malheureusement, le seigneur avait fini par se lasser de lui, et après l'avoir enlevé à son précédent patron, il le jeta dehors sans ménagement, au bout de quelques mois. Au moins, il n'avait pas été tué.

« Le souci dans ce boulot, m'avait-il dit, ce sont les concurrents. Les intendants, surtout. Ils peuvent se montrer vraiment cruels et faire de ta vie un enfer. C'est eux qui gèrent tout : pour pouvoir devenir le ''compagnon de lit'' ou l'amuseur d'un seigneur, il faut leur plaire. »

C'est sur ces conseils précieux que je bâtis mon plan d'infiltration. Je ne pouvais pénétrer la forteresse par la force, ni même l'approche furtive : elle était trop bien gardée. Je décidais donc, fort de mon expérience de Yushima, de trainer dans le quartier chaud de Miyakawa, réputé pour ses bordels de garçons et notoirement géré par les sbires des Otsuki. Je m'y établis comme joueur de shamisen itinérant, venant jouer des ballades populaires pour quelques pièces devant les maisons de thé. On ne me reçut pas très bien : j'étais soit jeté dehors, soit prié d'intégrer la maison de thé à plein temps. Mais ce n'était pas un problème, puisque mon véritable but était de me faire repérer par un rabatteur chargé de ramener de nouvelles proies à son maître. Ce qui finit d'ailleurs par arriver.

C'était une nuit très froide. Je venais de recevoir de la soupe au riz glutineux de la cuisinière d'une maison de thé, et après avoir mangé, je cherchais un coin pour passer la nuit, mon instrument – dans lequel j'avais caché mes armes – sur l'épaule. Soudain, je réalisais que j'étais suivi. Je jetais un oeil derrière moi, apercevant un homme de grande taille, vêtu de riches vêtements de soie, qui me suivait à grands pas. J'accélérais le mien, voulant faire croire que j'avais peur.

Le type me coinça dans une ruelle. Il me jeta une pièce.

— C'est combien, la passe ?

— Je ne peux pas, lui répondis-je avec une voix un peu affectée.

— Tu as tes règles ? plaisanta-t-il grassement.

— Je me réserve pour un riche danna...

L'homme s'approcha.

— Fais voir ton visage, m'ordonna-t-il en écartant le foulard qui couvrait mon nez.

Je fis mine de résister un moment, mais lui laissai le loisir de découvrir ce que je cachais, comme un bonbon emballé dans un papier. Lorsque le carré de coton qui recouvrait ma bouche et mon nez tomba, je lui jetais un regard rapide, faussement vulnérable.

L’homme me fixait, les yeux exorbités. Sa main calleuse me tenait le menton, et d’un air inspiré, il passa son pouce sur mes lèvres, lentement. Visiblement, je lui plaisais.

— Tu n'es pas vilain, dis donc... Et tu as vraiment une jolie bouche. J'ai peut-être du travail pour toi, fit-il en caressant ma peau. Tu as quel âge ?

— Seize ans.

— Des maladies ?

Je secouai la tête.

— La gale ?

— Non.

— Des hémorroïdes ?

— Non plus.

Il me regarda.

— On va vérifier, de toute façon.

Je gardai le silence.

— Bon, je t'emmène. Mais d'abord, je voudrais m'assurer que tu es bon pour ce travail... Montre un peu ce que tu sais faire.

Je m'en sortis en lui faisant une fellation. À genoux dans la neige, je dus prendre son sexe dans ma bouche et le sucer jusqu'à ce qu'il jouisse, tout en ayant l'air suffisamment convaincant. Des petits regards insolents, tels que Kankyūrō, le kagema « excellent au lit » avait pu me jeter, expédièrent l'opération rapidement. L'homme se déchargea dans ma bouche. Je fus obligé d'avaler, cachant mon dégoût. Le goût était affreux.

— C'est bien, statua-t-il en me caressant les cheveux. Viens avec moi.

Il me conduisit en palanquin jusqu'à la résidence d'hiver de Sadamaro. J'y fus introduit par une porte dérobée et conduit directement au quartier des wakashū.

— Je viens de dégoter une sacrée rareté pour sa Seigneurie, l'entendis-je dire à voix basse tandis qu'on me faisait patienter dans une antichambre. Un môme tout en longueur, avec une peau blanche comme la neige et des cheveux argentés... Non, il faut le voir avant de juger. Il est vraiment joli. Je l'offrirai à Sa Seigneurie sous l'appellation de Shirahiko, parce qu'on dirait vraiment que c'est la dame des neiges qui nous l'a apporté !

L'autre intendant sorti pour vérifier. Il resta un instant silencieux en me voyant.

— T'as raison, murmura-t-il, c'est vraiment le fils de Yukihime... J’ai jamais vu un gosse comme ça. Où tu l'as trouvé ?

— Dans le quartier des putains. Il vendait ses services comme joueur de shamisen. Ses parents ont dû le jeter à la rue à cause de ses cheveux prématurément blanchis... Je l’ai aperçu entre deux cloisons alors qu'il était venu quémander du riz dans la maison où je me divertissais, et je me suis dit que ce serait un beau cadeau pour l'hiver, spécialement pour notre Seigneur qui est un fidèle de la déesse des neiges éternelles du mont Asama.

— Tu as bien fait ! murmura l'autre homme.

Puis, sans m'adresser la parole, il me remit à un autre intendant qui me fit prendre un bain, avant de m'inspecter le corps entier, y compris la bouche et l'anus, qu'on mesura avec une série d'instruments de taille diverse et au contact fort désagréable. J'endurais sans broncher pour conserver ma couverture.

— Il fait l'affaire, décida-t-on. On le présentera à Sa Seigneurie dès son retour. En attendant, installez-le dans les appartements Ouest.

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