Sakabe Hideki : 3

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— Tu es un dur à cuire, toi, observa le rônin une fois son affaire terminée.

Kairii avait répété un bout de la pièce du lendemain devant lui, alors que l'homme, sirotant du saké, le couvait du regard. Visiblement, devoir attendre sans poser la main sur l'objet de sa convoitise mettait sa patience à rude épreuve. N'y tenant plus, il avait fini par rappeler Kairii auprès de lui au bout d'une quinzaine de minutes, sous le prétexte de se faire servir du saké.

— Tu veux que je te chante quelque chose ? lui demanda Kairii d'une voix métallique.

— C'est bon, répondit le rônin. T'en as assez fait. Je veux que tu te déshabilles, et reprendre ce qu'on faisait tout à l'heure.

Le jeune homme fit ce qu'on lui demandait. Il dénoua de nouveau son obi, puis se planta devant l'homme assit, le kimono sur les épaules.

L'autre regardait son corps avec attention.

— Tu as le ventre drôlement musclé pour un kagema, observa-t-il. D'ailleurs, c'est la première fois que je vois un prostitué aussi athlétique que toi.

Le samurai se souvenait avec un sentiment cuisant de la facilité avec laquelle le jeune homme l'avait repoussé. Un gosse de seize ans, qui passe sa vie entre quatre murs à gratter un shamisen... Normalement, les garçons qu'il montait criaient et pleuraient, soumis, écrasés par sa virilité, se trouvant incapables de rivaliser avec sa force. Mais ce Yukigiku était différent.

— Et puis, ton corps est plutôt viril si on regarde en bas, bafouilla-t-il en trempant ses lèvres dans son saké. Est-ce que c'est vraiment convenable, pour un iroko ?

Le visage neutre, Kairii le fixait.

— Qui sait ? répondit-il.

Sakabe reposa sa coupe sur le côté.

— Couche-toi, demanda-t-il. Écarte les jambes comme ça, que je vois ce petit œillet ouvert et accueillant... Oui, c'est ça. Montre que tu es prêt à recevoir ton amant... Mets-ça devant ton machin.

La vue du pénis de Kairii, qu'il devinait aussi gros que le sien, mettait le rônin mal à l'aise. Mais en même temps, ce corps résolument masculin le troublait bien plus qu'il ne voulait se l'avouer. Cet adolescent de grande taille, au corps ciselé et marqué, ressemblait aux jeunes guerriers d'antan qui se donnaient à leur seigneur et mouraient pour lui. C'était tout à fait l'un des frères Mori, les favoris de Nobunaga... Ranmaru, ou plutôt Rikimaru, deux éphèbes beaux comme la lune mais aussi affutés qu'une lame de sabre. Dans sa jeunesse, Sakabe Hideki avait rêvé de connaître une amitié virile de ce genre. Être aimé d'un farouche guerrier à la beauté indescriptible, à qui il prêtait aisément les traits de ce Yukigiku.

À l'instar des jeunes samurai chéris par leur suzerain, ce dernier ne criait pas pendant l'amour. Il restait silencieux et stoïque. Mais de temps en temps, un imperceptible froncement de sourcils de sa part mettait l'homme dans tous ses états. Effectivement, tout se jouait en subtilité avec ce kagema. Et il était véritablement d'une beauté à couper le souffle. Le rônin connu un orgasme puissant, comme il n'en a avait jamais eu, et ses reins déversèrent un fluide épais dans le rectum du jeune homme. Il ne se retira qu'une fois que les derniers soubresauts eurent extrait la dernière goutte.

— Oui, tu es dur, observa-t-il en caressant le visage de son jeune amant.

Les étranges pupilles grises de Yukigiku glissèrent sur le côté. Il fit mine d'attraper la petite serviette prévue à cet effet pour s'essuyer, mais Sakabe l'arrêta.

— Attends encore un peu.

La vue de sa propre semence, qui s'écoulait du fondement du jeune prostitué, plaisait beaucoup au rônin. Voilà, pensa t-il. C'est la preuve irréfutable que tu m'appartiens. Tu fais le fier, tu me défies peut-être, mais je me suis déversé à l'intérieur de toi.

— Alors ? insista Sakabe en le caressant. Pourquoi ton corps est-il aussi athlétique ? Tu n'as pas une petite histoire à me raconter ?

— Je t'ai déjà tout dit, soupira Kairii. Je m'entraîne aux arts de la guerre depuis que je suis tout jeune... C'est normal que mon corps soit athlétique. Si ça ne te plaît pas, baise une fille la prochaine fois.

Personne ne lui avait jamais parlé comme ça : Sakabe hésita un moment à le remettre à sa place d'un vigoureux soufflon. Mais quelque chose lui disait que ce n'était pas une bonne idée. Il choisit donc de rire de l'insolence du garçon.

— Les femmes, fit-il en étreignant son amant, n'aiment pas être prises par le fondement. Elles font tout un tas d'histoires. Et puis, rien de tel qu'un beau jeune homme pour ça.

— Parce que vous croyez que j'aime ça, en plus ? murmura Kairii.

L'homme ne répondit pas. Il s'était déjà endormi.

Kairii se leva, faisant bien attention à ne pas le réveiller. Du reste, il était prêt à l'assommer le cas échéant.

Ouvrant la cloison avec précaution, il se rendit dans la salle de bains pour se laver. Puis, après s'être récuré de fond en comble, il se faufila dans la chambre où dormait Iori. Là, il se mit à fumer, appuyé contre le mur.

— Grand frère ! murmura soudain la voix du petit garçon dans le noir.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— J'ai froid.

Kairii se leva, et il vint se glisser dans le futon de Iori. Ce dernier se serra immédiatement contre lui.

— Je n'aime pas dormir tout seul... Il fait froid, et puis j'ai un peu peur, dit-il.

— Je ne peux pas dormir avec toi cette nuit, Iori, lui répondit Kairii. J'ai un client.

L'enfant releva les yeux sur le visage de l'adolescent.

— Tu préfères dormir avec moi ou eux ?

— Toi. Je déteste dormir avec les clients.

Iori baissa à nouveau le regard.

— Le patron dit qu'on va me faire avoir mon mizusage après le nouvel an... À quel âge tu as eu le tien, toi ? Est-ce que ça fait mal ?

Kairii fronça les sourcils. Un gosse de onze ans... C'était bien trop tôt.

— Je parlerai au patron. Je trouve que tu es trop jeune pour ça, dit-il. Et puis, j'ai encore besoin de toi à mon service. Si tu commences à travailler, on ne se verra plus.

— Je veux rester avec toi, moi ! s’exclama le petit garçon en se serrant contre lui.

Kairii abdiqua : il laissa Iori le câliner, son regard froid fixé sur la cloison.

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