Taito : cette nuit-là

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Mon jeune seigneur et moi revenions du fief des Kuroda, où je l’avais aidé à accomplir la première partie de sa vengeance, lorsque cela arriva. Du clan des « Neuf Démons », trahi par son ancien vassal et abandonné par le pouvoir, il ne restait plus que nous : un bushi sans nom et un autre qui avait perdu le sien. Kairii, par décision shogounale, avait été renommé Naguki, suite à l’éradication de son clan. C’était ainsi que le gouvernement militaire avait décidé de régler la querelle millénaire qui opposait les Kuki aux Otsuki, anciens alliés des premiers. Une décision injuste, qui avait provoqué la disparition de la famille de Kairii et conduit mon père au suicide. Pour garantir le repos des âmes de nos morts, les responsables devaient tomber : Kuroda était le premier sur la liste.

Mais, au sortir de la chambre seigneuriale où nous nous étions introduits furtivement, des hommes en armes nous attendaient.

Kairii avait immédiatement réagi. Bondissant sur son sabre, il était parvenu à éviter l’arme de jet, avant de nouer ses manches de kimono à une main, le bout de sa ceinture entre les dents. J'étais déjà aux prises avec un autre adversaire : je m'étais retourné à temps pour voir un homme masqué me fondre dessus. Kairii avait voulu me prêter main forte, mais la pièce était déjà envahie.

— Tai ! avait-il hurlé en abattant la cloison d'un coup de sabre. Prends la tête de Kuroda et retrouve-moi dehors !

C'était difficile de se battre au sabre dans une pièce aussi petite. L'étroitesse du lieu nous désavantageait : les ennemis, armés de kunai et de lames de petite portée, ne commettaient pas l'erreur de venir un à un. En outre, c'était tous des combattants aguerris. J'avais juste eu le temps d’apercevoir Kairii sauter par la fenêtre dans une envolée de brocard rouge et de cheveux noirs, aussitôt suivi par les hommes masqués. C'était à lui qu'ils en voulaient.

Je m’étais débarrassé de celui qui me collait au train assez facilement, avant de plonger à mon tour. Mon ami avait sauté de toit en toit, faisant preuve d'une agilité que seuls des acrobates émérites comme nous pouvaient posséder. Pourtant, nos agresseurs suivaient. Je m’étais précipité à leur poursuite, regrettant de ne pas avoir un arc ou une arquebuse.

Kairii avait fini par sauter à terre pour se réfugier dans la cour d'un temple. Là, dans ces lieux vides loin des habitations des moines, il avait engagé le fer avec l'ennemi. Je l’avais rejoint, me mettant dos à dos avec lui.

Mais nous avions rapidement été encerclés par une bonne quarantaine d'hommes masqués. C'était une véritable petite armée qui avait été mobilisée. Aucun de ces soldats n'arborait d'armoiries ou de signe distinctif et j’avais cru qu'il s'agissait de forces rameutées pour nous faire payer l'assassinat du seigneur Kuroda, dont je portais alors la tête, accrochée à un linge par son chignon, autour de mon cou comme un sombre trophée.

— T'en fais pas, on va les battre, m’avait murmuré Kairii, confiant. J'ai remporté la mise lors de situations encore pires que celle-là.

J'étais loin de partager son optimisme. Pourtant, le cœur regonflé par le courage que mon jeune seigneur m’insufflait, je m’étais jeté au combat avec une rage accrue.

Mais nous perdions de plus en plus de terrain. Puis, un homme était sorti de l’ombre. Comme les autres, il portait un masque de démon de théâtre, mais ses vêtements étaient de meilleure facture, et un fantassin suivait derrière lui avec une arquebuse.

— Deux démons des enfers, dégoulinants de sang, dardant sur l'adversaire leurs crocs acérés et leurs regards féroces, avait-il susurré d’une voix maniérée. C'est un magnifique tableau que vous nous offrez là !

Cet homme, c’était Otsuki Sadamaro, l’ennemi juré du clan Kuki.

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