La Bête du Crépuscule

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Le crépuscule tombait sur le village. Le soleil s'enveloppait de sa couverture d'étoiles et sa lumière faiblissait de seconde en seconde. Les oiseaux fatigués se taisaient dans les arbres, et les villageois avaient déjà fermé leurs volets. Le silence était roi de ce fugace moment. Le chemin qui serpentait vers la rivière était recouvert de ce silence. Il s'enfonçait dans une brume tourbillonante et mystèrieuse qui semblait avaler la lumière.

Soudain, le silence fut détrôné. Un cheval allait au pas, sans se presser, sur le chemin assombri par la nuit tombante. Sa robe noire le rendait de moins en moins visible ; il semblait se fondre dans les ombres. Sur son dos, un homme marmonnait nerveusement. Sa silhouette était grande et bien faite et sa posture élégante tremblait comme s'il était terrifié. La pâleur de sa peau contrastait fortement avec les ténèbres de son habit et de la robe de sa monture. Il avait l'air jeune, dans la vingtaine. Ses cheveux noirs et longs reposaient sur ses épaules et ses yeux bruns et vifs lançaient des regards nerveux en tout sens, et plus particulièrement vers la brume qui semblait vouloir le dévorer. Des étincelles de peur dans son regard brillaient comme deux yeux de chat dans les ténèbres grandissantes et ses mains tremblantes serraient les rênes du cheval avec la tension nécessaire pour bouger une montagne. Elles ordonnaient au cheval de ralentir de plus en plus à mesure que les langues de brume approchaient. Mais il continuait toujours d'avancer : il avait un devoir, et il devait le remplir maintenant.

Enfin, la brume avala cheval et homme. La lumière était inexistante, et une obscurité grise régnait. L'homme ne voyait pas à un mètre davant lui. Pas un bruit ; le silence avait repris son trône. Tout semblait mort à l'intérieur ; l'obscurité, le silence et les ombres fantomatiques des arbres se dressant de chaque côté du chemin donnait l'impression d'avancer dans le royaume de la Mort. Le jeune homme pressa son cheval, mais celui-ci refusait d'avancer ; quelque chose à l'avant lui faisait peur. L'homme cria : "Avance, Black, moi non plus je n'ai pas envie d'aller là-bas, mais il le faut ! Je le doit bien à ces villageois." Black avança, mais à contrecoeur. Il suivait du mieux qu'il pouvait le chemin qui se dérobait sans cesse dans la brume.

Soudain, une ombre gigantesque se dressa. Black rua, et renversa son maître, puis repartit au galop retrouver la lumière du crépuscule. L'homme cria pour rappeler son cheval, mais celui-ci s'était déjà volatilisé. Tremblant comme une feuille, il se retourna vers l'ombre. Elle ne bougeait pas. Un bruit continu d'eau coulant perçait le silence, résonnant aux oreilles du jeune homme comme s'il n'avait pas entendu de bruit depuis cinquante ans. Il regarda mieux l'ombre qui restait immobile. L'homme souffla : ce n'était pas le Monstre. Il était arrivé au moulin à eau. Le grand bâtiment se terminait par une roue hydraulique, à l'arrêt. Cette pensée ne le rassura pas ; IL était à l'intérieur. Le jeune homme épousseta son manteau, rajusta son col et dit :

"Mon bon Archibald, tu y es."

Puis Archibald entra dans le moulin.

Il faisait noir comme dans un four. Seule, une petite bougie brillait faiblement dans les ténèbres, éclairant à peine des engrenages destinés à faire tourner la roue. Archibald s'avança lentement ; son souffle haché résonnait dans les ténèbres. Après une avancée qui lui parut inteminable, il arriva enfin à la bougie. Il la prit et la tourna autour de lui ; d'immenses et fantastiques ombres se dessinèrent sur les murs, mais rien ne bougea. Un escalier montait, se perdant dans le noir. Archibald monta. L'escalier montait en tournant autour d'une rangée verticale d'engrenages; on ne voyait pas le haut. Chaque moment était étiré à l'infini ; la montée prit une éternité. Enfin, Archibald arriva à un palier où brillaient de nombreuses fenêtres ; le soleil n'était pas encore totalement couché, et les étoiles n'étaient pas encore toutes présentes dans le ciel. La lumière était faible, mais les yeux d'Archibald désormais habitués aux ténèbres furent éblouis. La nuit n'était pas encore tombée ; Archibald avait encore un peu de temps devant lui.

Une silhouette se profila sur les étoiles et Archibald poussa un cri. C'était un de ces monstres hideux et fantastiques qu'on rencontre dans les mythes les plus anciens, et qui ont effrayé et tué tant de malheureux avant d'être à leur tour massacrés par les héros. C'était un de ces monstres chimèriques et légendaires qui tiennent de nombreux animaux à la fois : des serres griffues côtoyaient une gueule crocodilienne et une masse d'ours ; des ailes gigantesques étaient pliées sur un dos tapissé d'écailles, et des pattes de cheval finissaient le monstre. Avant qu'Archibald n'ait pu réagir, les serres du monstre s'abattirent sur lui dans un souffle effrayant et griffèrent son visage. Il tituba près d'une fenêtre et lâcha sa bougie. Il l'entendit plonger dans l'eau à plusieurs mètres en contrebas. Les mains repliées sur le visage, il ne vit pas la serre du monstre s'abattre encore sur ses mains cette fois et le pousser dans le vide.

La chute ne dura pas longtemps ; à peine était-il tombé qu'Archibald sentit l'eau claquer sa peau. La douleur monta vivement et Archibald, étourdi, se serait noyé si dans un élan deséspéré il ne s'était pas projeté vers la surface. Il sentit la terre mouillée et se releva rapidement ; il entendait au dessus de lui le monstre prendre son envol. Il se mit à courir au hasard dans la brume.

Les arbres surgissaient sans cesse devant lui dans sa course folle ; il dut tourner plusieurs fois pour ne pas se prendre le tronc dans la figure. Les branches griffaient son visage ; il trébuchait sans cesse sur des racines noueuses. Son coeur battait à une vitesse folle ; sons souffle était court et haché ; la brume semblait s'épaissir encore plus pour le perdre et le ralentir.

Un bruit de galop retentit derrière lui, et Archibald, terrifié, redoubla de vitesse. Le bruit s'approchait à une vitesse effrayante ; soudain, Archibald sortit de la brume ; la forêt s'éclaircit et le jeune homme, ébloui, plissa les yeux. Le soleil disparaissait presque à l'horizon. Archibald n'avait plus beaucoup de temps. Il devait affronter cette bête quoi que cela lui coûte.

Il s'était à peine retourné qu'une masse sombre et énorme s'abattit sur lui et le griffa avec ses tranchantes serres. Archibald poussa un long et rauque cri de douleur. Les serres lui labouraient la poitrine, déchirant sa peau et ses vêtements. Son souffle devenait de plus en plus court et haché, Archibald savait qu'il allait bientôt mourir. Il sentait la vie le quitter peu à peu, déchirée comme sa peau. Dans un ultime geste de désespoir, Archibald empoigna une des serres du monstre pour l'empêcher de continuer son massacre. Le monstre voulut se dégager, mais la poigne d'Archibald était trop forte. Finalement, Archibald vit avec stupéfaction la serre cassée. Le monstre poussa une plainte de douleur et Archibald en profita pour lui planter la serre dans le dos. Le monstre tomba à terre en gémissant. Du sang coulait abondamment de sa plaie. Le monstre agonisait. Enfin, il expira et Archibald resta muet de stupéfaction. Il regarda l'horizon. Le soleil venait de disparaître. Archibald avait vaincu le monstre juste à temps. Si le soleil avait disparu pus tôt, il n'aurait pas pu le tuer et serait mort.

Soudain, Archibald sentit une vive douleur à la poitrine. Il y porta sa main. Lorsqu'il la retira, elle était rouge. Le monde tourna et Archibald s'évanouit.

Lorsqu'il se réveilla, il était allongé dans un lit. Le soleil entrait à flots par la fenêtre. Sa poitrine était bandée. Le médecin du village entra dans la salle et lui expliqua que les villageois l'avaient trouvé inanimé dans la forêt. Il avait dormi plus de 12 heures, et le médecin avait pu le soigner et éviter l'infection.

Il dut rester allongé deux jours. Une fois rétabli, une fête fut organisée en son honneur. Tout le village l'estimait : il avait débarassé les villageois du terrible monstre qui sortait de sa tanière au crépuscule et qu'on devait tuer avant la tombée de la nuit. C'était un héros. Le lendemain, il retrouva son cheval, Black, et partit le plus rapidement possible du village, sans se retourner. Ce qui était sûr, c'est qu'il se souviendrait longtemps de cette aventure, et qu'il en ferait de nombreux cauchemars !

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