Le garçon des bas-fonds

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Yun doit réussir dans la vie. Yun n’a pas le choix.

Ses parents se sont donnés tant de mal pour qu’il aille à l’Université.

Le magasin est ouvert tous les jours et jusque tard dans la nuit. Le père de Yun s’est fait braquer deux fois. Il est allé au marché noir pour acheter un flingue qu’il garde caché sous le comptoir.

Yun a ses chances, maintenant. C’est un garçon sérieux, il travaille bien à l’école.

Au début, ses parents avaient eu peur. Trop occupés au magasin, ils l’avaient laissé pousser comme un pissenlit sauvage sur le bitume et Yun courait tout le jour dans les ruelles, le short crasseux, avec les autres garçons du quartier. Le père de Yun le poursuivait de rue en rue pour qu’il rentre à la maison et fasse ses devoirs.

Heureusement, Yun s’est assagi. On lui a expliqué qu’il devait réaliser des rêves qu’il n’avait pas même formulés pour lui-même. Il a cessé de courir avec les copains le long des trottoirs. Il a recopié des idéogrammes. Les taches d’encre et les tremblements des non lettrés ont peu à peu disparu de ses feuilles de cours et le professeur l’a félicité pour ses efforts.

Yun a travaillé dur. Il le fallait bien : ses parents sacrifiaient leurs nuits pour son avenir.
Yun revient aujourd’hui d’un semestre à l’étranger, où il a troqué son mandarin d’excellence pour un anglais international. Il se perd un peu sur le chemin, parce qu’on ne va pas comme ça du grand aéroport aux ruelles bétonnées des bas-fonds. Il faut prendre des correspondances.

Le magasin est toujours le même. Les sachets de céréales s’entassent dans des cartons, et sa mère a inscrit leurs noms sur les pancartes dans de grandes lettres rouges un peu trop rondes. Il a honte de voir une faute, subtile, sur l’une d’elles. C’est à des erreurs de tracé comme ça qu’on décèle ceux qui viennent des petites ruelles où il faut un flingue sous le comptoir et ceux qui deviendront importants. Il se demande s’il doit le dire à sa mère, mais il a trop peur de la blesser alors il range le souvenir de la pancarte rouge dans sa tête, comme une fissure.

Avant de rentrer dans la boutique, il regarde les pissenlits, Pu gong ying, qui poussent dans le bitume lézardé. Il se souvient des soirées à faire la course, des genoux écorchés sur le sol et des jours où il n’avait pas à sauver à lui-seul le destin de sa famille. Il voudrait revenir à cette époque-là, ne plus se soucier de ses calligrammes et de la correction de sa mise.

Mais Yun doit réussir dans la vie. Qui d’autre que lui pourrait le faire ?

Yun est fils unique.

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