Chapitre 4

4 minutes de lecture

 Dans son appartement Tom grognait tel un fauve. Il se passa de l’eau sur le visage pour se calmer. Mais comment les prochains jours allaient-ils se dérouler avec un concierge pareil, qui plus est son voisin ? Allait-il devoir gérer cet étrange bonhomme au quotidien ? D’autant que comme lui, il travaillait à domicile, s’il l’on peut dire. À chaque fois qu’il sortirait, ils se croiseraient. C’était inévitable. Après des années de tranquillité, se retrouver avec un gardien fantasque était une véritable catastrophe. Il se laissa tomber sur son canapé pour y réfléchir.

Dans son dos, de petits pas feutrés se déplaçaient à toute allure. Une masse noire lui sauta sur les épaules.

— Te voilà coquin, sourit tendrement Tom en prenant Casper, le chat que Mary et lui avaient adopté peu avant son décès. Il avait une robe d’encre chatouillante et de grands yeux verts et profonds. Depuis toujours, il aimait par-dessus tout se déplacer furtivement et surprendre ses maîtres. Mary avait commencé par l’appeler mon petit fantôme, puis Casper en hommage au personnage de dessin animé.

Tom se dirigea vers l’immense baie vitrée et contempla les bureaux illuminés à toutes heures des immeubles du Loop, le quartier d’affaire de Chicago. La Willis Tower, même si elle n’était plus la plus haute tour du monde, continuait à dominer les bâtiments avoisinants. Un flot incessant de voitures, malgré l’heure avancée, emportait les employés qui étaient restés travailler tard et déposait les escouades d’agents d’entretien nécessaires au bon fonctionnement de ces vaisseaux immobiles. Il avait toujours aimé Chicago. Il y était né et refusait de la quitter. À l’époque, on lui avait fait un pont d’or pour venir exercer au Presbyterian Hospital de New York, mais il avait décliné. Et il avait eu raison. Peu après, les attentats du 11 septembre ébranlaient la ville et le monde entier. Mary et lui s’étaient rendus sur place, ils avaient participé au milieu de milliers de New-Yorkais et de gens venus des quatre coins de la planète à des veillées en hommage aux victimes. Il aurait souhaité faire plus, accompagner les équipages de secouristes, mais n’en avait pas eu la force devant l’immensité du carnage. Il regrettait ce qu'il considérait comme une lâcheté de sa part.

— Une de plus, conclut-il en s’asseyant à son bureau. Casper se blottit dans ses bras. Tu as encore besoin de repos, toi. Pourquoi ne retournes-tu pas sur ton coussin ? En guise de réponse, Casper remua pour s’enfoncer plus profondément dans le giron de son maître. Le ronronnement et le silence eurent raison de Tom. Il s’endormit à son bureau, mais se réveilla au bout de quelques minutres en sursaut. L’image du sac à main désœuvré de Josepha remonta dans son esprit comme un bouchon de liège. Même s’il n’avait pas l’intention de la revoir, il devait le lui rendre. Il prit son téléphone et composa un SMS. La réponse fut presque immédiate, « Désolé, mais votre message n’a pas pu être délivré ». Surpris, il s’assura ne pas avoir envoyé le SMS à un autre destinataire et recommença. « Désolé, mais votre message n’a pas pu être délivré », s’afficha une seconde fois. Il rangea le téléphone dans le tiroir de son bureau en soupirant.

— Décidément, elle m’aura tout fait. Je n’aurais qu’à le déposer au poste de police demain. Ils se débrouilleront.

C’est alors que Casper bondit des bras de Tom en le griffant, fusilla son maître du regard et disparut au fond de l’appartement. C’était la première fois qu’il agissait comme ça.

— Hey, mais qu’est-ce qui te prend ? Reviens voyons.... Un miaulement lointain lui signifia qu’il était inutile d’insister. Mary n’aurait pas aimé que tu te comportes en voyou, tu sais ! Aucune réponse. Ce n’est vraiment pas ma journée, soupira Tom en se levant.

Dans la salle de bain, il bouscula les flacons à la recherche de désinfectant. Il se souvint de l’avoir versé dans la concoction de Bartholomé.

— Merci Mamie, grogna-t-il. Et merci Bartholomé…

Il se contenta de passer sa main sous le robinet et de poser un pansement. Alors qu’il s’apprêtait à fermer la porte de son armoire à pharmacie, il crut apercevoir dans le miroir une silhouette féminine. Il se retourna brusquement. Rien bien sûr. Son cœur battait la chamade. Tout le contenu de la pharmacie échoua dans l’évier et au sol. En soupirant, il remit chaque objet à sa place et referma doucement le petit placard. Il ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Rien. Alors qu’il rabattait pour la seconde fois la porte de l’armoire à pharmacie sur le miroir était écrit au rouge à lèvres sanguinolent « Aide-moi ». Il fit un pas en arrière, se colla contre le mur puis se retourna brusquement, se souvenant de la silhouette. Affolé, les mains sur les genoux, il maudit à voix haute la fatigue de lui jouer de si mauvais tours. Il ferma les paupières pour se concentrer sur sa respiration et s’efforça de retrouver son calme. Après une série d’inspirations, il cligna doucement des yeux. Le miroir était aussi propre qu’à l’accoutumée. Il se passa de l’eau sur le visage et examina ses traits tirés dans la glace. Il ouvrit et referma à plusieurs reprises la petite pharmacie. Rien. Le miroir restait immaculé. Il prit un flacon de somnifère et contempla tristement un comprimé.

— Je crois que je vais devoir être sage ce soir, dit-il avant d’aller s’allonger dans son lit.

Tandis que le barbiturique faisait son œuvre, que le silence et la tranquillité s’emparaient de l’appartement, une petite boule de poils sortit de sa cachette. Casper, parcourut tout ce qui était suffisamment haut et qui méritait d’être escaladé. Il marqua son territoire sur le poteau à griffes fixé sur la porte de la salle de bain, puis y entra. Il ondula entre la poubelle et le pied de l’évier. Derrière celui-ci, il tomba sur un tube de rouge à lèvres. Il s’amusa avec quelques instants, et comme à son habitude lorsqu’il découvrait un nouveau jouet, le fit rouler et le cacha sous son oreiller avant de s’endormir dessus.

Annotations

Vous aimez lire Luc Gaillard ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0