Chapitre 1

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Le froid enveloppait la ville. Au-delà des vitres, la nuit s'étendait plus épaisse et sombre qu'un four. La vie semblait avoir déserté les rues. Trois bougies déjà entamées éclairaient timidement l'immense appartement.

Tom, assis au milieu de son salon en désordre, se tenait la tête et caressait doucement l'alliance de Mary suspendue à un ruban noir autour de son cou. Des larmes coulaient doucement sur ses joues creuses. Mary lui manquait chaque jour un peu plus.

« Elle est morte ! », se répétait-il sans cesse. L'accident avait eu lieu voilà maintenant cinq ans. Mais comment continuer ? Comment faire sans elle ? Elle n'était pas seulement sa femme. Elle était aussi sa meilleure amie, son unique confidente et sa seule famille.

Il avait laissé derrière lui son métier de médecin. Soigner les gens lui était devenu impossible, presque risible. Lui qui avait laissé mourir sa femme si bêtement, comment aurait-il pu sauver qui que ce soit ? Il n'en avait pas envie de toute façon. Pour ne pas mourir de faim et payer son loyer, il écrivait des articles de vulgarisation pour des sites internet spécialisés en médecine. Ça lui rapportait tout juste de quoi vivre. Mais peu lui importait. Chaque jour, il luttait contre son envie de la rejoindre. Si les miracles existent, qu'il n'ait pas mis fin à ces jour en est un.

Son appartement était exactement dans l'état où l'avait laissé Mary. Il n'avait jamais déplacé ou retiré la moindre chose. Il voulait figer le temps, ne pas corrompre l'environnement dans lequel ils avaient vécu. Se souvenir d'elle ne lui suffisait pas. Il lavait les vêtements de Mary, bien qu'ils soient propres, les repassait, préparait toujours un repas pour deux. Tous leurs amis avaient déserté, pas dans les premiers temps bien sur. Mais petit à petit, discrêtement. Il ne leur en voulait pas, loin de là. La solitude lui convenait. Il ne souhaitait partager ses souvenirs et sa peine avec personne. Il n'aurait pas accepté qu'on vienne lui dire qu'avec le temps, il finirait par avoir moins mal et pour finir par refaire sa vie. Il avait trop souvent prononcé cette même phrase dans son autre vie, dans son passé de chef de service, pour y croire. Sur l'écran de télé, son lecteur de DVD passait en boucle la vidéo de leur mariage et des milliers de photos qu'ils avaient prises toutes ces années durant. Mary vivait en quelque sorte dans une boucle qu'il entretenait. S'il cessait d'entretenir ce rouage, qui le ferait ? Ils n'avaient plus de parents et n'avaient pas eu d'enfant. Il était le seul dépositaire de la mémoire de sa femme. L'oublier, refaire sa vie était à ses yeux pire que de la tuer de ses propres mains. C'était la trahir dans la mort, c'était lui lâcher la main au bord du précipice.

Il se leva, prit son paquet de cigarettes, la fit rouler entre ses doigts comme il en avait l'habitude. Un article sur les étapes de développement de l'embryon occupait l'écran de son ordinateur. Il avait dessiné à l'aide de sa tablette graphique des schémas très détaillés et devait encore les mettre en couleur. Le dessin était une vraie passion. Quand il ne travaillait pas sur des articles, il transcrivait ses souvenirs avec Mary sous forme de bandes dessinées. Il ferma les yeux. Sous ses paupières les dessins devenaient réalité. Il sourit.

Un mail le rappela à la réalité. Josepha Ferguson, une femme qu'il avait rencontrée dans un groupe de parole dédié au deuil, lui rappelait leur rendez-vous. Ils avaient sympathisé, unis par la perte de sa femme pour lui et d'un enfant pour elle.

Avec le temps, ils s'étaient rapprochés et trouvaient chez l'autre une oreille bienveillante. Depuis peu, il l'evitait, la fuyait même, car ils avaient eu un moment de faiblesse et avaient couché ensemble. Il s'en voulait et ne comprenait pas comment il avait pu succomber à ses instincts. Depuis le décès de Mary, cette nuit-là fut le seul moment de chaleur qu'il avait partagé avec un autre être humain. Certainement qu'il lui en était reconnaissant, mais ne pouvait l'admettre. Pour s'assurer de ne plus céder, il était résolu à ne plus la revoir.

Toutefois, elle avait insisté. Finalement, il avait fini par accepter à contrecœur de prendre un dernier verre ce soir.

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Par avance, merci pour vos avis. Bien sûr, je répondrai à chaque post.

La suite arrive très vite. :-)

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