Episode 6

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Logan regarde le corps de sa mère sur la civière. Elle est morte. Elle ne pourra plus lui passer la main dans les cheveux en lui disant que tout ira bien quand il la réveillait en pleine nuit après avoir mouillé ses draps. Elle est morte et c’est de sa faute. Il conduisait, ils étaient en retard, un carrefour, un camion. Les souvenirs sont flous : la voiture qui vole, les tonneaux et le corps sans vie de sa mère. Impossible de bouger, impossible de lui venir en aide. Il est bloqué au côté du cadavre qui se vide peu à peu de son sang. Il vient de perdre la seule personne pour qui il avait du respect, peut être même de l’affection. Qu’allait-il faire maintenant ?

L’ambulance arrive accompagnée des voitures de police. Un jeune officier s’occupe de lui pendant que les médecins urgentistes constatent l’état de sa mère et du conducteur de camion. Il n’a qu’une commotion et des côtes cassées et le routier qu’une arcade fracturée. Logan est escorté à l’hôpital et l’officier Cosby patiente avec lui jusqu’à ce que son père arrive. Le policier est souriant, attentionné, tout le contraire de son père.


***


Six mois ont passé et Logan est témoin de la déchéance de son père. Verres après verres, cigarettes après cigarettes, le veuf sombre dans les méandres d’une souffrance dont il n’arrive pas à faire le deuil. Ses yeux sont vides sauf quand il les pose sur son fils. Logan a bientôt dix-sept ans et ne supporte plus le dégoût qu’il lit dans le regard de son père. Les deux hommes cohabitent dans la ferme familiale où l’absence de la femme qu’ils chérissaient se fait chaque jour plus pesante. Les cadres photos sont au sol, éparpillés dans des bris de verre tranchants. Le frigo est vide, la poussière jonche le parquet en boulettes sales, les bouteilles d’alcool s’entassent à même le tapis, tout comme les cendres débordant depuis longtemps des cendriers. Logan se réfugie dans le jardin, ramasse quelques brindilles et allume un feu. Les flammes crépitantes font éclater les branches pleines de sève, seul bruit dans cette campagne lugubre. Il regarde fasciné le petit feu qui par un jeu de perspectives semble dévorer la grande bâtisse en arrière-plan.


***


Logan rentre chez lui après le lycée et trouve son père ivre mort sur le parvis. Il ne prend même pas la peine de l’aider. Il grimpe dans sa chambre et s’empresse de sortir son nouvel achat : un couteau de chasse. Sa main caresse le manche en cuir avec amour puis il sort discrètement par la fenêtre et court vers la forêt. Après quelques tentatives infructueuses, il attrape un écureuil dont il découpe les membres un à un, chaque cri de l’animal provoquant des frissons de plaisir. Il laisse le cadavre à la merci des charognards, et retourne dans sa chambre, non sans avoir jeter un dernier coup d’œil à son œuvre.


***


La ferme est en flamme. Un accident. Un mégot oublié, une flaque d’alcool, tout est aller si vite. Logan a désormais dix-huit ans et s’émerveille du pouvoir de destruction des langues orange qui avalent peu à peu sa maison. Il est libre. Logan feint les pleurs devant l’assistante sociale qui est venu le chercher et monte docilement dans la voiture. Il regarde par la fenêtre son ancienne vie partir en cendre, le couteau de chasse bien au chaud dans sa poche. Dans le salon en feu, le cadavre de son père carbonise, affalé sur le vieux canapé.


***


Premier trimestre de l’école de police, Logan a du mal à se faire des amis. Il est le plus doué de sa promotion mais peine à sociabiliser, particulièrement lors des soirées alcoolisées. Après quelque temps d’adaptation, il devient le bout en train de la classe. Les seules moqueries dont il est la « victime », sont celles de ses camarades qui s’étonnent qu’il ne réponde pas tout de suite quand on l’appelle, « à croire que t’as changé de prénom, Chase ! ». Il ne tarde pas à devenir le petit favori de ses professeurs. Il se porte même volontaire pour une enquête sur des incendies criminels, le pyromane étant assez habile pour ne pas se faire prendre. Chez lui, les cadavres démembrés d’animaux s’entassent au fond du jardin, dernières traces des rituels quotidiens auxquels il s’adonne en rentrant des cours.


***


Lors d’une visite des postes de police du comté, Logan aperçoit de loin l’officier Cosby. Son visage lui est familier mais il n’arrive pas à se souvenir d’où il a bien pu le rencontrer. Il se désintéresse de lui lorsqu’il le voit grimper dans une voiture. Au volant, une femme, dont il entrevoit le beau visage par la fenêtre conducteur. Tout lui revient. L’accident, sa mère, le policier. Il rentre chez lui et démembre le chien qu’il a kidnappé sur le chemin du retour. Le sang de l’animal gicle sur son visage sous les coups rageurs du garçon. Il met du cœur à l’ouvrage mais le plaisir est absent. Logan a besoin de quelque chose de plus fort. Logan est prêt et Logan veut tuer Lucie.


***


Les mains pleines de sang, Logan admire sa première victime humaine. Jamais il ne s’est senti aussi puissant. Jamais le plaisir n’a été aussi intense. Il positionne les membres découpés dans une position grotesque de pantin, récupère les globes oculaires et laisse derrière lui Lucie baignant dans une flaque écarlate. Il ne lui reste qu’une chose à faire. Il s’empare d’une boîte à chaussure, dépose délicatement son trophée et la lettre destinée à l’officier Cosby. Il est impatient d’être demain mais sait qu’il doit attendre. Chaque chose en son temps, Logan est un chasseur méticuleux qui ne fait pas d’erreur.

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