Chapitre 2 (1ère partie) : Un printemps entre Glasgow et Fort William

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Lundi 20 mars 2006

Le soleil inondait la chambre, en ce début d'après-midi. Maureen s'était allongée après le repas de midi. La maison était silencieuse. Etendue sur le lit, elle regardait le carré de ciel bleu dessiné par la fenêtre. La lumière lui donna envie de sortir, d'aller au jardin. Il était d'ailleurs fort possible que Mickaël et Mummy y soient déjà, et que le jeune homme soit en train d'aider sa grand-mère pour quelques premiers travaux printaniers.

La jeune femme demeura cependant encore allongée, la main posée doucement sur son ventre. Sa grossesse ne se voyait pas encore, elle pouvait tout juste distinguer un très léger renflement de son ventre, à peine perceptible. Elle pensait à leur précédent séjour, en tout début d'année. A ces nuits au cours desquelles ils avaient conçu le bébé. Elle se sentait vraiment heureuse d'être revenue pour ces deux jours à Fort William, juste pour le printemps. Elle percevait déjà un lien très fort entre la maison, la chambre-même de Mickaël, et leur enfant. C'était là que tout avait commencé pour lui.

"Bébé, je ne sais pas si tu aimeras cet endroit autant que ton père l'aime, mais je l'espère. Je le souhaite vraiment. Et j'espère que la vie donnera de longues années à Mummy pour qu'elle puisse te voir grandir et t'appeler longtemps son petitou..."

Des voix au-dehors la tirèrent de sa rêverie : c'étaient Mickaël et sa grand-mère qui discutaient dans le jardin. Elle ne les avait pas entendus précédemment, sans doute parce qu'ils étaient de l'autre côté de la maison, dans la cour ou dans le hangar. Elle décida de se lever, ressentit un très léger étourdissement : c'était normal et elle se devait d'être vigilante. Elle attendit tranquillement, puis se leva, remit son pantalon et sa veste et quitta la pièce. La chambre de Mickaël était tout au bout du couloir, près d'un petit grenier. En face, c'était la chambre de ses parents. Sur la droite, quand on montait l'escalier et qu'on se tournait vers l'ouest, à côté de la chambre de Mickaël, se trouvait une autre petite chambre où dormait Léony quand elle venait, puis celle de Mummy. A l'autre bout du couloir, au-dessus de la chambre qui avait été ajoutée pour Donan et Finella avait été aménagée une grande salle de bain, plus grande que l'ancienne qui avait été transformée en chambre et qui était désormais celle de Véra.

Maureen demeura immobile dans le couloir, s'imprégnant du calme qui régnait à l'étage, des odeurs de la maison : celle un peu prononcée de la cire que Mummy passait parfois sur les meubles de la salle, celle plus discrète de la lavande avec laquelle elle parfumait le linge de maison, les draps et serviettes de toilette essentiellement. Et une autre, tout juste perceptible et seulement quand on s'approchait de la salle de bain : l'eau de Cologne dont la vieille dame faisait tomber deux gouttes dans l'eau avec laquelle elle faisait sa toilette, le matin. C'étaient des parfums un peu anciens, auxquels Maureen trouvait quelque chose de rassurant, d'immuable. Eux aussi participaient à l'atmosphère de la maison, à cette impression de cocon protecteur qu'elle dégageait.

Lentement, la jeune femme se dirigea vers l'escalier, mais sentit, avant de poser le pied sur la première marche, comme un souffle léger la frôler, à peine perceptible. Elle hésita, se retourna, ne vit rien. Rien d'autre que le couloir et les portes des chambres, fermées. Ainsi que celle du grenier. Elle secoua doucement la tête, se dit qu'elle avait rêvé, puis s'engagea résolument dans l'escalier. Celui-ci, en bas, débouchait presque dans la grande salle. Maureen tourna le dos à cette pièce pour gagner la petite entrée. Elle mit ses chaussures, ouvrit la porte pour goûter à la température de l'air. Il faisait encore frais et elle décida d'ôter sa petite veste en laine qu'elle portait dans la maison, pour mettre sa veste plus chaude pour sortir, ainsi qu'un petit foulard. Elle ne tenait pas à être malade et savait bien que le printemps timide pouvait être traître.

Mickaël et sa grand-mère étaient bel et bien dans le jardin, le jeune homme tenait une longue cisaille à la main et, suivant les conseils et demandes de Mummy, il coupait ça et là quelques branches, notamment dans les arbres fruitiers. Si les arbres étendaient encore leurs branches nues dans le ciel, les massifs de fleurs, eux, prenaient des couleurs. Maureen avait trouvé très joli le jardin de Mummy au printemps et à l'été derniers. Là, elle pouvait profiter des toutes premières fleurs. Le long de la terrasse, un étroit parterre éclatait de couleurs : tendres violettes, clochettes, crocus et mélanges de primevères se mariaient étroitement, leur camaïeu seulement interrompu par quelques rosiers qui ne montraient pas encore de velléités de croissance. Maureen se souvenait que, plus tard dans la saison, les petites fleurs printanières étaient remplacées par des jonquilles, des tulipes, puis des marguerites.

Elle longea la terrasse, gagna l'allée. L'herbe commençait à reverdir, abandonnant jour après jour sa couleur jaune de fin d'hiver. Oui, vraiment, la nature annonçait son réveil.

- Ah, ma douce, te voilà. Tu t'es bien reposée ? demanda Mickaël en la voyant s'approcher.

- Oui, bien. Il fait beau, mais encore frais... fit-elle remarquer tout en se demandant comment il pouvait supporter le petit vent frais en portant seulement un sweat léger, dont il avait remonté les manches.

- Oui, dit Mummy. Ce sont les premiers beaux jours, les premiers soleils... En Normandie, on s'en méfiait toujours : le matin, les gelées n'étaient pas rares et, parfois, on avait comme un retour d'hiver... J'ai vu la neige tomber en plein avril ! Et ici aussi, certains matins, les sommets se couvrent encore de blanc...

- Le printemps arrivait plus tôt chez vous ?

- Oui, dit la vieille dame.

Elle était heureuse de raconter quelques souvenirs, Maureen le vit d'emblée à ses yeux qui pétillèrent. Elle poursuivit :

- Tu vois, ici, mes jonquilles, mes narcisses, sortent tout juste. Et encore, je trouve que cette année, elles sont un peu en avance. En Normandie, elles fleurissent à cette période. Mais ici, elles tiennent souvent plus longtemps... De même, les petits pêchers doivent être en fleur. Pas les pommiers, pas encore. Ce sont parmi les derniers fruitiers à fleurir. Ceux-là ont encore le temps, fit-elle en désignant les arbres dont Mickaël s'occupait. Et cela tombe bien que vous soyez venus, sinon, j'aurais été obligée de demander à John ou à Sven de venir les tailler avant la montée de la sève. Tiens, Mickaël, donne-moi les deux branches, là, je vais les amener au hangar.

Maureen voulut aider elle aussi, Mickaël lui jeta un regard soucieux. Elle lui souffla :

- Je vais bien. Je peux aider !

- D'accord, dit-il, mais tu ne te baisses pas. Et tu ne portes pas trop lourd. Certaines branches sont grosses, je m'en occuperai.

- Très bien, dit-elle en prenant un paquet de petites branches qu'il lui tendait.

Ils s'activèrent ainsi durant une petite heure, Mickaël ne tarda pas à sortir l'échelle qu'il appuya contre le tronc des pommiers pour couper des branches à l'intérieur. Les deux femmes s'éloignèrent pour ne pas risquer d'en prendre une sur la figure. Elles firent ensemble le tour du jardin, Mummy guettant la sortie des bulbes, arrachant une mauvaise herbe par-ci, par-là. Puis elles arrivèrent au potager, placé à côté du hangar. Trois larges parcelles s'étendaient là, couvertes de paille.

- Cela protège la terre du froid, dit Mummy. Les vers de terre adorent cela ! Ils se sont déjà mis au travail, d'ailleurs, là, tu vois...

Elle désignait à Maureen un endroit où la paille était plus aérée et où la jeune femme put apercevoir quelques restes de feuilles mélangées aux brins de paille.

- Ils commencent par les feuilles mortes, poursuivit Mummy. C'est pour cela que je leur mets toujours un mélange avant les premières neiges. Ils me préparent ainsi un bon terreau pour le printemps. Je n'ai qu'à pousser un peu la paille pour planter. C'est l'idéal. John vient m'aider juste pour les pommes de terre, ou Jimmy le fait s'ils viennent à la bonne période. Le reste, c'est assez facile : ce sont des graines ou des semis. Mais là, c'est trop tôt encore. D'ici deux semaines, s'il ne refait pas froid, je planterai les petits pois.

Le regard de Maureen faisait le tour du potager. Il était entouré par une vieille barrière de bois qui, autrefois, empêchait les moutons d'accéder à cette partie du terrain, le grand bâtiment qui était aujourd'hui un hangar ayant été autrefois la bergerie et, parfois, quand Steven et son père sortaient les bêtes, certaines aimaient bien venir piquer quelques feuilles de salades ou arracher les jeunes pousses de pois ou de carottes. Le long de cette barrière, Mummy avait planté, il y a de nombreuses années déjà, des petits arbustes à fruits : framboisiers, cassis, myrtilles hautes, groseilliers.

- Au printemps, Véra et Jimmy viendront pour Springbank, dit-elle. Je demanderai à Jimmy de déplacer les pieds de framboisiers : ils ont tendance à tout envahir si on ne les contrôle pas et je n'ai plus la force de les arracher. Je me contente de les couper à ras, mais ça ne suffit plus. Il a dit qu'il creuserait comme une rigole tout autour de l'endroit où on va les mettre, là-bas, précisa-t-elle en tendant le bras vers la droite, vers un carré d'herbe entre le potager et le jardin où Mickaël s'activait toujours. Il fera la rigole assez profonde et un peu large. On y mettra des pierres, ça empêchera les racines de s'étendre. Et ce sera facile pour Léony de cueillir les framboises : elle n'écrasera plus les légumes.

Maureen sourit : c'était ingénieux et elle imaginait déjà la petite fille avec le visage barbouillé de jus de framboise, puis songea qu'un autre enfant, dans quelques saisons, pourrait aussi goûter au plaisir de ramasser les petits fruits juteux. Machinalement, elle porta la main à son ventre. Mummy remarqua le geste et dit :

- Tu ne fatigues pas ?

- Non, je vais bien, Mummy, je vous assure.

La vieille dame sourit et dit :

- Cela fait un moment que je suis debout. Mes jambes commencent à me tirer. On va rentrer pour préparer le thé, si tu veux. Mickaël a presque terminé, il lui restera à ramasser les branches et à les poser contre le hangar. Je débiterai cela tranquillement, je peux même le faire assise.

Maureen opina, se disant que c'était effectivement une des activités peu fatigantes, mais quand même nécessaires, que la vieille dame pouvait faire. "Elle aura besoin d'aide, dans les prochaines années", pensa-t-elle. "Pour l'heure, elle entretient encore bien son jardin, elle s'y active beaucoup, je suis même certaine qu'elle y passe toujours un peu de temps chaque jour, sauf s'il fait vraiment trop mauvais. Mais elle ne pourra pas tout faire... Elle a déjà besoin des garçons pour les gros travaux et c'est son neveu ou petit-neveu qui viennent tondre... J'espère qu'elle trouvera une solution, qu'elle ne sera pas obligée de laisser le jardin en friche. Il est si joli et si agréable ! Sans compter la vue magnifique qu'il nous offre... Ce serait dommage que cela devienne un terrain vague ou mal entretenu..."

**

Quand Mickaël regagna la maison une demi-heure plus tard, les joues rougies par le vent frais, l'œil pétillant, le corps rompu par la taille et le ramassage des branches, il trouva sa grand-mère et Maureen au salon, confortablement installées. Il ramenait avec lui le panier rempli de bûches et en remit quelques-unes dans la cheminée. Le feu apportait une chaleur bien agréable à la pièce. Il les rejoignit après s'être lavé les mains, poussa un long soupir en s'installant dans le canapé aux côtés de Maureen, étendit ses jambes et savoura les effluves du thé qui montaient jusqu'à lui.

- Hum... Vous avez choisi Chaleureux... Très beau choix. C'est réconfortant après tout cet ouvrage !

- Tu as bien avancé, dit Mummy. Je suis contente que les pommiers soient taillés. Jimmy n'avait pas eu le temps de s'en occuper l'an passé, mais ça allait encore. Là, ils avaient besoin... Tiens, prends donc une part de tarte...

Mickaël ne se fit pas prier et se servit généreusement, sans oublier un peu de crème. Il savoura, échangea un regard complice avec Maureen qui lui sourit en retour. Ce petit break était vraiment agréable...

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