Chapitre 8 (deuxième partie)

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Le lendemain

La petite route serpentait entre les champs et les murets de pierre. Maureen conduisait lentement, appréciant de revoir un paysage qu'elle connaissait très bien. Chaque nouveau virage dévoilait un bout de colline, un petit ruisseau, une nouvelle vue sur la campagne environnante. Elle était heureuse de revenir, après une si longue absence.

Elle était heureuse aussi de l'accueil qu'Emily et Kenneth leur avaient réservé la veille et d'avoir pu revoir ses deux petits neveux et faire la connaissance de Solenn. Elle regrettait de ne pas avoir vu la petite fille l'année passée, mais c'était ainsi... L'important était d'avoir été reçus chez son frère et sa belle-sœur, sans que ni l'un, ni l'autre, ne manifestent de réserve par rapport à Mickaël. Elle avait craint un peu une attitude plus en retrait d'Emily, même si cette dernière ne lui avait jamais fait le moindre reproche. Emily avait été distante avec elle, quand elle avait commencé à fréquenter Kenneth, de même avec Tara. Avec le recul, Maureen pensait que ce comportement était plus lié à ses propres parents, sa mère ayant fait passer un véritable examen à Emily quand Kenneth l'avait présentée à toute la famille. Et Maureen se disait que, certainement, Emily avait mis toute la famille dans le même panier, pensant que ses futures belles-sœurs la jugeraient comme leur mère le faisait. Sans doute Kenneth avait-il aussi, depuis, arrondi bien des angles.

- Es-tu heureuse d'avoir revu ton frère hier ? demanda Mickaël. J'étais pour ma part très content de faire la connaissance de sa petite famille. Il a de beaux enfants et ils sont bien élevés.

- Je pense qu'Emily est très vigilante sur la politesse, c'est vrai, dit Maureen. Oui, je suis heureuse que nous ayons été invités chez eux. Et Emily était moins froide que je ne le craignais...

Elle expliqua alors à Mickaël ce qu'elle avait craint et pourquoi.

- Tu as raison de penser qu'elle a pu montrer une certaine distance avec toi, avant, si ta mère avait eu une telle attitude, dit le jeune homme. Tara parlait d'elle avec simplicité et je pensais, pour ma part, qu'il n'y aurait pas ce genre de distance...

- Tu avais raison... Et, sans doute que le mariage de Tara a aussi favorisé le rapprochement entre elle et Emily, sans compter que Kenneth est très attaché à Tara. Après... Après mon mariage avec Brian, il y avait quand même un peu de distance entre Emily et moi. Il faut dire que ma mère mettait Emily sur un tel piédestal, parce qu'elle, elle était capable de donner des enfants à Kenneth alors que moi...

Elle se tut et Mickaël respecta son silence. Le comportement de la mère de Maureen lui paraissait, à chaque fois qu'elle lui en parlait, être si peu humain et si autoritaire qu'il en était ridicule, et terriblement destructeur. Il mesurait aussi combien il avait pu être difficile pour Maureen de lui échapper, plus encore peut-être que de se séparer de Brian. Il lui jeta un regard. Le visage de la jeune femme était sérieux, elle était concentrée sur sa conduite. Puis, soudain, comme si un doux rayon de soleil l'avait caressée, un sourire éclaira ses traits :

- Nous arrivons.

Ils traversèrent alors un village, longèrent quelques champs avant de s'arrêter dans un hameau, devant une petite maison d'aspect très simple.

Ils étaient à peine sortis de la voiture que la porte s'ouvrait et qu'une vieille dame apparut sur le seuil, descendit les deux marches et se dirigea droit vers eux. Elle ouvrit les bras et Maureen s'y jeta.

- Maureen ! Ma chère petite ! Enfin !

- Granny ! Oh, Granny ! Que je suis heureuse de revenir te voir...

Elles restèrent ainsi un bon moment, puis s'écartèrent l'une de l'autre. Des larmes coulaient sur leurs joues et Granny sortit bien vite un mouchoir de sa poche pour les essuyer. Puis elle reprit encore une fois Maureen dans ses bras.

Mickaël les regarda, puis, tranquillement, il ouvrit la portière arrière de la voiture et détacha Killian de son siège. Puis il s'approcha des deux femmes qui se tenaient encore dans les bras l'une de l'autre. Maureen parvint à s'écarter à nouveau et dit :

- Granny, voici Mickaël et Killian.

Le jeune homme sourit à la vieille dame et lui tendit le bébé.

- Qu'il est beau, ce petit ! Oh, que je suis contente que vous soyez venus ! Mais, ne restons pas là. Le vent est froid et il ne faudrait pas qu'il attrape un rhume...

Ils la suivirent dans la maison. Une petite entrée desservait la pièce principale où un bon feu était allumé. Cela sentait un peu la tourbe et Mickaël ne fut pas surpris de voir, à côté de quelques bûches, un seau contenant de la tourbe séchée. Sur la table, Granny avait déposé un service de thé de porcelaine blanche et une assiette contenant des gâteaux secs qu'elle avait certainement préparés elle-même, de ce qu'il put en juger au premier coup d'œil.

Maureen avait repris son fils dans ses bras le temps de rentrer dans la maison, et elle le redonna bien vite à sa grand-mère quand celle-ci fut assise.

- Il se tient bien assis, fit-elle. Cela se devinait un peu sur les dernières photos que tu m'avais envoyées...

- Oui, dit Maureen, maintenant, c'est plus net.

- Il a des dents ?

- Oui, une, et une autre est en train de pointer, dit-elle.

Granny regardait Killian avec attendrissement. Mickaël l'observait, puis son regard fit le tour de la pièce. Elle était meublée avec simplicité, il devina que la grand-mère de Maureen ne devait pas avoir de gros revenus. C'était très propre et bien rangé. Sur le buffet, sur le manteau de la cheminée et à l'un des murs étaient accrochées de nombreuses photos de famille. Des anciennes, en noir et blanc, dont sans doute la photo de son mariage, et des toutes récentes, dont une de Killian dans les bras de Maureen. Il savait que la jeune femme avait envoyé aussi quelques photos où lui-même apparaissait, mais Granny en avait choisi une où il n'était pas présent. Sans doute pour éviter trop de questions ou de discussions quand les parents de la jeune femme venaient...

- Veux-tu que je prépare le thé, Granny ? proposa Maureen.

- Ah, volontiers. Tu sais où se trouvent les affaires...

Maureen sourit et un petit air mystérieux s'afficha fugacement sur son visage. Elle prit discrètement quelque chose dans le petit sac qu'ils avaient apporté avec eux et qui contenait notamment des affaires de rechange pour Killian et un petit pot de compote. Quand elle revint de la cuisine, elle déposa la théière sur la table, surveilla l'infusion, puis fit le service.

- Qu'as-tu pris comme thé, Maureen ? demanda Granny en se penchant sur sa tasse avec un air étonné.

- Un thé que Mickaël a inventé et dont nous t'avons apporté un échantillon.

- Mickaël, tu inventes des thés ? Comme c'est surprenant !

- Oui, sourit le jeune homme. J'aime marier les parfums et, de temps à autre, j'invente des thés. J'ai choisi pour vous quelques variétés, en fonction de vos goûts que Maureen m'avait décrits. Celui-ci, je l'ai créé pour ma grand-mère, et Maureen pense que vous l'aimerez aussi beaucoup. Et vous pourrez même le boire le soir, car il est à base de thé rouge et n'empêche pas de dormir.

- Et tu en as beaucoup ? demanda-t-elle encore.

- Oui, une trentaine environ... répondit-il.

Granny allait de surprise en surprise. Certes, dans ses lettres, Maureen lui avait parlé de ce jeune homme qu'elle avait rencontré et avec lequel elle vivait - et avec lequel elle avait même un enfant ! -, mais elle n'avait pas imaginé qu'il puisse posséder autant de créativité.

- Allons, goûtons donc ! fit-elle.

Elle confia Killian à Maureen, le temps de déguster son thé.

- Il est très doux, fit-elle en reposant sa tasse. Son parfum est léger, mais riche. Tu as mis des noisettes dedans ?

- Oui, répondit Mickaël. Noisettes et amandes, et de la pomme, aussi.

Granny hocha la tête.

- Et alors donc, tu en as choisi d'autres ?

- Oui, dit Mickaël en se levant et en piochant dans le sac.

Il lui tendit alors les différents paquets. L'un était plus gros - il avait pris 200 g de Corsé, car Maureen lui avait dit que sa grand-mère aimait les thés assez forts pour son petit déjeuner, mais qu'elle n'avait souvent pas les moyens de s'acheter autre chose que du Lipton. Corsé devrait donc être à son goût. La vieille dame prit ses lunettes, posées sur la table, pour déchiffrer les inscriptions tracées par la main fine de Daisy.

- Alors... Chaleureux, Corsé... commença-t-elle.

- Ceux-ci, vous pouvez les boire le matin. Vous nous direz lequel vous préférez et on vous en enverra dès que vous en aurez besoin, expliqua Mickaël.

- D'accord... Raffiné, Oriental, Nomade...

- Ceux-là, c'est pour la pointe de menthe, Granny, intervint Maureen. Je pense que tu les aimeras bien.

- Ah oui, certainement ! Bon, je suis bien curieuse de goûter tout cela ! Il faudra que j'écrive sur l'étiquette ceux que je peux boire l'après-midi... Comment s'appelle celui que tu as préparé, Maureen ?

- Zen, fit Mickaël. J'avais aussi besoin d'un thé dont le nom aurait commencé par un Z.

Granny s'étonna encore et Mickaël expliqua un peu plus la façon dont il avait construit sa collection. La vieille dame se dit que ce jeune homme avait vraiment de l'inventivité.

Avec le thé, ils dégustèrent les gâteaux préparés par Granny et elle précisa qu'elle leur avait mis de côté une boîte pour qu'ils en ramènent à Lawra et John. Elle demanda ainsi des nouvelles de son amie à Maureen, en disant qu'elle ne l'avait pas vue depuis bien longtemps et que si, un jour, Lawra et son mari voulaient venir jusqu'ici, elle les recevrait avec plaisir. Maureen se promit de glisser la proposition à son amie, sachant combien sa grand-mère appréciait les visites et se doutant qu'elle n'en recevait pas tant que cela. La suite de la conversation lui donna raison :

- As-tu dit à tes parents que tu étais là, Maureen ? demanda Granny avec une simplicité qui surprit Mickaël, mais n'étonna pas la jeune femme.

- Non, répondit cette dernière tout aussi simplement avant de poursuivre d'une voix douce : Ils ne veulent pas me voir et même si je leur ai écrit à chaque occasion importante, que je leur ai annoncé la naissance de Killian, ils ne m'ont jamais répondu. Je ne veux pas causer de problème.

Granny dodelina doucement de la tête.

- Oui, bien sûr... soupira-t-elle. Tout cela est tellement triste ! Enfin, je suis bien contente de te voir quand même ! Tu sais, Kenneth et Tara viennent régulièrement, Kenneth est toujours si fier de montrer ses petits ! Il a raison aussi, ce sont de beaux enfants et bien sages. Et Brendan est vraiment un gentil petit garçon lui aussi. Mais je vois peu Gary et son petit Gordon. Sais-tu que sa femme attend un autre bébé ?

Ce fut au tour de Maureen d'afficher sa surprise : ni Kenneth, ni Tara ne lui avaient annoncé la nouvelle, mais comme les liens étaient coupés avec son autre frère aîné, cela n'était pas étonnant. Elle se dit aussi que peut-être Kenneth avait pensé que Tara lui annoncerait la nouvelle et inversement.

- Non, je ne savais pas. Je n'ai aucune nouvelle de Gary non plus, Granny.

- Il a toujours été bizarre, fit sa grand-mère. Un peu sauvage. Enfin, ton père est venu avec les petits l'autre jour. Ils ont grandi... Je les avais vus à Noël, mais pas depuis.

Et Granny lui donna alors quelques autres nouvelles concernant ses jeunes frères et sa petite sœur. Maureen était contente de l'entendre, même si discuter ainsi de sa famille commençait à lui peser. Elle espérait aussi que cela ne gênait pas Mickaël. Certes, sa grand-mère les accueillait avec plaisir, mais elle marquait quand même une petite distance avec le jeune homme ce qui n'était pas sans déranger Maureen. Granny agissait ainsi un peu comme Kenneth la première fois qu'il avait vu Mickaël à Dublin. Depuis, des barrières étaient tombées. Mais Kenneth était réfléchi et attentif. Granny saurait-elle se montrer aussi compréhensive ? Elle l'était, pourtant, d'une certaine façon puisqu'elle parla ensuite de Killian et de leur installation à Fort William, se montrant curieuse de ce que Mickaël faisait comme métier et comment ils articulaient leur vie tous les trois. Maureen sentit aussi que sa grand-mère était touchée quand Mickaël précisa qu'ils vivaient avec Mummy, sa propre grand-mère. La vieille dame ne pouvait que se sentir également concernée, elle qui était seule au quotidien, malgré la présence de voisins gentils et de quelques amies au village. Elle était loin de sa famille, car elle n'avait pas les moyens de se rendre facilement à Dublin pour voir son fils et les enfants. Elle devait toujours attendre les visites, alors que, même si c'était aussi le cas de Mummy, cette dernière avait quand même de la famille à Fort William, et notamment Mary, sa belle-sœur, et John, son neveu qui vivait non loin. Du moins, c'était le cas jusqu'à ce qu'eux-mêmes arrivent à Fort William...

- L'Ecosse te plaît donc, Maureen ? demanda enfin Granny.

- Oui, vraiment. C'est un beau pays et je m'y sens très bien.

- Tu ne reviendras pas en Irlande ?

- Non, je ne le pense pas. Surtout maintenant que Mickaël s'est installé, avec ce nouveau restaurant. Nous ferons notre vie à Fort William.

Même si elle s'en défendait, Maureen ne put s'empêcher d'insister un peu sur le "nous" et le "notre". Et Granny entendit bien le message.

Quand ils repartirent, en fin d'après-midi, la vieille dame les remercia encore pour leur visite, mais s'absenta un court moment pour aller chercher quelque chose dans la chambre, située de l'autre côté du couloir de l'entrée. Mickaël en profita pour regarder quelques photos et Maureen nota celle d'un anniversaire de Gordon où toute la famille était rassemblée autour du petit garçon : ce devait être pour son dernier anniversaire et c'était la photo la plus récente où elle pouvait voir ses jeunes frères et sa petite sœur. Elle ressentit un pincement au cœur en se demandant si elle aurait l'occasion de les revoir un jour et s'ils n'avaient pas une mauvaise opinion d'elle.

Granny revint avec un petit paquet qu'elle tendit à Mickaël, car Maureen tenait Killian dans ses bras. Elle dit :

- C'est pour le petit. J'ai demandé à Tara de le choisir, tu sais, je ne vais pas souvent en ville...

- Oui, bien sûr. C'est gentil, répondit Maureen alors que Mickaël ouvrait soigneusement le paquet.

C'était un petit ours en peluche, blanc, avec un petit trèfle irlandais brodé sur le ventre. Il était très doux et Killian l'adopta aussitôt.

- Il lui plaît ! rit Maureen en voyant son fils babiller.

- J'ai préféré que Tara choisisse un petit jouet, expliqua Granny, j'avais peur pour la taille des vêtements, même si cela t'aurait été plus utile, sans doute...

- C'est parfait, Granny ! dit Maureen. Merci beaucoup. Il a déjà quelques jouets, mais pas tant que ça. Et pour les petits vêtements, j'ai de quoi faire pour les prochains mois, car Tara m'en a laissé aussi.

- J'ai bien pensé, oui... Bien, mes enfants, je ne vous retarde pas... Vous avez de la route pour rentrer. Vous repartez demain ?

- Oui, on prend le ferry qui fait la traversée de nuit, dit Mickaël. C'est plus pratique avec le bébé et on peut se reposer, car on a encore de la route ensuite pour remonter jusqu'à Fort William.

- Il n'y a pas d'autres traversées ? s'étonna Granny.

- En hiver, il n'y en a pas entre Glasgow et Belfast la nuit, précisa-t-il encore. C'est pourquoi on est passé par Liverpool. De toute façon, la route qu'on ne fait pas d'un côté, il faut la faire de l'autre, alors...

Granny hocha la tête, elle imaginait bien en effet.

- Bien, alors faites bon voyage et préviens-moi quand vous serez bien arrivés, Maureen. Et j'espère que vous pourrez revenir bientôt.

- Nous viendrons dès que possible, l'assura la jeune femme en se demandant cependant quand ce serait à nouveau le cas. Je t'enverrai régulièrement des photos de Killian.

- C'est gentil, il est si mignon ! Il n'a pas fait de caprice et a été bien sage...

Ils embrassèrent la vieille dame, puis regagnèrent la voiture. Une pluie fine se mit à tomber alors qu'ils approchaient de Dublin et Maureen fut bien contente d'être proche de chez John et Lawra, et de retrouver ses amis pour cette dernière soirée. Même si ce séjour s'était bien passé, elle avait quand même ressenti par moments une certaine anxiété, que ce soit face à Kenneth et Emily ou face à Granny et elle était soulagée de se retrouver dans une ambiance amicale, sans crainte de voir surgir sa mère ou son père...

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