Chapitre 51

6 minutes de lecture

Les mains jointes derrière le dos, Elias Creed se tenait au centre de l’arche telle une gargouille à l’entrée d’une église. Ses yeux vifs et scrutateurs englobant la scène comme s’il s’était agi, pour lui, d’une peinture plaisante à l’intérêt moyen.

Les yeux des convives se tournèrent un court instant sur le baron Graber qui s’agita, mal à l’aise.

— Je ne voulais offenser personne…, duc Creed, commença-t-il de sa grosse voix bourrue. Si c’est le cas, je vous prie de m’excuser.

Le duc des Tisseuses afficha un sourire intrigué.

— Ah oui ? fit-il. Et de quoi, monsieur le baron ? De votre attitude envers Lorain de Nabar ou bien alors d’avoir eu l’intention de commencer ce dîner sans moi ? Car ce sont-là deux types d’excuses très différents.

L’imposant baron pâlit légèrement alors qu’Elias Creed commençait à approcher d’un pas aussi assuré que l’était sa voix. La queue de sa redingote rouge sang se soulevait à mesure, recouvrant son veston noir qui, lui-même, laissait entrevoir une chemise en soie blanche s’accordant parfaitement à son sourire éclatant. Graber fit mine de reculer avant de retenir son geste à la dernière seconde.

Cet homme-là n’était pas du genre à se laisser impressionner si aisément. Pourtant, c’est avec une voix hésitante qu’il entama :

— Je… je ne voulais…

— Offenser personne, termina le duc Creed. Je suis certain que tous ici avaient saisi le sens de vos propos. En ce qui me concerne, nulle offense. Pour Lorain, en revanche, je ne peux me prononcer.

— Aucune offense, non plus, affirma Lorain, toujours avec sa franchise déconcertante. Je vous en remercie, duc Creed.

— Je vous en prie, appelez-moi Elias.

Le regard du jeune homme se posa ensuite sur Clare, ainsi que Lamia qui l’avait silencieusement rejointe.

— Dame Clare, dame Lamia. Je vous présente mes respects et suis ravi de bénéficier à nouveau de votre compagnie dans un délai aussi court.

Les deux femmes s’inclinèrent sans dire un mot alors que le tout jeune duc se tournait vers François de Nabar qui en sursauta de surprise.

— Je vous prie, vous et votre épouse, de bien vouloir accepter mes plus sincères excuses pour ce retard.

— Duc Creed, vous n’avez pas besoin de vous excuser ! s’empressa de placer le baron avec ce regard toujours fuyant. Il est déjà inespéré que vous puissiez nous accorder cette soirée malgré votre emploi du temps.

— C’est tout à fait vrai, Elias ! s’exclama Artance de Nabar en le rejoignant pour lui présenter sa main.

Le jeune homme effleura le dos de celle-ci du bout des lèvres alors que la baronne rajoutait :

— Votre présence à Couliour est un délice.

— Vous m’en voyez ravi.

Il souriait toujours mais ses yeux restaient froids, délaissant finalement Artance pour parcourir la suite des invités. Lorsqu’ils s’arrêtèrent sur Alistair Rofocade, le jeune duc lui adressa un signe de tête.

— Alistair.

— Elias, répondit celui-ci avec le même enthousiasme. C’est un plaisir.

Clare et Lamia échangèrent un regard.

Pourtant légèrement moins grand qu’Artance, bien moins imposant que Graber, ou encore largement moins appareillé en bijoux que le baron François de Nabar. Elias Creed semblait dominer l’assistance par sa seule présence. D’une prestance écrasante, couplée à une beauté diabolique, il émanait du duc des Tisseuses une sensation de puissance mystérieuse. Une autorité naturelle presque surréaliste.

Par sa seule arrivée, il s’était déjà comme imposé. Rabrouant le baron du Silat pour saluer l’attitude de Lorain, puis de considérer la pupille et sa dame de parage avant même un regard pour les maîtres des lieux. Et enfin offrir un salut distant à l’intendant de Nabar tout en ignorant copieusement le couple d’Itaq.

— Douce Lysette, dit-il à l’attention de la femme de Graber. Je suis content de vous voir rétablie. Ayant entendu dire que vous étiez indisposée lors de mon dernier passage en votre fief.

Celle-ci rosit sous cette considération avant de jeter un regard craintif à son mari.

— Une mauvaise chute dans l’escalier, duc Creed, plaida-t-elle d’une toute petite voix éraillée. Ils sont tellement étroits, et moi si maladroite. Cependant, je suis heureuse de votre sollicitude.

Son interlocuteur lâcha un petit rire dénué de toute joie avant de balayer l’assistance d’un regard subitement malicieux.

— Oui, je l’ai entendu dire ! lança-t-il tout haut. J’en ai même plaisanté avec votre époux en lui disant que mes marchandises prendraient vingt pourcents d’augmentation à son encontre dans le cas où il n’investirait pas pour des marches plus larges. Ou encore des coins de table arrondis.

Les convives se mirent à rire à leurs tours alors qu’Elias Creed adressait un clin d’œil au baron du Silat qui se décomposa avant de joindre l’assistance d’un gloussement forcé.

Clare, elle, avait la nette impression d’une menace très claire derrière ces paroles et remarqua bien vite l’expression passagère mais terrifiée qui traversa les traits de la pauvre Lysette. La mine grave de Lamia lui apprit qu’elle en venait aux mêmes conclusions qu’elle, ainsi qu’à une question inquiétante.

Quelle pouvait bien être la portée de l’influence du duc des Tisseuses au sein même des Baronnies ? Une question dont elles devaient impérativement connaître les angles. Si l’on se référait au discours que leur avait tenu le jeune homme durant leur voyage jusqu’à Nabar.

— Mais je ne vois pas le baron des Embruns, continuait-il avant de soudainement les aviser de son sourire éclatant. Où diable peut-il bien être en ayant connaissance de votre présence ici ?

Reprenant leurs rôles respectifs, Clare et Lamia échangèrent un nouveau regard où se mêlait leur déception.

— Nous n’avons pas osé le demander, Elias, déclara la pupille en affichant un air profondément attristé. Peut-être avait-il quelque chose de plus urgent à faire ?

— Ou peut-être n’a-t-il tout simplement pas été mis au courant, sembla se désoler Lamia. Imaginer que le baron Lormet…

— Oh non ! Rien de tout cela ! intervint François de Nabar dont l’œil se referma sous l’effet d’un nouveau tic. Il a été contraint de décliner l’invitation. Le pauvre se remet difficilement d’une mauvaise grippe à ce qu’il décrit dans le message qu’il m’a adressé.

Il écarta les bras avec une expression compatissante.

— Il m’a tout de même chargé de vous faire part de ses plus chaleureuses pensées à votre égard, dame Clare. De même qu’à vous, dame Lamia. Je sais que vous aimez à passer quelques étés dans son royaume pour bénéficier de son cadre idéal.

Les deux femmes esquissèrent un sourire attendri.

— Il nous gâte tant, avoua la pupille. Et ceci depuis des années.

— Près des côtes, ma créativité ne connait aucune limite, renchérit sa compagne.

— Et il est pleinement conscient de la chance qu’il a de pouvoir profiter de vos visites en son fief, mes dames, glissa Elias avec bonhomie. Bien que j’eusse entendu dire que l’air des Embruns vous soit hostile dame Clare, ce royaume reste pourvu d’un cadre splendide !

Clare acquiesça avec prudence alors que Lamia s’éclairait de ravissement.

— Je ne saurais être plus d’accord avec vous, duc Creed ! renchérit François de Nabar avec une œillade nerveuse en direction de sa femme qui semblait sur le point de dévorer quelqu’un. Il s’est d’ailleurs fait un devoir de nous faire porter nombre de ses produits locaux, vous le verrez. Et maintenant que nous sommes au complet, je suis heureux de vous proposer de vous mettre à table !

À ces mots le baron Graber poussa un soupir de soulagement tandis qu’Artance de Nabar croisait les bras dans une posture peu commode.

Cette grande dame s’était révélée bien inexistante sur ces derniers sujets. Et s’il y avait bien une chose que ne supportait pas la baronne de Nabar, à l’instar du couple d’Itaq, c’était justement d’être ignorée.

Dans une attitude autrement plus révérencieuse, son baron de mari laissait traîner sur ses invités ce regard mi fuyant, mi conciliant, qui semblait le caractériser. Passant par le maître du Silat qui dardait sur lui un air agacé, puis un Alistair Rofocade indiquant son soutien par un signe de tête pour enfin guetter l’approbation d’Elias Creed. Après un court instant de réflexion pendant lequel les barons et leurs femmes furent pendus à la moue concentrée du jeune duc des Tisseuses, celui-ci finit par acquiescer avec lenteur avant de se tourner vers Lorain. Ce dernier était resté silencieux depuis un long moment bien que sa présence n’ait jamais cessé de se faire sentir.

Son regard franc dominant avec calme cette assemblée de pouvoir sans que son propriétaire ne tente le moindre rapport de force.

— Si messire Lorain le permet ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire t-sabe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0