Chapitre 43

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— Vous n’avez rien entendu ? demanda soudain Gravis Petitpieds.

Les pirates levèrent la tête.

— Arrête de nous faire flipper, moitié d’homme, lança Vacko qui ne s’était pas encore remis de leur course éperdue. On en a déjà eu pour notr’ compte, pas vrai Crépin ?

— Ah ça, pour sûr, Vacko ! La dernière fois que j’ai couru aussi vite, c’était pour rattraper cette marchande néritienne…, c’était quand déjà ?

Son compère fit mine de réfléchir.

— Ben j’dirais qu’ça date pas d’hier, Crépin ! Y’en a eu d’autres depuis et j’m’y perds un peu…

— C’est des souvenirs ça, Vacko, murmura le pirate songeur, revivant une scène dont lui seul percevait la romance.

Gravis secoua la tête avec dégoût.

— Vous êtes répugnants.

Se rapprochant de Cormack, il lui posa une main hésitante sur l’épaule. Le Rolf n’esquissa pas le moindre geste.

— Vous allez bien, seigneur… ?

L’interpellé ne répondit pas, perdu dans les méandres de son esprit torturé. Assis à même le sol, parmi les ruines du transporteur, il affichait un regard vide et personne n’avait encore pu lui soutirer plus de deux mots.

Voilà presque une heure que Gravis, Cormack et les pirates attendaient le retour des chevaliers et d’Ezéquiel. Les deux premiers à la recherche du chevalier Bern tandis que le jeune prince tentait de retrouver certains effets personnels. Du moins, c’est ce que celui-ci avait vaguement murmuré avant de les quitter. Lui aussi était plongé dans un certain mutisme depuis leur halte. Le vieux maître, lui, était toujours inconscient et son état n’avait pas l’air de s’arranger. Ce qui portait à inquiétude.

Caes et Kappa avaient assuré qu’ils opéreraient leurs recherches le plus vite possible. Mais le vaisseau restait immense même en pièces détachées. La coque, éventrée sur toute sa longueur, laissait trop facilement imaginer la violence du choc.

Gravis Petitpieds était resté un moment perdu dans la contemplation de cette carcasse fumante qui avait été son foyer durant de nombreuses années. Il était difficile de décrire la foule de sentiments qui l’avait traversé à la vision de ce sinistre tableau. Le voir rendait cette tragédie plus réelle encore. Toutes ces personnes qu’il avait eues à sa charge avaient disparu. Le personnel, son mentor, le feu capitaine Rouchard…

La tristesse! Voilà ce qui l’animait à présent. Pour tout ce qu’il avait perdu. Et il n’y incluait pas sa récente promotion ou ses perspectives de carrière miraculeusement à l’ordre sur ces derniers jours. Il aurait tout rendu sans la moindre hésitation si cela avait signifié ramener à la vie tous ces pauvres gens. Puis il avait entendu les bruits. Comme des murmures dans les plaines les entourant.

Il tourna subitement la tête. Cette fois ci, même les pirates s’étaient tus, tendant l’oreille à… ces murmures.

— Que se passe-t-il, ici ?

Gravis et les pirates sursautèrent dans un bel ensemble mais ce n’était que les chevaliers.

— Seigneur Caes, seigneur Kappa ! s’exclama le petit majordome sans pouvoir cacher son soulagement évident. Avez-vous pu trouver votre ami ?

Les mines des deux chevaliers s’assombrirent. Ils échangèrent un regard indéchiffrable.

— Oui, finit par approuver Caes.

— Je suis désolé, murmura Gravis.

Un pénible silence régna quelques instants avant que Caes ne reprenne de nouveau la parole. D’un signe de tête, il désigna Cormack.

— Comment va-t-il ?

Le petit majordome secoua tristement la sienne.

— Il n’a pas bougé depuis que vous êtes partis, seigneur.

— Y’a un truc auquel la boule de poil se fait pas, glissa Vacko.

— Si y savait comme j’le comprends, renchérit Crépin. C’est qu’il est flippant, l’tonton… ok, ok !

Kappa avait tiré sa lame de quelques pouces en dehors de son fourreau et affichait un regard sans équivoque à l’attention du pirate.

— Et Ezéquiel ? continua Caes comme si rien ne s’était passé.

— Je suis là, répondit une voix qui venait de derrière les chevaliers.

Il n’était pas seul. Un être bedonnant mais pourtant maigrichon l’accompagnait et se trouvait dans un triste état. Ses froufrous pendaient tristement et son uniforme était déchiré. Alors que le jeune prince dépassait les chevaliers pour rejoindre Cormack, l’ancien majordome en chef s’arrêta lorsqu’il aperçut Gravis Petitpieds. L’étonnement se marquait sur son visage.

— Gravis, marmonna-t-il. Tu es en vie…

— Rodney ! s’exclama l’interpellé avec une joie non feinte. Je suis tellement heureux que tu t’en sois sorti ! C’est incroyable ! Comment est-ce possible ?

— Il s’était caché dans l’une des nacelles de sauvetage hors d’usage, répondit Ezéquiel à sa place. Il y était probablement depuis le début, bataillant pour sa propre place avec les autres passagers. Lorsque les écorcheurs ont attaqué, il n’a pas fait l’erreur d’essayer de s’échapper et ainsi camouflé, ils ne l’ont pas vu…

Le majordome Rodney pâlit à cette explication.

— Je… je ne me suis pas caché, tenta-t-il faiblement de se défendre.

— Je ne me souviens pas t’avoir vu briller par ton courage non plus, Ezéquiel, intervint Caes.

Celui-ci haussa les épaules alors qu’il observait Cormack, soucieux.

— Je ne faisais que donner une explication tangible au fait qu’il soit encore vivant. De ce qu’il a tenté de me bredouiller jusqu’à ce que j’en ai déduit en le trouvant dans les restes de la nacelle, voilà tout. Aucun jugement…

Il secoua gentiment Cormack.

— Nous devons y aller, Cormack. Nous ne pouvons pas rester ici.

Celui-ci consentit à lever de grands yeux tristes vers lui. Il acquiesça tout de même en se remettant péniblement debout. Comme si son corps pesait trop lourd pour lui.

— Comment ça ?! s’écria Rodney. Ils vont envoyer des secours, il faut rester ici ! Il y a déjà un groupe qui a tenté de partir et j’ai entendu des cris. Il ne faut pas partir, ils vont vous attirer !

— Encore lui, grommela Cormack. Manquait plus que ça…

— Qui va nous attirer ? s’alarma Crépin. De quoi y parle, l’autre freluche ?

— Probablement du groupe récupéré par Grimjow et ses troupes, rétorqua Caes. Mais nous ne prendrons pas le même chemin. Nous continuons vers le Sud… Il marqua une pause, son visage se teinta d’incrédulité. Je me demande pourquoi ces gens-là ont pris la direction du Nord. Ce n’est pas logique. Ils se sont jetés dans les bras des Rolfs.

— Ces marchands…, renifla Vacko avec mépris. Un sens de l’orientation merdique, pas vrai Crépin ?

— T’as raison, Vacko ! Mais quand même…. Faut être sacrément idiot pour confondre le Nord et le Sud. Surtout ici, avec ces montagnes comme repère !

— Sauf quand on est plus en état de réfléchir, soupira Ezéquiel. Que l’on fuit quelque chose…

— Les secours ne viendront pas, intervint Caes d’une voix forte en ignorant le jeune prince.

Il se tourna vers le majordome Rodney.

— Néanmoins, vous pouvez faire ce qu’il vous chante. Nous ne vous forçons aucunement, vous n’êtes pas une priorité.

— Plus une gêne, je dirais, rajouta Kappa.

— Ne sois pas idiot, Rodney, le supplia Gravis. Viens avec nous, c’est ta seule chance, ils te protégeront.

— Ne fais pas comme si mon sort te préoccupait, misérable insecte ! hurla le majordome dont le visage n’était plus qu’un masque de pure terreur. Tu m’as tout volé ! Tu m’as tout pris ! Tu es un moins que rien et tu m’as tout pris !

Gravis Petitpieds pâlit sous l’accusation.

— Rodney, tu ne penses pas…

— Ne me parle pas, misérable ! Ne me parle pas ! Ils vont vous dévorer ! Ils vont tous vous dévorer !

— Rodney…, l’avertit Gravis qui reculait, à présent.

— Je t’ai dit de te taire ! Je ne veux plus jamais entendre ta voix. Elle m’insupporte ! Tu ne mérites pas de vivre ! Tu aurais dû mourir avec les autres… Qu’est-ce-que vous pensez faire ?

Il avait stoppé son injurieuse diatribe et fixait les chevaliers qui avaient dégainé leurs armes de quelques pouces, face à lui.

— Ah oui ? C’est comme ça ? siffla-t-il en accusant de nouveau son ancien collègue. Tu vas leur ordonner de me tuer maintenant, hein ? Le grand Gravis Petitpieds qui s’élève au-dessus de sa condition et dirige même ses propres mercenaires. Que leur as-tu promis, misérable insecte ? Savent-ils à quel point tu es insignifiant ?

Il brandit son index à l’encontre des chevaliers.

— Que vous a promis ce minable ? Quoi qu’il vous ait offert, je vous en offre le double rien que pour trancher sa misérable tête !

Mais Caes et Kappa ne faisaient aucunement attention à ses paroles. Surveillant quelque chose qui se trouvait dans son dos et qui s’approchait à pas de loup, menaçant. Voyant que les chevaliers reculaient prudemment, l’incompréhension se fit entendre dans le ton du majordome Rodney dont la voix prenait des intonations aigues.

— Qu’est-ce qui vous prends ? Pourquoi personne ne me répond ?

Il ne sentit que trop tard la présence à qui il tournait le dos. Le souffle de l’écorcheur se faisait déjà sentir sur sa nuque et son haleine brûlante l’enveloppait de relents de chairs pourries. L’animal lâcha son sinistre jappement alors que le majordome Rodney faisait lentement face à son destin, lui dévoilant les terribles crocs de la bête qui se jeta sur lui.

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