Chapitre 42

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Impossible de dire par quel miracle ils réussirent à trouver les autres qui les virent arriver sous la forme d’un ouragan dévastateur, charriant terreur et profonde panique. Kappa avait immédiatement adopté une posture de combat, épée au clair, mais Caes le bouscula sans ménagement.

— Rolfs ! cria-t-il en se précipitant sur les pirates tandis que Cormack se ruait sur le vieux conseiller pour le charger sur son dos.

— Voilà qu’est pas bon ! s’exclama Vacko alors que le chevalier coupait leurs liens.

— Ah ça, pour sûr ! Dès qu’on relâche des prisonniers, c’est pour qu’ils puissent courir plus vite ! J’ai pas raison ?

— Que oui, t’as raison ! Et si c’est des Rolfs, va falloir courir très vite, lui répondit son compère en s’élançant à la suite d’Ezéquiel qui avait ouvert la course.

Fuir sur ce sol inégal à la végétation abondante n’était pas chose aisée et le souffle leur manqua vite. Les poumons en feu et les jambes lourdes, la peur leur donnait malgré tout des ailes. Derrière eux, nul cri ne se faisait entendre, nul hurlement de guerre sauvage ou d’exclamation furieuse. Juste les coups sourds des lourds guerriers à leur poursuite. La troupe de Grimjow Ravageur était composée de soldats entraînés et obéissants. Des tueurs professionnels qui ne perdaient pas de temps en fioritures et préservaient leurs souffles. Ce qui garantissait une très longue traque.

— Le transporteur, Ezéquiel ! lança Caes. Nous ne pouvons tenir un assaut ici.

— Vous voulez quand même pas vous battre contre eux ?! protesta Vacko, le souffle court. Z’êtes des malades !

— Pas le choix, répliqua Ezéquiel sans ralentir. Ils finiront par nous rattraper de toute manière.

— On aurait jamais dû accepter c’fichu boulot, gémit Crépin.

Alors qu’il courait, Cormack eut le sentiment que le sol vibrait sous ses pieds. Les bruits sourds des pas de courses derrière lui, combinés aux souffles réguliers qu’il entendait, emplissaient l’atmosphère. Il avait l’horrible impression de fuir un raz de marée.

Il se força à courir plus vite encore.

Tout à coup, Ezéquiel fit un écart sur la droite et un fléau s’abattit à l’endroit où il se trouvait une fraction de seconde plus tôt. Gravis hurla en cherchant l’assaillant mais Caes le poussa violemment pour l’obliger à ne pas baisser de régime.

— Il les lance pour nous ralentir ! Ne t’arrête pas !

D’autres projectiles pleuvaient à plus ou moins grande distance d’eux. Les guerriers Rolfs lançaient à l’aveugle mais cette stratégie fonctionnait. Il était horriblement difficile d’évoluer sur ce terrain sans compter le fait que l’on pouvait à tout moment recevoir un jet mortel sur la tête. Le manque de concentration les faisait trébucher et leur panique en était décuplée. Si l’un d’eux tombait, les autres ne pourraient rien faire pour lui.

Tout à coup, une course caractéristique se fit entendre sur leur droite mais Caes lança sa lame avant même que le guerrier n’apparaisse. Celle-ci trouva la gorge de ce dernier alors qu’il surgissait du rideau d’herbes hautes, la traversant de part en part. Tandis qu’il passait, à toute vitesse, devant sa victime, le chevalier récupéra son arme en leur hurlant de continuer puis disparut dans la végétation. Kappa fit de même sur leur gauche.

Des protestations étranglées se firent entendre alors que le sifflement spécifique aux lames d’aclérium retentissait. Surprenant les Rolfs dans cet environnement inadéquat au combat loyal, les chevaliers utilisaient le terrain à leur avantage et faisaient des ravages dans les rangs de Grimjow. Des hurlements de rage se firent bientôt entendre mais les bruits de courses ralentirent, laissant place à une plus grande prudence.

Le message était passé. Les Rolfs n’étaient pas les seuls tueurs ici.

Caes et Kappa revinrent dans le groupe de fuyards, tenant à profiter du maigre répit qu’ils venaient de leur accorder.

— Je vois le vaisseau ! s’écria soudain Cormack.

En effet, grâce à sa haute taille, il fut le premier à apercevoir le haut du vaisseau émergeant à l’arrière d’une colline qu’il allait leur falloir gravir. Une vigueur nouvelle vint supporter leurs muscles brûlants et fatigués. Ce qui ne rendit pas plus aisée l’ascension de la surélévation naturelle. Soufflant, crachant, ils se criaient mutuellement des encouragements, s’exhortant les uns les autres à continuer. C’est alors que, encore une fois grâce à sa haute taille, Cormack se rendit compte, avant ses compagnons, de leur terrible erreur.

Dès qu’ils avaient commencé à monter, ils étaient devenus visibles pour les guerriers Rolf et alors qu’une partie de leur troupe prenait le même chemin qu’eux, deux autres groupes se séparèrent au pied de la colline. Partant de chaque côté pour la contourner. Ils filaient dans les hautes herbes comme des prédateurs marins fendant l’écume et laissaient derrière eux un sillage terrifiant de ce point de vue.

Cette fuite en escalade les ralentissait, ils ne pouvaient faire demi-tour et une partie de leurs assaillants allait leur couper la route, ainsi que tout espoir. Cormack leva la tête, cherchant à voir ce qui leur restait à parcourir, le désespoir commençant à saper ses forces.

Un détail attira son attention.

Réagissant au quart de tour, il puisa dans ses ressources et entama une accélération fulgurante qui le fit aisément dépasser ses compagnons. Avalant la colline, et malgré le vieux maître ballotant sur son épaule, il atteint le sommet incroyablement vite. Ezéquiel, pourtant en tête du groupe le précédant, avait bien encore un tiers du chemin à combler pour le rejoindre. Déposant le conseiller, le Rolf se précipita sur les rochers qu’il avait aperçus plus tôt. Entassés sur une vingtaine de pieds de long et bien dix de haut, ils avaient l’air d’avoir été mis là à dessein. Les mousses qui les parsemaient indiquaient que leur position datait d’il y a bien longtemps. Peut-être une mesure de défense ou d’attaque mise en place par l’un ou l’autre des camps lors de la Guerre de la Chair.

La mesure n’était usuelle que pour le côté droit de la colline mais il s’en contenterait. Plus bas, les sillages se poursuivaient, toujours plus nombreux mais il leur restait du chemin avant de pouvoir leur barrer la route.

Cormack se mit à pousser mais au début, rien ne bougea. Il s’arc bouta, la panique lui conférant la force dont il avait besoin et l’avalanche de pierres déferla. Les rochers dévalèrent la pente dans toutes les directions, démonstration d’une puissance abrupte et rocailleuse annonçant une promesse mortelle pour ceux qui croiseraient sa route.

Ses compagnons l’avaient déjà rejoint et, se chargeant à nouveau de Maître Cène, il reprit part à leur course effrénée sans même regarder les tristes résultats de son macabre travail. Les cris de surprise et de souffrance, parfois subitement interrompus, qui en résultèrent qui lui soulevèrent le cœur.

De la même façon que les rochers, avant eux, ils entamèrent la descente de la colline avec à peine assez de contrôle pour ne pas tomber. Sur leur gauche, les Rolfs se tenaient à leur hauteur et progressaient à une vitesse effarante. Certains faisaient tourner ici un fléau et là une épée, gagnés par l’ivresse de la traque et du massacre à venir.

C’était mal connaître les chevaliers de l’Ilir qui, épée à la main, offraient le même genre de démonstration. Le sourire qu’affichait Kappa était des plus meurtriers et sa soif de sang en était presque palpable. Se plaçant sur le flanc gauche du groupe, ils accéléraient pour être en première ligne, leurs visages à tous deux affichaient une détermination sans faille. Portés par cet héroïsme suicidaire, Cormack poussa un rugissement à faire trembler les cieux. La colère emplissait son âme, se changeant en haine de la manière la moins subtile possible. Un besoin de destruction en émergea et l’adrénaline parcourant ses muscles lui donna l’impulsion nécessaire pour se mettre à hauteur des chevaliers.

Les guerriers Rolfs les plus proches d’eux n’avaient pas remarqué la légère bifurcation de leur gibier. Persuadés de les attraper à un point donné, ils n’étaient concentrés que sur leurs propres courses et n’avaient rien vu de ce changement de trajectoire tourné sur l’offensive. Lorsque les cris de leurs frères d’armes, bien trop loin derrière eux, les alarmèrent, il était déjà trop tard. Sur les quatre qui se suivaient, Caes et Kappa en avaient déjà éliminé deux. Commençant par les deux derniers, ceux à l’avant n’avaient rien vu venir et le troisième était déjà tombé lorsque le chef de file avisa ce qu’il se passait sans ralentir.

Analysant la situation en un clin d’œil, le guerrier Rolf ne fit pas l’erreur de stopper sa course, ce qui lui aurait valu une mort certaine. Au contraire, il accéléra pour éviter les lames d’aclérium qui sifflèrent une nouvelle fois. Cette stratégie lui aurait permis de trouver une position plus adéquate à la défense mais c’était sans compter Cormack et l’avance qu’il avait réussi à prendre. Accueillant le guerrier d’un formidable coup de poing, il lui brisa plusieurs dents qui volèrent en tous sens. Le soudard n’eut pas le temps de reprendre ses esprits que Kappa lui passait son épée en travers du corps.

— Bien joué, Cormack ! le félicita Caes après s’être mis à sa hauteur.

Le Rolf sourit malgré lui et ce sourire s’élargit alors qu’à présent, le transporteur était presque aux trois quarts visibles. Ils étaient bientôt tirés d’affaire ! Ils allaient s’en sortir !

Au fur et à mesure de leur course, la couleur des herbes changeait. Passant progressivement de leur jaune maladif à une couleur cramoisie qui évoquait le sang. Ne décélérant pas pour autant, Ezéquiel continuait de les guider et derrière eux, les coups sourds étaient de plus en plus ténus.

Les soudards ralentissaient.

C’est alors qu’un effroyable rugissement retentit. Un rugissement à côté duquel celui qu’avait poussé Cormack, alors qu’ils dévalaient la colline, pouvait passer pour un doux pépiement d’oiseau. À son écoute, leurs corps vibrèrent et son résonnement se fit sentir jusque dans leurs os.

Le colosse s’arrêta net et Ezéquiel s’en aperçut immédiatement.

— Mais que fais-tu ? On ne doit pas…

Il fut interrompu par un nouveau rugissement et regarda Caes. Tous deux savaient très bien à qui il appartenait. Dénué de colère mais faisant montre d’une absolue puissance.

— Cormack !

Le fait qu’il réitère prouva au Rolf qu’il n’avait rien imaginé. Le terrifiant Dorak Pav Erys le connaissait.

Il confia Maître Cène à Kappa qui afficha un air intrigué. Mais Cormack ne faisait déjà plus attention à lui. Ses compagnons s’étaient déjà massés autour de lui alors qu’il levait la tête en direction du sommet de la colline derrière eux. Grimjow Ravageur se tenait à son sommet. Les dominant de son imposante silhouette noire. Même à cette distance, l’on devinait son regard tranquille. Lorsqu’il parla à nouveau, ce fut de la même voix calme dont il avait usé dans le camp.

Ils l’entendirent pourtant sans mal.

— Des chevaliers à la tunique grise… Un bâtard… Oui ! Tu ne peux être que Cormack. Ma blessure !

L’interpellé sentit ses jambes se dérober sous son poids. C’est au prix d’un effort titanesque qu’il parvint à garder une certaine stabilité.

— Tu me connais ?! cria-t-il.

Il devina le sourire de Grimjow avant que celui-ci ne lui réponde.

— Mais c’est tout le peuple Rolf qui te connaît. Tu es notre blessure. Le symbole de notre reddition…, de notre humiliation. Et pour marquer nos cœurs, ils ont choisi un Ravageur.

— Un…, commença Cormack. Non…

Le Rolf noir eut un rire sans joie qu’ils entendirent nettement à nouveau.

— Bien sûr que si, cher neveu ! Cormack Ravageur ! Mais personne ne te l’a jamais dit, n’est-ce-pas ? Préférant te réduire au rang de l’enfant orphelin accueilli de bonne grâce pour te garder sous contrôle, tel un animal de compagnie.

— Ce n’est pas possible, balbutia Cormack. Ce n’est pas…

— Vous avez tué mes guerriers, reprit Grimjow. Sur ce terrain favorable aux lâches et aux assassins. Cela ne restera pas impuni. Ils ont fait de toi un homme grâce aux idées insidieuses mais je t’en fais la promesse, mon neveu…

Il marqua un silence et une larme coula sur sa joue.

— Je t’en libérerai.

Ils ressentirent tous cette menace du plus profond de leurs âmes. N’ayant aucun doute sur sa signification.

Ezéquiel prit Cormack par le bras, le tirant à sa suite.

— S’il te plaît, Cormack, viens ! N’écoute pas ce taré !

Le Rolf se laissa entraîner, hébété. Dans son esprit, il n’avait plus rien à quoi s’accrocher. Une tempête sans nom y faisait rage. Et alors qu’ils s’enfonçaient dans les plaines de Dunam, le terrifiant regard de Grimjow Ravageur les accompagna de même que sa terrible promesse…

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