Chapitre 38

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Cormack ferma les yeux et attendit mais rien ne se passa. Au bout d’un court instant, il les rouvrit et se rendit compte que le terrible guerrier qu’il avait cru voir au premier abord était bien plus jeune que lui. À vrai dire, ce n’était qu’un enfant de bien cinq ans son cadet. Ses grands yeux écarquillés ne contenaient plus la lueur assassine qu’il y avait discernée lors de sa charge folle et furieuse. Seule une rage impuissante mêlée d’une peur mal contrôlée s’y reflétait. Ses bras étaient encore levés au-dessus de sa tête mais écartés en signe de reddition. Sa main droite tenait encore la massue qui, paraissant également moins imposante, pendait tristement.

Encore essoufflé, le jeune Rolf tentait de contrôler sa respiration pantelante et son angoisse visible alors que le tranchant d’une épée effleurait la fourrure abondante de sa gorge. Cormack, encore en position allongée appuyé sur son avant-bras, sentit une main se poser sur son épaule. C’était Ezéquiel qui fixait le petit Rolf en face de lui. Malgré son calme apparent, il avait été tout aussi surpris par cette attaque au beau milieu de la nuit et il en était de même pour Gravis. Les yeux encore embués de sommeil, il n’avait tout simplement pas l’air d’avoir saisi ce qu’il se passait. Ses yeux parcouraient la scène comme s’il s’agissait d’un rêve duquel il ne serait pas encore sorti.

Les pirates, par contre, dormaient encore profondément.

— Kappa, laisse le respirer, lança fermement Caes en s’approchant de leur nouveau détenu.

Le chevalier fit un pas sur le côté, se rendant enfin visible pour tous. Sa lame suivit le mouvement pour se placer en biais sur l’épaule de l’adolescent, la pointe jouxtant sa jugulaire. Une larme solitaire, plus due à la rage qu’à la peur, traça un chemin dans le duvet parsemant la joue du petit guerrier. Cette image serra le cœur de Cormack qui, malgré la possible tournure des évènements précédents, eut envie de le prendre dans ses bras pour le réconforter.

— Tu parles notre langue ? demanda Caes qui avait croisé les bras contre sa poitrine.

Le regard de l’intrus passait de l’un à l’autre sans se départir de sa fureur. Celle-ci s’accentua alors qu’il s’attardait sur Cormack.

Lorsque Caes s’adressa à lui, son visage se para d’une expression de défi pur. Serrant les dents avec force, il ne répondit pas et planta son regard dans celui du chevalier. Quelques secondes passèrent puis le plat de la lame de Kappa s’appuya dangereusement contre le cou tendre de l’insolent. Celui-ci écarquilla les yeux de frayeur sous la pression de l’acier et sa respiration s’accéléra.

— Réponds, lâcha simplement Kappa d’une voix aussi froide que coupante.

— Oui.

— Depuis quand nous suis-tu ? demanda Caes.

— Hier soir.

Cormack s’assit. Il n’arrivait pas à détourner son regard du Rolf qu’il avait devant lui.

Sa voix se voulait ferme mais sa clarté trahissait son âge et sa maturité. Le colosse se dit qu’il devait probablement être plus jeune que lui-même ne l’avait d’abord pensé. Douze ans, peut-être moins…

— Pourquoi ?

La fureur de l’adolescent atteignit un sommet alors qu’il hurlait.

— Vous êtes des meurtriers !

Cette accusation laissa Cormack sous le choc et le silence se poursuivit quelques instants où nul ne prononça le moindre mot. Finalement, Ezéquiel s’approcha de Caes pour lui parler à l’oreille.

— Quel est ton nom ? demanda-t-il ensuite à l’enfant Rolf qui trembla de tous ses membres alors que le chevalier se dirigeait vers lui.

Cependant, c’est à Kappa qu’il parla, à son tour, à l’oreille. Ce dernier acquiesça et la lame quitta la gorge du jeune otage dont le visage s’était paré d’une expression incertaine. Le chevalier blond affichait un sourire mauvais alors, qu’avec son frère d’arme, ils retournaient près du feu, laissant le petit meurtrier en puissance sans surveillance et libre de tout mouvement. Cormack se remit debout en vitesse et toisa le petit Rolf de toute sa hauteur. Celui-ci, nullement impressionné en dépit de son visage strié de larmes, soutenait son regard avec défiance et n’avait visiblement aucune intention de répondre à Ezéquiel.

— Tu n’as pas à nous faire confiance mais tu peux être certain que nous ne te blesserons pas. Pas toi du moins…

Cormack fronça les sourcils et se retourna subitement en entendant deux coups sourds suivis de deux exclamations étouffées.

— Je peux savoir ce que vous fabriquez ?! s’exclama-t-il.

Les chevaliers venaient de tout bonnement assommer les pirates endormis.

— Ils s’assurent que nous ne soyons pas écoutés ou dérangés, indiqua Ezéquiel.

— Ce n’était pas nécessaire, riposta Cormack.

Le jeune prince balaya ses récriminations d’un geste de la main.

— Simple précaution. Ils ronflaient bien trop fort pour être endormis et je n’ai aucune envie qu’ils écoutent ce que nous avons à dire et apprendre. Puis à l’adresse de l’enfant Rolf. Nous ne sommes pas tes ennemis. Tu vois quelles armures revêtent ces guerriers. Puis en désignant Cormack. Tu vois la personne qui se tient à mes côtés.

Cormack se raidit sous l’attention du petit assassin et la soudaine vague de colère qui y fut associée. Serrant les poings et tremblant de tous ses membres dans un premier temps, ce dernier ferma les yeux dans un second. Quand il les rouvrit, il semblait avoir retrouvé le contrôle de lui-même même s’il ne leurra personne.

Il attendait juste une occasion d’attaquer.

— Le transporteur sur lequel nous voyagions s’est crashé, il y a deux jours de cela, continuait Ezéquiel. Nous avons été victimes d’une attaque. Il désigna les pirates assommés du menton. Leur attaque. Et sommes apparemment les seuls survivants…

— Qui étaient les Rolfs morts dans le bois d’Ichor ? coupa Caes qui semblait considérer que les révélations n’allaient pas dans le sens escompté.

— J’allais y venir, intervint Ezéquiel en lançant un regard peu amène au chevalier.

— Après lui avoir décrit les différentes espèces de plantes sur notre chemin ? lui retourna ce dernier avec un regard encore moins avenant.

— Mais c’est pas vrai ! s’écria Cormack en se prenant la tête à deux mains. Vous croyez que c’est le moment pour une dispute ?!

C’est précisément aussi ce moment que l’enfant Rolf choisit pour se précipiter sur son gourdin, coupant ainsi court à la controverse. Cependant, c’était sans compter Kappa qui s’était glissé dans son angle mort à son insu et la lame du chevalier s’était de nouveau posée sur sa gorge.

— Ton nom, murmura le chevalier blond. Ou je te tue.

— Arlem, souffla l’enfant Rolf d’une voix devenue tremblante.

Il avala péniblement sa salive et sa pomme d’Adam tressauta nerveusement alors qu’une exclamation étouffée échappait de ses lèvres entrouvertes. Tout courage semblait l’avoir abandonné face à l’aura terrifiante du chevalier. Une chose que Cormack comprenait aisément. Kappa lui avait toujours donné l’impression d’être une machine sans le moindre sentiment. Une chose qui ne seyait guère aux hommes d’arme d’Iliréa. Il se disait dans son dos qu’il avait pu intégrer la chevalerie de l’Ilir uniquement grâce à Caes Craft qui lui aurait ordonné d’agir comme un être humain et leurrer ainsi le Cercle Gris.

Là, dans le dos du petit Rolf, il semblait n’être qu’une ombre au regard aussi chatoyant que sa lame dont les reflets semblaient s’y propager.

— Kappa, le prévint Caes.

La lame s’ôta dans la seconde mais l’ombre demeura, surplombant un enfant Rolf dont la combativité semblait avoir disparu.

— Qui était les Rolfs morts ? demanda à son tour Ezéquiel.

Il ignora le regard accusateur de Cormack qui se garda pourtant bien d’intervenir. En dépit de toute la compassion de ce dernier pour l’enfant s’opposant à la cruauté nécessaire de ses compagnons, ils se rendait compte qu’ils avaient besoin de ces informations.

— Takem GrandRegard…, articula difficilement Arlem. Accompagné de trois Sangraïs.

— Takem Grand… ?! s’étrangla à son tour Cormack.

— Des Sangraïs, répéta plus sombrement Caes.

La tension monta d’un cran et Cormack ne manqua pas de remarquer l’assentiment discret de Caes à l’attention d’Ezéquiel. Le jeune prince inspira profondément avant de demander à Arlem.

— S’agissait-il de la délégation Rolf chargée d’assister au conseil d’Irile ?

Cormack humecta sans grand succès ses lèvres sèches. Une angoisse nouvelle lui tordait les tripes alors qu’il dévisageait l’enfant Rolf sous la menace de Kappa. Les secondes donnaient l’impression de s’égrener au ralenti. Gravis, lui, resté inexistant depuis le début, les observait à tour de rôle sans avoir l’air de comprendre ce qu’il se passait.

Les Sangraïs étaient le corps d’élite Rolf de la même façon que les chevaliers de l’Ilir restaient le corps d’élite des hommes. Et le Rolf qu’ils accompagnaient était tout aussi célèbre.

— Takem GrandRegard… ? murmura le petit majordome. Ce ne serait pas…

— Le second du Crack Pav Erys, termina Cormack à sa place. Et après lui, la plus haute autorité du peuple Rolf. Il fit un pas en direction de l’enfant qui s’en raidit d’autant plus. Que faisait-il dans le bois d’Ichor ? Pourquoi ce détour alors qu’ils étaient attendus en Irile ?

— Ils n’avaient guère l’intention d’aller en Irile ! cracha Arlem avec rage. Ils rejoignaient le royaume vert. Il marqua une pause durant laquelle il dévisagea Cormack avec un mélange de colère, de tristesse et de déception qui frappa le Rolf bien plus durement que ne l’aurait fait un coup de poing. C’était une erreur. Son expression se durcit alors qu’ils le sentaient refluer ses larmes par sa seule volonté avant de balayer leur groupe avec animosité. Une terrible erreur.

Durant un moment nul ne parla.

— Pourquoi rejoignaient-ils notre… ? commença Ezéquiel.

— Pourquoi restes-tu persuadé que nous les avons tués ? s’écria Cormack en lui coupant la parole.

À ces mots, le petit Rolf fit quelques pas dans sa direction, le forçant à reculer. Un geste de Caes intima à son frère d’arme de rester en retrait alors qu’Arlem se dévissait le cou pour verrouiller son regard accusateur dans celui de Cormack.

— Il n’y avait que votre odeur sur les lieux, assena-t-il. Une odeur d’homme que j’ai suivi tout en promettant vengeance à l’Erys.

Poursuivant sur ce ton menaçant, le son de sa voix baissa en intensité, se rapprochant du grondement d’une bête sauvage. Ses yeux s’étrécirent jusqu’à n’être plus que deux fentes où ne régnaient que douleur et colère alors que son visage se figeait en un masque de haine.

— Vos manipulations malhabiles ne marcheront pas sur moi. Au contraire, elles ne font que vous rapprocher de cette promesse de mort douloureuse que je vous réserve. Que je vais cultiver en attendant le bon moment de votre exécution. Priez, car une nouvelle guerre de la Chair est à vos portes. L’horreur va déferler de nouveau sur les Contrées et sachez que vous restez les artisans de votre propre perte !

Soudain, il se jeta sur le côté avant d’effectuer une roulade dont il se releva pour une fuite éclair avec une vivacité inouïe. Avant que n’importe lequel d’entre eux, bouleversés par la nouvelles, n’ait pu faire le moindre geste, le bruit de sa course se perdait dans les ténèbres environnantes.


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