Chapitre 25

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Le jour se levait. Le soleil, émergeant de la couche nuageuse, éclairait de ses premiers rayons un transporteur où l’activité commençait déjà. Petit à petit, le personnel de plus en plus nombreux entamait ses tâches matinales. Dans un premier temps fébriles, des dizaines de paires de main se mettaient à l’œuvre. Devenant de plus en plus assurées au fur et à mesure que la fatigue s’estompait. Des sols étaient lavés, récurés ; des toiles, du linge et des câbles se tendaient et des déjeuners étaient préparés.

Surplombant le navire, dans la salle de pilotage, se trouvait le capitaine Rouchard. Confortablement installé dans son siège à haut dossier, il souriait largement.

— Capitaine ! Nous sommes en vue de l’Arc aux Creux, l’informa son second à la barre.

— Maintenez le cap, je vous prie, lui commanda Rouchard en retour.

Le second s’exécuta ou plutôt ne fit rien, à part conserver sa trajectoire. Mais ce n’était pas l’important pour le capitaine Rouchard qui se renfonça dans son siège tout en poussant un soupir de satisfaction. Car depuis quelques jours, le comportement de son équipage, envers lui, avait changé. Auparavant, il n’était guère informé des manœuvres de pilotage. Mais maintenant, tout était différent, on le considérait désormais avec respect.

En matière de gestion de son navire, évidemment, était concerné le récemment promu majordome en chef Gravis Petitpieds. Et il fallait dire que le capitaine était réellement impressionné. Ce petit homme faisait un sacré bon travail. Il faisait également preuve d’un zèle, pour le moins, admirable. Le jeune agent des transports avait eu une remarquable intuition. De même pour Pagan Rouchard qui avait eu le bon sens de miser sur sa bonne foi.

En y repensant, le jeune homme ne lui avait pas dit son nom.

— Monsieur, je… Il y a un navire étranger face à nous.

Le capitaine ressentit un frisson lui parcourir l’échine.

— Identifiez-le ! croassa-t-il.

— Monsieur, je…

La voix du pilote tremblait et la panique en perçait. Une panique qui cloua Pagan Rouchard sur son siège alors qu’il regardait intensément ses propres pieds. Comme si le fait de ne pas la voir dissiperait la menace. Car tous ici présents savaient que cet unique vaisseau dans leur ligne de mire n’était qu’un barrage et que d’autres allaient arriver sous peu.

— Que fait-on, capitaine ? murmura le pilote en second.

Il regardait fixement le navire étranger avec un air résigné. Déjà bien au courant de ce qui allait arriver. Pagan Rouchard garda les yeux fixés sur ses chaussures. Comme si celles-ci allaient lui apporter la réponse, la solution à ce dramatique changement de situation.

— Capitaine, il faut évacuer !

Oui, il fallait évacuer. Le capitaine Rouchard hocha la tête pour lui-même. Il comprenait ce que lui disait le pilote en second, il savait qu’il fallait évacuer. Cependant, il n’arrivait pas à le formuler. Il n’arrivait pas à prendre une décision.

— Capitaine ! Vos ordres !

La fierté grisante de tout à l’heure avait disparu. Partit le sentiment de puissance que lui avaient apporté les solutions du jeune agent sans nom. Subitement, il ne voulait plus de ce poste à contraintes. Il ne voulait plus de ces responsabilités. Il ne se sentait plus à sa place sur ce navire… Que n’aurait-il pas donné pour être ailleurs… Il étouffa un sanglot.

— Capitaine…

— Je ne sais pas, murmura-t-il.

Le jeune agent aurait peut-être su quoi faire lui ! Mais il n’était pas là… Il allait mourir comme les autres. Pagan Rouchard baissa à nouveau les yeux. Les pilotes et le reste du personnel vidèrent les lieux à toute vitesse, le laissant seul. Il ne dit rien. Ils l’avaient toujours laissé seul de toute manière. Qu’ils meurent eux aussi… Un autre sanglot.

C’est dans un horizon nacré par les lueurs matinales que se regroupèrent les agressifs petits vaisseaux pirates. Arrivant au loin à toute vitesse sous la forme d’un petit point lointain, leur forme se discernait à mesure qu’ils s’approchaient. Décélérant au dernier moment, ils se positionnaient près de leurs semblables avec une précision effarante. Petit à petit, l’on pouvait clairement percer leur dispositif en arc de cercle, barrant tout passage au monstrueux transporteur.

Terrifiante mise en scène qu’offrait cet indéfendable cargo de marchandise néritien face à ces agressives miniatures. Tel un gigantesque herbivore en proie à une meute de loups.

Au plus près, l’on pouvait constater que leurs allures n’avaient rien à voir avec celle du transporteur large et rond. Ici, les bords étaient acérés et les voiles étaient de sang. Pas âme qui vive n’était en vue sur l’un de ces effrayants prédateurs de métal tout de crocs et griffes apparents vêtus.

C’est alors que commencèrent à s’ouvrir des écoutilles sur les multiples ponts des multiples vaisseaux pirates. Émergeant de ces soutes ténébreuses, semblables à des cadavres doués d’une étonnante vigueur s’extirpant de leurs tombes, les pirates déferlèrent sur leurs propres navires. Yeux vides mais dont les visages affichaient pourtant des rictus goguenards, ils jouaient de leurs épées, haches, couteaux et coutelas. Tout en eux réclamait des vies et du sang. Ils jubilaient à la perspective du massacre à venir.

Assistant avec impuissance à cet effrayant spectacle, les passagers, de plus en plus nombreux, s’attroupaient dans les couloirs et les ponts du gigantesque vaisseau marchand. Hagards et abrutis par le sommeil pour la plupart, ils se refusaient à croire ce qu’ils avaient sous les yeux. Des centaines de visages blêmes contemplaient l’outil du malheur qui allait s’abattre sur eux. Un long silence marqua cet instant de stupeur où ils tentèrent de nier la réalité.

Car la réflexion de masse est plus ardue et bien moins logique que la réflexion individuelle. Elle laisse les gens interdits jusqu’à ce que l’un prenne enfin la mauvaise décision et sème la panique qui ne demandait qu’à s’exprimer.

Les premiers morts et dégâts furent causés par une foule incontrôlable. Ceux qui tentèrent de la calmer et de la ralentir se retrouvèrent piétinés sauvagement. Ils constituèrent les premières victimes sous le règne de ce charme terrible qui rabaissait à l’instinct de survie le plus basique. Cette peur primale qui possédait corps et âme. Qui poussait à mordre et griffer au travers de la folie ambiante. Les nacelles de sauvetage furent prises d’assaut par des centaines de voyageurs fous furieux. Se bousculant et se frappant pour y avoir leur place, nombreux furent ceux à être projetés dans le vide où leurs cris sans fin étaient accompagnés par les rires des pirates. Puis comme répondant à un signal discret, d’immenses grappins, reliés aux patrouilleurs par des câbles et semblables à d’affreuses et crochues mains métalliques, furent projetés en direction du transporteur. Avec puissance et force, ils s’enfoncèrent dans la carcasse du vaisseau. Très vite, l’espace fut comme une immense toile d’araignée et le transporteur comme un insecte impuissant emprisonné à l’intérieur.

L’attaque avait commencé.

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