Chapitre 19

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Dans la pénombre de cette éclatante cité

La solitude la tenait pourtant comme promise

Malgré la demande, son cœur tourmenté

N’avait de cesse de languir pour une toute autre emprise

Habitant du ciel depuis des années

Tout son être à lui se languissait de liberté

Venant à lui sous la forme d’une vierge épurée

À qui il pourrait s’ouvrir sans même hésiter…

— Ezéquiel, je commence à en avoir plus qu’assez de toute cette mascarade ! Ce n’est pas encore fini ?

Tout en murmurant cette doléance, le Rolf avait tenté d’y insuffler l’accent le plus rageur possible. Chose peu aisée dans un murmure… Sans paraître le moins du monde agacé, Ezéquiel lui intima le silence d’un geste de la main. Alors qu’ils étaient tous deux camouflés par une imposante machine, la voix soprano du minuscule Gravis Petitpieds leur parvenait sans mal malgré la distance et les quelques structures les séparant.

La salle des machines dans laquelle ils se trouvaient était, à l’image du transporteur, véritablement immense. Un vrai labyrinthe de dispositifs surdimensionnés dont les utilités restaient, pour le jeune prince, un vrai mystère. Plus étrange encore, Cormack, quant à lui, paraissait se sentir à l’aise dans ce fatras mécanique. Allant jusqu’à comprendre, de manière assez logique, le fonctionnement et les liens de la plupart des installations. Il avait tenté de l’expliquer « simplement » à son ami mais celui-ci s’était contenté de le regarder avec des yeux ronds qui s’étaient vite fait soupçonneux. Chose qui n’avait pas manqué d’agacer le Rolf.

Alors que les journées n’en étaient qu’à leurs balbutiements

La Belle se tournait sans cesse à l’horizon

Son cœur réclamant encore et toujours en chantant

La venue de ce prince des airs beau et bon…

— « Bon », peut-être…, lâcha Cormack. Ou plutôt, « simplet » serait un meilleur qualificatif !

Ezéquiel lui intima de nouveau le silence. Car même si les machines les entourant faisaient un boucan d’enfer, la voix de Gravis leur parvenait tout de même. Alors que dire d’un Rolf ronchonnant… Pourtant ce même Rolf ronchonnant ronchonnait, pour sa part, d’une manière tout à fait légitime. Un ronchon même plus que justifié !

Sitôt le navire dans les airs suivi par la rencontre avec le désagréable Rodney, il avait passé le reste de la matinée à suivre Ezéquiel. Ceci à travers un dédale de couloirs luxueux, de terrasses luxueuses, d’escaliers luxueux, de salles de banquet luxueuses, de cagibis luxueux, de cuisines luxueuses, de majordome luxueux et de plates-formes luxueuses ! Complétant ce panorama luxueux, ils avaient rencontré des gens ne pouvant vivre sans luxe et d’autres qui le paraissaient, des marchands rêvant de luxe et des matelots qui en avaient plus qu’assez, un Rodney leur refusant le moindre luxe et pour finir Gravis Petitpieds !

Gardant dans son esprit la gueuse

Alors qu’il batifolait avec une inconnue

La main sur une croupe élastique et généreuse

Il désespérait de ne rester fidèle qu’à son beau…

— Je… Je viens d’avoir un frisson, balbutia soudainement Cormack. J’ai dû rater un couplet !

— Tais-toi, souffla Ezéquiel.

— Je trouvais ça niais, au début…, ne put s’empêcher de continuer le Rolf. Sans parler de la prose déplorable ! Comment en est-on arrivé à cette comptine paillarde ?!

Le jeune prince posa subitement la main sur la bouche de son ami, étouffant dans l’œuf ses récriminations indignées. La chanson s’était arrêtée, de même que le souffle des deux compères qui ne bougeaient plus le moindre muscle.

Leur parvint alors une petite voix rendue tremblante par l’angoisse :

— Il y a quelqu’un ?

Nul ne répondit.

— S’il… s’il vous plaît, montrez-vous…, somma le petit majordome sur un ton effrayé et suppliant. Vous n’avez pas le droit d’être là.

Ezéquiel laissa retomber sa main en poussant un long soupir. Délivrant, par la même occasion, la bouche du Rolf qui, comme par miracle, ne s’en servit pas. Cependant, il ne se gêna pas pour lancer au jeune prince un regard furibond.

Ensemble, ils se levèrent de concert et sortirent de leur cachette de fortune. S’exposant, par la même, à la vue du petit majordome qui parut se dégonfler tant son soulagement était grand.

— Mais que faites-vous là ?! s’exclama-t-il.

Ezéquiel lui offrit son plus beau sourire et leva ses deux mains en signe d’apaisement.

— Ne vous inquiétez pas, maître Gravis. Nous vous cherchions depuis quelques heures lorsque l’un de ces nombreux marchands fortunés, peuplant ce transporteur, a eu la gentillesse de nous indiquer où vous trouver.

À cette révélation, Gravis Petitpieds haussa un sourcil, soudain perplexe.

— Quel est le nom de ce marchand ?

— Plaît-il ? demanda le jeune prince comme s’il n’avait pas compris le sens de la question.

Cormack fronça les sourcils. Ne voyant pas du tout où voulait en venir son ami. C’était un simple matelot qui leur avait révélé où trainait ce minus durant ses heures perdues.

— Je ne le connais pas, celui-là, réfléchit le majordome, la mine de plus en plus soupçonneuse.

Ezéquiel laissa alors échapper un gloussement qui stupéfia Cormack. Et pour preuve, Ezéquiel ne gloussait jamais.

— Je ne me moquais pas de vous, maître Gravis, s’excusa celui-ci. C’est juste que je n’avais pas compris votre question… nouveau gloussement… J’ai donc ri de ma propre bêtise.

— Je vois, lâcha le petit homme peu convaincu.

Sans attendre, le jeune prince enchaîna :

— C’était un marchand de grands crus nabarois… J’ai le nom sur le bout de la langue. Mince alors !

Il gloussa de nouveau avant de reprendre. Cormack le regardait avec des yeux ronds comme des soucoupes.

— Brun, port altier et bien en chair…

Tandis qu’Ezéquiel poursuivait sa description, à la recherche du nom perdu, le Rolf eût soudain une illumination. Effectivement, il se souvenait de ce marchand qui l’avait regardé d’abord avec crainte puis avec un suprême mépris. Cependant, les qualificatifs utilisés par son ami paraissaient étonnamment mélioratifs par rapport à l’individu dont Cormack avait le souvenir. C’est-à-dire celui d’un petit obèse pompeux aux cheveux éparses.

— Maître Ronchelet ! s’exclama alors Gravis en faisant sursauter le colosse.

— C’est cela ! renchérit Ezéquiel. Comment ai-je pu seulement l’oublier ?! Je suis impardonnable.

Il gloussa encore de bon cœur mais Gravis Petitpieds, encore loin de s’en laisser conter, lança :

— Mais Maître Ronchelet ne m’a jamais paru être le genre d’homme à s’abaisser sur la condition d’un être tel que moi…

C’est alors qu’Ezéquiel sortit une bouteille de sa sacoche avant de la présenter au petit homme soudainement ébahi.

— C’est bien un cru Compart… ? Du duché Compart…

Le jeune prince eut un sourire indulgent et acquiesça :

— C’est ce qu’il m’a semblé entendre de l’honorable bouche du Seigneur Ronchelet. Cependant, le fait que les vins n’aient point de secrets pour vous ne me surprend guère…

— Ce vin a au moins trente ans d’âge ! le coupa le majordome.

— Sur ce point, je vous fais une confiance totale.

— Et il coûte une fortune !

— Rien de moins que vous ne méritiez, à mon humble avis.

Gravis Petitpieds releva, vers le jeune prince, des yeux brillants de gratitude.

— Maître Ronchelet a-t-il une si haute opinion de ma personne ? demanda le petit être d’une voix vibrante d’émotion.

Ezéquiel leva les mains.

— D’après ses mots, il est hors de question de parler de favoritisme ! tempéra-t-il. Disons plutôt qu’il s’agit d’une juste compensation tout en espérant que vos rapports, à l’avenir, resteront tout aussi professionnels.

Le regard de Gravis se remplit soudainement d’une volonté nouvelle. Cormack aurait même juré que le petit homme était subitement devenu plus grand. D’une voix solennelle, que le Rolf aurait également jugée plus grave, ce même petit homme déclara :

— Mes seigneurs, voudriez-vous que nous dégustions ensemble, sans plus attendre, ce magnifique présent ?

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