Chapitre 3

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Les premiers rayons, prémices à l’apparition de l’astre lui-même, illuminèrent la cime de la barrière infranchissable que constituaient les Mont-Sciés. À peine firent-ils irruption que la jeune femme, pourtant à des centaines de kilomètres de la chaine de montagne, fut aussitôt baignée de leur chaude lueur. La lumière alla se propager loin, bien au-delà d’elle, pour revenir illuminer progressivement la cité qu’elle surplombait. Elle frissonna alors que la chair de poule, affleurant à ses avant-bras et son cou dénudés, disparaissait lentement. Sa prise se raffermit sur la rambarde et ses doigts exercèrent une légère pression sur le métal froid pendant qu’elle savourait cette sensation de douce chaleur. Seulement vêtue d’une robe de nuit virevoltant sous l’effet d’une faible brise, elle frémissait sous la sensation des multiples caresses que lui procurait le frottement de la fine soie sur son corps nu. Inspirant profondément, elle emplit ses poumons d’un air pur, dénué de toutes les odeurs de la ville. Il avait plu durant la nuit et les diverses senteurs nauséabondes de la cité stagnaient encore au sol.

Son regard se porta une nouvelle fois vers la chaine de montagne à l’est. Alors que l’astre solaire n’en était pas à moitié émergé. À le voir comme cela, il était difficile de s’imaginer que le monde continuait par-delà ce mur rocailleux aux tranchantes hauteurs…

— Combien de fois faudra-t-il que je me… répète. Cessez donc de vous balader à moitié nue.

Clare tira sur ses courts cheveux blonds et se tourna vers la propriétaire de la voix traînante et narquoise qui venait de se faire entendre.

— Tu es là depuis longtemps, Lamia ? demanda-t-elle à la grande femme aux formes épanouies qui se trouvait à seulement quelques pas.

La dénommée Lamia esquissa une légère révérence. Son corps divin s’exécutant avec une grâce sensuelle et provocante. Son regard langoureux à l’éternelle lueur ironique et calculatrice ne quittait pas les yeux de loup de son interlocutrice.

— Je ne suis jamais loin, ma dame…, même quand je le suis, répondit mystérieusement la jeune femme à la longue chevelure auburn.

Elle avait une curieuse lenteur dans la voix, de même que dans sa gestuelle et ses déplacements. Une impression de constante placidité émanait de son attitude, ce que son regard aux longs cils démesurés renforçait… Chose difficile que cerner cette magnifique créature qui laissait trainer un sentiment de malaise dans son sillage. Tel un esprit diabolique semant les graines de la perdition.

— J’osais espérer qu’après trois mois dans les duchés… Vous perdiez habitude de telles manies matinales, soupira Lamia. Voilà un jour à peine que nous sommes revenues et je vous retrouve en altitude…

Le regard de la jeune femme blonde parcourut le paysage s’étendant par-delà la Cité d’Irile à l’ouest. Les plus ou moins vastes domaines qui s’étalaient jusqu’à la frontière naturelle entre les Contrées Marchandes et les Contrées Chantantes. Territoires des ducs et des duchesses.

— Le soleil tarde à se lever sur les duchés, reprit-elle. Bien trop à ras de terre, j’en ai peur.

Dans son dos, la plantureuse domestique laissa échapper un ricanement. Passant le linge qu’elle tenait d’une main à l’autre, cette dernière plaça d’un ton dangereux :

— Un lever de soleil… Annonciateur du labeur à venir pour la journée. Effaçant avec douceur les froideurs de la nuit dans la promesse hypocrite d’une étreinte légère et continue. Vient le moment où cet astre diurne prend ses incroyables hauteurs et vous brûle sauvagement…

Avisant que Clare penchait la tête d’un air sceptique, elle prit un air malicieux en glissant :

— Cependant, le crépuscule signifie bien plus à mes yeux… Dois-je vous dire pour quelles raisons ?

Clare nia sans même se retourner. Le silence s’éternisa alors que l’astre lumineux continuait de s’extraire des Monts Sciés.

— Lamia ? appela-t-elle enfin.

— Oui, ma dame… ?

— Devant ce spectacle, il serait facile de penser que le monde s’arrête aux simples Contrées Marchandes et Outremers.

— Le monde civilisé, certainement ! s’exclama la dame de parage. Pensez-vous… Trois royaumes se trouvent par-delà les Mont-Sciés. Et quels royaumes ! D’immenses monstres aussi poilus que sanguinaires, des Nains obnubilés par leurs forges… et pour finir un certain Royaume Vert aux mœurs des plus particulières… Outre la nette tendance des Rolfs à vouloir faire des Contrées un vaste garde-manger et celle des habitants du Royaume Rouge à faire profiter de leurs ressources à prix d’or…, il reste le royaume d’Iliréa qui se démarque largement. Aux dernières nouvelles, leur prince lui-même tiendrait l’un des bars du Royaume Vert. Vous imaginez !

— Mmhh…

Elle n’avait jamais visité les Contrées Marchandes. Ses seuls aperçus de cette région de Soreth avaient été du haut du grand mur des Baronnies, longeant la frontière Est de celles-ci. Au loin, elle avait pu discerner les ombres fantomatiques des falaises de l’Arc au Creux, dominant le Bois d’Ichor. Cette sombre forêt sur laquelle circulaient les fables les plus accablantes.

Les Contrées Chantantes étaient dépeintes comme un territoire dangereux, sauvage… Alors que Clare avait toujours imaginé cette région comme enchanteresse, la plupart des habitants des Contrées Marchandes la considérait comme investie d’une magie terrifiante, ainsi que d’horribles créatures. Pour la jeune femme blonde, les Contrées Chantantes étaient surtout méconnues et le fait que le peuple Rolf règne au nord de celles-ci y faisait beaucoup. C’était aussi la raison pour laquelle il lui avait été formellement interdit d’y mettre un pied.

Cela et le fait que les Contrées Marchandes et Chantantes ne soient pas dans les meilleurs termes.

— Vous n’êtes guère avec moi, grommela Lamia. Je dirais que vous vous entêtez à vous mêler de ce qui ne vous regarde… pas.

— Tu es mal placée pour me dire ça, rétorqua Clare. De plus, je ne suis pas de cet avis. Quelque chose se trame derrière ces assassinats. Les ducs et duchesses visés ne l’étaient pas au hasard.

— Je sais déjà ce que vous allez me dire, soupira la plantureuse brune. Pour ma part, chasser de l’Ogre m’a suffi. C’était un… plaisir ! Qui aurait cru qu’un être de sa corpulence soit si vif. Enfin ! Nous devrons vous apprêter cette après-midi pour le banquet de ce soir !

Clare se rembrunit et poursuivit comme si elle n’avait pas entendu la dernière phrase.

— Il s’est aussi débarrassé de notre source d’information. Cette chose ne pense qu’à son estomac. Je ne comprends toujours pas pourquoi il a été désigné pour élucider ces meurtres.

— Je pense plutôt qu’il était là de manière punitive essentiellement, plaça Lamia sans pour autant abandonner. Je me suis personnellement occupée de la robe que vous porterez…

— Ce qui rend Son choix plus incompréhensible encore…

— Nous aurons tout loisir de le lui demander lorsque nous le verrons mais en attendant, il reste des sujets d’importance ! coupa la brune en levant un index menaçant à l’encontre de la pupille. Comme vous apprêter pour faire face à pas moins d’une centaine de prétendants. Ou encore le Conclave qui réclame votre présence.

— Merveilleux.

— Ils vous convoquent aux Chambrières à midi.

Clare se retourna à cette nouvelle et pencha la tête, l’air sincèrement intrigué.

— Aux Chambrières ? répéta-t-elle. Y aurait-il un jugement à venir ?

— Nous allons vite le découvrir…, ma dame.



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