Kashi

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Max me fixa d’un regard un peu vide. J’aurais pu lui répondre. J’aurais pu aisément répondre à chacune de ses questions. Ca faisait dix ans que c’était le même cinéma et cela me fatiguait. La DO gardait un contrôle strict sur ses frontières pour protéger sa culture, se méfiant de l’effet qu’auraient une importation et une émigration de masse. Protection culturelle. Protection du patrimoine culturel.

C’était en tout cas ce qu’on apprenait à la télé et dans nos manuels. La gauche soupçonnait des raisons purement économiques mais c’était un peu tabou. La DO était encore majoritairement perçue comme une découverte extraordinaire, même pour les Natifs comme moi, ceux qui étaient nés après la Fissure. Et, pour être honnête, j’étais d’accord avec cette perception des choses. C’était de la véritable science-fiction ! Vingt ans plus tôt, on s’émerveillait de l’internet mais on avait ensuite découvert un autre monde, une autre Terre, entière. J’imaginais parfaitement comment avaient dû se sentir les Anglais lors de la découverte de l’Amérique.

Mamax tirait sur une de ses boucles noires, à la base de sa nuque. A mon humble avis elle sous-estimait la capacité de maman à nier les choses dérangeantes. Ma mère aimait les habitudes, le calme et les douceurs. C’était une personne angoissée qui évitait les conflits et préférait être invisible plutôt que remarquable. Pendant longtemps, j’avais essayé de lui trouver des excuses. A présent, je lui en voulais d’être une mauviette et spécialement de n’avoir pas su apprécier l’amour que Mamax et moi lui vouions. Il me semblait qu’elle avait toujours gardé ce cadavre dans un coin de son cœur et maintenant que je l’avais rencontré, un franc connard complètement taré, j’étais encore plus furieuse contre elle.

Toutefois, je ne pouvais nier que son éclat de tout à l’heure m’avait scotchée. Je ne l’aurais jamais crue capable de frapper qui que ce soit. Elle se laissait marcher dessus par ses managers depuis des décennies. La voir cogner sur le cadavre ne lui ressemblait pas du tout.

Malheureusement, elle était très vite redevenue elle-même, une fois le vieux ligoté à l’étage. Comme s’il ne s’était rien passé, elle était allée préparer le dîner en m’envoyant à la douche. Max m’avait confisqué mon portable et mon ordinateur pour m’empêcher de tweeter les photos du cadavre à terre. Super. Bienvenue au Moyen-Age. J’avais quand même eu le temps de voir que mon premier tweet avait été liké 372 fois et retweeté 54 fois. La gloire ! J’avais hâte d’être à demain. Mes potes allaient en crever de jalousie.

Mais en attendant, il fallait secouer Maman et Mamax, parce que, pour une fois qu’il se passait quelque chose, je n’allais pas les laisser tout gâcher. Max laissa ses boucles en paix et répondit finalement en se levant :

"Va passer ta crème, nous allons dîner.

  • Quoi ?! Mais merde, Max ! On s’en fout de ça pour l’instant !
  • On ne s’en fout pas du tout, siffla Mamax d’un ton si tranchant que je me sentis rosir."

La honte me brûla les pommettes. Depuis que la maladie s’était déclarée, un an plus tôt, elles s’étaient défoncées pour trouver des remèdes et des cures. Mamax rentrait encore plus tard que d’ordinaire et nos week-end s’étaient résumés à arpenter les routes et sauter d’instituts de recherches en centres médicaux. Mais il n’existait encore rien pour combattre la Tâchénose. Les premiers cas étaient apparus sept ans après la découverte de la Fissure. Impossible de prévoir son expansion puisqu’elle ne touchait que des personnes au hasard. Néanmoins, elle contaminait beaucoup plus de monde du côté de la DT que de la DO, comme si ceux-ci avaient parfois développé les bons anticorps. En moyenne, on ne donnait que cinq ans aux personnes infectées. Il ne m’en restait donc plus que quatre. Depuis ce matin où j’avais noté cette minuscule tâche noire sur mon genou, j’avais essayé trois traitements et six lotions. J’en étais à ma septième crème et je n’escomptais pas plus de résultats que les précédentes. La tâche, qui s’étalait à présent comme une horrible pieuvre sur toute ma cuisse droite, continuerait son expansion sur ma colonne vertébrale, me paralysant les membres inférieurs, puis remontrait dans mon dos, sur mon ventre, mes bras, jusqu’à ma tête, neutralisant une à une les différentes zones de mon cerveau. Je mourrais sans souffrir physiquement, mais totalement gâteuse. Je ne désirais cette fin pas plus que mes parents. Mais je ne comptais pas attendre une mort si lente et je trouvais dans cette résolution assez de réconfort pour envisager tout ça plus calmement qu’elles.

"Ok, capitulais-je. Je vais mettre cette foutue crème. Mais toi, tu fais en sorte que Maman n’oublie pas que son ex est enfermé dans votre chambre et qu’il va falloir agir."

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