Max

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Kashi se laissa choir sur une chaise, maussade. Même ainsi avachie, elle était magnifique avec son odeur de savon au lait et ses cheveux relevés avec une baguette chinoise. L’adolescente typique qui aurait préféré tout faire plutôt que de se taper ses devoirs avec sa mère. Chaque soir, le plus souvent après le dîner compte-tenu de mes horaires, je reprenais chacune de ses leçons avec elle. L’angoisse venait de Mali et de sa crainte de voir sa fille ne pas faire d’études. Elle n’avait pas encore réalisé que la découverte de la Fissure avait tout changé. Depuis un an, c’était de plus en plus ardu de faire venir Kashi pour ses devoirs.


Elle jeta un œil vague vers la cuisine d’où s’échappaient des bruits de cuisson et des odeurs de poulet et de pommes de terre. Je faisais moi-même de mon mieux pour ne pas penser à mon estomac qui criait famine. Avec tout ce remue-ménage, nous n’allions pas manger avant 21h.

"J’ai pas eu vraiment cours, Mamax, tu sais bien que j’ai pas de leçons, protesta l’adolescente d’un ton naviguant entre l’agacement et la lassitude."

Chaque année, à la même date, j’insistais pour lui faire réviser le contexte de l’accord d’Union et chaque année je devais lui répéter :

"C’est important de connaître tout ça, Kashi.

  • On pourrait faire une exception quand mon père est attaché à l’étage, marmonna-t-elle dans un soupir. »

Je lui lançais un regard noir, sans bien voir le rapport. Elle n’insista pas et je soupçonnais Mali de lui avoir raconté comment cet accord avait changé ma vie et la sienne. J’entamais la série de questions rituelles :

"A quelle date la Fissure a-t-elle été découverte ?

  • Le 9 avril 1990.
  • Par qui ?
  • Un randonneur anonyme qui est allé se perdre comme un gros crétin sur la Chartreuse. Et au lieu de garder bien pour lui cette espèce de fenêtre donnant sur la mer en pleine montagne, ce glandu est allé en parler aux keufs."

Je n’aimais pas cette nouvelle façon de parler qu’elle avait adoptée peu avant le lycée. Par chance, je n’avais pas eu de difficultés à apprendre le français, mais elle utilisait trop de mots d’argot pour que tout soit clair. En outre, j’étais Karmack d’origine et mon éducation m’avait légué l’horreur de la vulgarité. Autant dire qu’en vivant avec une adolescente française, je devais énormément prendre sur moi. Ce que je fis, je dois le dire, avec un sang-froid magistral, réprimant mon envie de lui fracasser l’un des pots de canidé sur le crâne.

A la suite de la découverte de la Fissure, les visites diplomatiques, recherches scientifiques, résolutions de tensions et propositions de partenariats s’étaient enchaînées. Il fallait apprendre les langues respectives, bien qu’elles ne soient pas si différentes, établir des législations, calmer les populations, marcher sur des œufs. Donner des noms respectifs aux deux dimensions, tirés des noms que nous donnions respectivement à nos planètes. La dimension T, pour Terre, ou DT et la dimension O, pour Owl, ou DO, pour la mienne.


L’administration de Fadès étant aussi compliquée que l’administration française, il s’était écoulé cinq ans avant que tout cela prenne à peu près forme. Cinq années pendant lesquelles les frontières n’avaient été ouvertes qu’aux diplomates des deux dimensions. Cinq longues années à ne voir Mali et Kashi qu’en pointillés.

"Qu’est-ce qu’a permis l’accord d’Union ? continuai-je, évitant de me laisser emporter par la nostalgie.

  • Le droit de mariage des ressortissants des deux dimensions, des accords d’importation de produits de la DO à la DT. Enfin presque toute la DT, sauf la Corée du Nord et la Russie.
  • La DO a-t-elle aussi autorisé l’importation ?
  • De façon très contrôlée, tout comme les visas, les permis de résidence et de travail, contrairement à la DT, enfin du moins l’Europe, qui a complètement ouvert ses frontières, récita-t-elle.
  • Pour quelle raison ?
  • Max, est-ce qu’on va vraiment continuer à faire comme si maman n’avait pas pété les plombs et qu’on était pas grave dans la merde parce qu’elle a frappé mon père censé être mort et qu’en plus on l’a kidnappé ?"

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