Ashar

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Les mots dans de l’ouate et de la cendre. Le tapis qui sentait la poussière. L’obscurité.


Je m’éveillais dans une pièce sombre et fraîche. Je distinguais, dans la lueur blafarde de la lune, l’ombre d’un grand lit, une étagère, des tables de chevet, quelques cadres noirs. Des vêtements sur le dos d’une chaise. Un soutien-gorge laissé à l’abandon. Leur chambre. Et la rage vint battre contre mes tempes déjà douloureuses. Je tentai de lever ma main à mon visage mais elle resta collée au bras de bois. J’étais littéralement scotché à un fauteuil, incapable de bouger un doigt. Quand je remuai la tête, une violente douleur m’aveugla et je dû rester immobile quelques minutes avant qu’elle ne devienne supportable. Le goût écœurant du torchon sale dans ma bouche me donnait envie de vomir. Mais je ne parvins pas à le cracher. Je remuais dans l’espoir de me rapprocher de la fenêtre d’où j’aurais pu me faire voir des passants. Mais le fauteuil était trop lourd et, dans un lotissement, il n’y aurait plus personne dehors pour me voir à cette heure-ci. De la pièce adjacente me parvenait l’écho du journal télévisé :


"…et maintenant, un retour sur la Commémoration de l’accord d’union des deux dimensions. Le président Hollande et sa Majesté Sucrän se sont retrouvés au cours d’un déjeuner dans un des meilleurs restaurants français limitrophes. Pour mémoire, la dernière commémoration s’était déroulée de l’Autre Côté, en Fadès, pays contigu à la France.

Les deux dirigeants ont ensuite présidé un magnifique feu d’artifice pendant lequel la congrégation de l’Autre Dimension a présenté leur plus célèbre chanteur : Malik Tam…Tarmasouki…lschtanan."


La présentatrice dû s’y reprendre à trois fois avant de bien prononcer le nom et toussa des excuses avant d’enchainer :


"Les organisateurs de l’événement ont estimé le public à plus de 500.000 personnes. Des touristes de tous les pays des deux dimensions ont envahi l’Isère pour fêter l’occasion. L’accord d’Union, passé cinq ans après l’apparition de la Fissure inter-dimensionnelle, s’en trouve donc renforcé. On se souvient malgré tout des débats lorsque le Conseil Général de l’Isère avait rasé un site classé de plusieurs hectares pour y construire des hôtels capables de loger les touristes. Nombreux avaient été les Isérois à se mobiliser contre ce projet."


Les pegus. Des arriérés qui ne pouvaient même pas comprendre l’intérêt de développer leur région. Un cadre numérique était posé sur une commode, toute proche. L’écran faisait défiler des photos de voyage, de famille. Un sapin de Noël surchargé de décorations et une petite fille assoupie à son pied, des papiers cadeau en couverture. Une enfant de huit ou neuf ans, concentrée sur un Journal de Mickey, adorable avec ses sourcils froncés. La même petite fille, plus rondelette, les cheveux blanchis de farine et occupée à briser un œuf sur la tête de sa mère, hilare. Pour chaque image, c’était une explosion de colère de plus au creux de mon estomac. L’amertume se mariait si bien avec elle. Des larmes me piquèrent les yeux. Pourquoi…Comment avaient-elles pu continuer à vivre sans moi ?


La présentatrice continuait :


"Depuis la découverte et l’exploitation de la Fissure, le paysage grenoblois a d’ailleurs beaucoup changé. Un téléphérique a été installé pour relier directement la vallée et le site de la Fissure. Depuis, cette installation a reçu plusieurs prix pour son architecture et son fonctionnement disruptifs. Il est en effet le téléphérique le plus rapide d’Europe. La région s’est considérablement développée avec l’installation d’infrastructures et services nécessaires et la création de nombreuses entreprises ou filières destinées au commerce inter-dimensionnel. L’Insee estime que la région grenobloise bénéficie à présent d’une attractivité mondiale pratiquement égale à la capitale française. Si l’accord proposé par le Président de faciliter un peu plus l’obtention de visas pour la DO est accepté, il ne fait aucun doute qu’elle finira par dépasser Paris.

  • Kashi ! Viens, je vais te faire réviser tes leçons ! cria Max, depuis le rez-de-chaussée."

La télévision se tût et j’entendis l’adolescente grommeler :


"Mais on a pas de devoir le jour de la Commémoration…"


Ses pas pesants dans l’escalier. Je m’arrachais à la contemplation douloureuse du cadre et fixait la porte. Les pas de ma fille. Peu avant le jour de la signature de l’accord d’Union, j’étais arraché à ma vie. A Mali qui allait devenir ma femme. Mali qui ne m’avait pas dit qu’elle était enceinte. Ma fille. Ma magnifique fille qui avait hérité de mes cheveux anciennement aussi roux qu’un renard. Presque une femme, avec ce léger surpoids qui gonflait sa poitrine. Je tentais de nouveau de bouger mes membres mais rien ne vint. J’avais passé une partie de ces dernières années au fond d’un trou, je pouvais supporter quelques heures attaché à une chaise. Elles n’avaient certainement pas l’intention de me garder prisonnier ad vitam aeternam. Je serais un peu gênant dans leur quotidien bien huilé. Mali n’avait certainement pas réfléchi à ce qu’elle faisait. Je n’en revenais toujours pas qu’elle ait osé me frapper. La Mali que je connaissais n’aurait jamais osé ne serait-ce que penser à lever la main sur moi. Quand nous vivions ensemble, ma femme me choyait et m’adorait. Au fond de mon trou, j’avais passé des heures à m’évader auprès d’elle. Je m’asseyais à table et humais ses plats, goutais ses mets et testais ses nouvelles recettes. Puis, une fois mon ventre imaginaire rassasié, je profitais de son corps, de ses bras, ses lèvres et sa chaleur.


Ce fantasme m’avait sauvé de la folie. Je l’avais ressassé jusqu’à ce qu’il devienne aussi réel que la boue et la poussière. Mon plaisir et ma satiété aussi vrais que ma faim et ma solitude. Je pouvais le concrétiser à présent. Mais cette Pute faisait irruption dans ma vie comme un furoncle sur la peau d’un mannequin et elle avait dressé Mali contre moi à tel point que celle-ci m’avait frappé.

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