2082 Démasqués

5 minutes de lecture

Ivan suffoquait derrière son masque à gaz. Sa respiration était haletante. L'équipement dont son visage était recouvert ne lui permettait pas de crier. La douleur était atroce, mais pas autant que la terreur qui l'avait suivie alors qu'un souffle d'air froid avait effleuré la peau de sa joue. Une partie du masque avait fondu. Une partie seulement, mais c'était assez. Le sorcier fut pris d'une sourde panique qui ne se calma que lorsque Friedrich vint essayer de le rassurer en l'attrapant par les épaules.
- "Du calme! Du calme! Ce n'est rien de grave. Tu m'as sauvé deux fois Ivan. Ce n'est plus une dette d'honneur, c'est une dette de sang. Crois tu vraiment que je laisserai mourir quelqu'un en qui j'ai une dette de sang ?"
Sans même réfléchir, le Soyuz serra le prince dans ses bras, comme une bouée de sauvetage dans l'océan.
- "Friedrich… je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Pourtant je ne regrette pas."
Il le lâcha et fit quelques pas en arrière. Il eut un rire nerveux et déclara:
- "Tout cela n'a aucun sens. À quoi bon garder les masques d'ailleurs ? Autant s'en dépouiller tout de suite."
Il arracha le chiffon qui lui obstruait le visage et le jeta par terre. "On est tous condamnés de toute façon! Depuis le début!
- Ne dis pas ça! Et remets ton masque!
- Et comment fera-t-on pour rentrer chez nous ? Ils nous ont envoyé ici sans prévoir de plan d'extraction. Non, ils l'ont sciemment négligé, pardon ! Le Prescient avait tout prévu. Il prévoit toujours tout.
- Qu'est ce que tu dis ?" S'étonna Friedrich. "Et remets donc ton masque!
- Mais c'est pourtant évident! J'ai été un imbécile! Je suis devin et je ne l'ai même pas vu venir." Il s'assit par terre, dépité.
- Écoute-moi !" Dit le prince Friedrich d'un ton ferme. "Tu n'as pas à paniquer ainsi. Tu vas remettre ton masque. Tu n'auras qu'à recouvrir ta peau avec du tissu. On descendra dans la tour et on repartira avec les camions…
- Descendre dans la tour hein ? Dans l'état où est l'ascenseur ça me parait difficilement faisable. Mais même ainsi, ne vois tu pas qu'ils ne nous laisseront pas rentrer ?
- Qui ça ? Les forces du Commonwealth nous arrêteraient ? Nous ? Laisses moi rire !
- Je ne parle pas du Commonwealth, je parle de nos dirigeants. Tu ne peux pas le voir, tu n'es pas un voyant." Il leva une main vers le visage de son compagnon, mais arrêta son geste.
- "J'allais épouser sa fille. Bientôt. Très bientôt. C'était l'achèvement d'une vie entière de sacrifices, de zèle, et d'épreuves. J'ai tout fait pour grimper les échelons de notre société soi disant sans classes. Je suis monté aussi haut qu'il était possible dans les instances de l'état. J'étais proche du Prescient lui même. Mais j'ai été trop gourmand. Je le connais. Il savait que j'étais populaire. Il savait que j'étais presque aussi puissant devin que lui. Et j'allais épouser sa fille." Ivan eut un sourire triste. "J'avais… toutes les cartes en main pour le détrôner et devenir le nouveau Prescient. Mais il a joué avant moi. Il m'a envoyé en mission. Si je refusais j'étais exécuté. Et le voilà débarrassé de moi."
Friedrich ne dit rien. Il réfléchissait. Il comprenait progressivement.
Aux quatre coins de la plateforme, par les câbles et les ventilateurs, une épaisse fumée verdâtre était répandue dans les cieux de Mountgate. La brume toxique se répandait à la vitesse d'un cheval au galop, descendant sur la ville tel une cape de mort. Recouvrant tout.
La fumée vint bientôt se promener aussi sur le sommet de la tour. Des nuages se répandaient lentement, insidieusement.
Friedrich retira son masque.
- "C'est vrai." Dit il. "J'ai dû être grillé moi aussi. J'avais engagé un assassin pour tuer mon grand frère, le Dauphin, mais je n'en ai plus jamais entendu parler. À tous les coups cet andouille s'est fait attraper."
Il s'assit par terre. Ramenant ses genoux sous son menton. Ses boucles blondes flottaient dans le vent qui soufflait fort à cette altitude.
- "Je méritais plus que mon frère le titre de roi. Je suis clairement un sorcier plus puissant que lui. Je suis même plus puissant que le roi lui même. Selon la logique même qui pourtant régit toute notre société, je devrai prévaloir. Les lois de l'eugénisme devraient me favoriser. Alors pourquoi ? Pourquoi m'envoyer crever ici ?"
Il regarda son masque.
- "Il y a peut être encore un moyen de s'en aller d'ici. Je ne sais pas, voler une navette pour redescendre ou… réparer l'ascenseur ?
- On a aucune idée de comment fonctionnent ces deux engins." Fit Ivan d'un ton acide. "Et j'ai des raisons de penser que nos hommes en contrebas ne nous attendrons pas. D'ailleurs, je crois qu'on risque de ne pas attendre ici sagement que le gaz nous tue."
La silhouette de l'agent du Reich se dessinait devant eux. Il avait un pistolet à la main et du sang couvrait son masque.
- "Le deuxième!" Dit il en pointant son arme vers Ivan.
Celui ci tendit la main vers le soldat qui vit sa chair lui désobéir. Il s'effondra sur le sol en grognant. Luttant contre la force occulte du Soyuz.
- "Les ordres… sont… indiscutables…" Cracha-t-il en essayant de viser, conscient qu'il n'aurait droit qu'à un seul tir.
Ivan, avec un soupir, fit un geste et en un instant, les os du soldat se liquéfièrent et il vit à sa grande stupéfaction son bras se tordre pour orienter le canon vers sa tête, et lorsqu'il tira il se fit exploser le crâne.
Friedrich huma profondément l'air.
- "J'ai pas envie de mourir." Dit il enfin.
- "Moi non plus." Fit Ivan.
- "Pourquoi ne pas… tenter ? Qu'est ce qu'on a à perdre ?
- On ne peut lutter contre le destin. Et le Prescient connait l'avenir. Il a vu chaque étape de cette mission. Il a prévu que nous mourrions tous ici, et il en sera ainsi. Cela sert le plan. Toute la population de la ville va mourir, y compris nous. Seul le hiérarque en réchappera.
- Quel défaitisme !" Scanda Friedrich en se levant. Il enfila à nouveau son masque a gaz.
- Nous allons descendre d'un étage, forer les murs à coup de grenade, prendre en otage les membres du Présidium pour voler une navette et avec elle rentrer chez nous ! Et même si ça rate, on aura au moins essayé.
- Inutile." Fit Ivan. Ils sont sûrement déjà tous morts. Et nous aussi. Les masques, on ne peut pas les garder indéfiniment, où on mourra de faim. Or, regarde le nuage!"
La brume verte n'avait cessé de croître. En quelques instants, la ville entière, pourtant vaste métropole, avait été engloutie par la brume. Tout était infecté. Il ne restait rien à l'horizon que désespoir et mort.
Friedrich arracha une fois de plus son masque, le jeta à terre et le piétina avec rage.
- "Tant pis ! On a voulu ma mort. Qui suis-je pour désobéir au König ? Puisqu'il faut mourir, je mourrai parce que je le veux bien."
Cette réplique fit rire Ivan. Un dernier rire qui résonna dans un brouillard nauséabond qui monta plus haut, léger comme l'air, et les engloutit eux aussi. Un dernier rire avant que l'un ne vomisse du sang et que l'autre recrache ses poumons.
Et au plus haut de la brume funeste, deux hommes périrent enlacés. Le plan avait en tout points réussi.

Maintenant la guerre était déclarée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire "Hallbresses " ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0