2082 Diplomatie

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Ils arrivèrent à bord de camions militaires qui dénotaient sévèrement avec le paysage. Le Reich était tout le contraire de l'Union Soyuz. C'était un petit pays principalement champêtre, avec des campagnes verdoyantes où poussaient des denrées nombreuses, cultivées à la force des bras et des machines par quelques paysans à l'allure patibulaire qui regardaient passer le convoi avec méfiance. Tous les cent mètres environ, ils apercevaient d'une façon ou d'une autre la marque d'une présence militaire. Que ce soit une mirador d'où les snipers les tenaient en joue, ou tout simplement quelques hommes en uniformes sombres en train de discuter calmement à l'ombre d'un arbre. Sitôt qu'ils voyaient passer le convoi, ils empoignaient leurs armes et le lorgnaient avec une hostilité manifeste.
Le Reich était un pays vert, et brillant, mais son peuple était à l'extrême opposé. La pâleur étant signe de noblesse et de puissance, ces gens fuyaient tous la lumière comme la peste et leurs visages étaient blafards comme des morts. Ils étaient tous vêtus de noir ou de gris et leurs faciès trahissaient un mélange de peur et d'arrogance naturelle. Ils s'estimaient une race supérieure, et ce constat emplissait même les plus crotteux des paysans d'une fierté infinie. Voir passer un convoi de Soyuz était en soi quelque chose d'inquiétant, non seulement à cause des nombreuses guerres qui avaient opposées les deux nations, mais aussi et surtout parce qu'ils craignaient que cette race inférieure ne souille leur air pur de leur souffle putride.
Le convoi comportait trois camions militaires de couleur brunâtre qui roulaient précédés et suivis par deux chars blindés colossaux dont la masse métallique déjà effrayante était chevauchée par une foule de soldats, leurs mitraillettes posées devant eux. L'expédition n'était pas hostile, mais le moindre problème eut pu déclencher un massacre.
Finalement, la forme torturée d'un manoir sombre de dessina au bout de la route.
C'était une demeure bâtie dans un style néogothique si cher à la noblesse du Reich. L'architecture laissait voir des ogives et des flèches aux pointes menaçantes tandis que des gargouilles lorgnaient les visiteurs.
Le convoi s'arrêta dans la cour. Les chars entourèrent les camions d'où descendirent, escortés de guerriers en armure de carapace, les diplomates de l'Union.
En uniformes de l'armée populaire, marron sale avec des casquettes ornées du logo de l'union - une mitraillette et une clef à mollette or se croisant sur champs bleu - la dizaine de diplomates s'étirèrent après ce long voyage et époussetèrent leurs habits.
Le major Serotov s'alluma un gros cigare, tout en jetant un coup d'œil désabusé au manoir.
- "Toute cette décadence…" marmonna-t-il dans sa barbe.
- "Ne me faites pas croire que votre «résidence professionnelle» à Wrangelgrad vaut mieux." Lui fit remarquer Mikhaïl Pravda.
- "Je ne faisais que constater ce que j'ai devant les yeux, monsieur le ministre.
- Vous feriez mieux de garder vos pensées enfermées à double tour dans les tréfonds de votre esprit. La plupart des nobles du Reich ont des compétences psychique, et le roi est réputé pouvoir deviner les pensées des gens avec un peu de concentration.
- Soit. Discrétion tant qu'on traite avec les monarchistes. Mais n'attendez pas de moi que je me jette aux pieds de ce chien d'aryen.
- Nous ne vous en demanderons pas tant."
Un valet ouvrit la porte. C'était un jeune homme en livrée noire, dont l'allure autant que le visage lui donnaient l'air déprimé.
- "Si ces messieurs veulent bien me suivre." fit-il d'un ton morne. "Pas plus de dix soldats pour vous accompagner. C'est ce qui est convenu."
On les fit entrer dans une antichambre fleurant la vantardise gratuite. Chaque mur était couvert d'arabesques multicolores et le plafond était décoré de marbrures représentant des scènes macabres. Des bas reliefs montraient des chevaliers pourfendant des créatures tentaculaires et crucifiant des enfants. Le groupe de diplomates n'eut pas le temps de contempler plus longuement ces œuvres d'art. On leur fit monter un long escalier décoré de fils d'or et bordé d'innombrables tableaux. Plusieurs personnages revenaient un nombre considérable de fois, montrant systématiquement des visages froids et sévères. Il y avait là des chevaliers qui posaient en exo-armure, des aristocrates couronnés, tous avec un visage blafard, bien plus que tous les civils qu'ils avaient pu voir. La peau de ces nobles paraissait presque translucide.
- "Oh putain, les gueules d'endives." dit Serotov dans sa barbe. Le ministre Pravda le fusilla du regard, mais ne dit rien.
Avant la salle d'audience, on leur imposa de déposer toutes leurs armes. Seuls les dix soldats purent garder leurs armes de poing, de même que le ministre, en signe de confiance disaient-ils. Serotov laissa à regret son pistolet entre les mains du valet puis, comme pour se rassurer, tira une grosse bouffée sur son cigare.
- "Si monsieur veut bien éteindre cette chose avant d'entrer en présence du roi…"
Le major lança un regard incrédule au valet.
- "Cette «chose» ? Vous pouvez toujours courir pour que je l'éteigne.
- "Fumer en présence d'un noble est considéré ici comme un crime impardonnable." Expliqua Pravda. "Ici ils considèrent le tabac comme l'apanage des gueux et un signe de faiblesse. Vous pourrez toujours en griller une après."
Serotov soupira et éteignit son cigare qu'il tendit au valet.
- "Putain de pays de sauvages." cracha-t-il entre ses dents.
La grande porte s'ouvrit sur une salle ovale avec en son centre une table ronde dont la moitié était déjà occupée par des nobles du Reich et des conseillers du roi. Leurs yeux se tournèrent vers la délégation avec un dégoût qu'ils ne prenaient pas la peine de dissimuler. Le roi, lui, était debout devant un tableau à écran projecteur.
Sitôt qu'ils entrèrent, tous les membres de la délégation Soyuz levèrent le poing et saluèrent en s'exclamant:
- "Privet!"
À l'exception de Mikhaïl Pravda, le ministre des affaires étrangères qui, connaissant la coutume, salua en portant une main sous la gorge et en s'exclamant:
- "Heil!"
Le roi tourna vers eux son regard bleu glacial.
- "Nous vous attendions précisément. Asseyez vous !"
Cela ne prenait pas la forme d'une proposition, mais plutôt d'un ordre. Il était de tradition que personne ne soit plus haut que le roi, et donc que tous s'asseyent en sa présence. D'autant que les autres aristocrates étaient eux même irrités d'être assis alors que les étrangers étaient debouts.
Les diplomates de l'Union prirent place autour de la table, et la réunion commença.

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