Chapitre 1

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En quête de nourriture, j’ai été contrainte de sortir de ma tanière. La solitude me pèse, seulement l’insécurité régnant dans cet espace est telle que mon logis de fortune, éloigné de tout, s’avère être bien plus rassurant que les villages environnants.

Je suis partie aux aurores dans l’espoir d’éviter les mauvaises rencontres. Dans cette société, seule l’anarchie subsiste. Au cœur de la zone de non-droit, il n’y a personne pour rendre justice, aucune police pour nous protéger, aucune loi pour nous diriger. Non. Juste une jungle dépourvue de douceur et de compassion rythme un quotidien sombre et risqué.

Nous avons été transférés ici pour que l’on s’entretue, dans le but de débarrasser le Nouveau Monde de la vermine, comme ils l’appellent.

À mon arrivée dans cet enfer, la peur a tout d’abord été ma plus fidèle compagne. Moi qui n’avais jamais vécu seule, j’ai dû aller outre mes plus profondes angoisses, apprendre à me suffire, me surpasser et enfin me relever. J’en ai passé des nuits à pleurer ma vie, ma famille, mon mari, mes enfants. Pourtant, je ne regrette rien. C’est pour eux, pour leur liberté que je paie. Et cela n’a pas de prix !

Je n’ai aucune idée d’où nous nous situons exactement sur la planète. Tout ce dont je me souviens, c’est que le voyage a duré une bonne semaine à pied. Depuis, je me croirais dans une mauvaise reconstitution d’un film moyenâgeux auquel on aurait oublié de retirer les infrastructures modernes du décor.

Depuis le grand redécoupage, les populations ont été brassées à la convenance du premier chef, selon des critères qui nous échappent. Nous devons probablement nous trouver dans une contrée défavorisée de l’Ancien Monde, dévasté par les divers conflits qu’ont connus les habitants ces derniers siècles.

L’Ancien Monde…

Les multiples pays, les multiples cultures, les voyages, les rencontres, ma vie d’avant ! À cette époque, je résidais avec les miens, libre de mes mouvements, de mes choix.

Pourtant, le milieu du troisième millénaire avait bien débuté. Il faisait si bon vivre dans la plénitude. L’amour était partout. Tout le monde était heureux, loin des tracas qu’il avait connus depuis la fin du vingtième siècle. Le temps des grandes épidémies passées, les hommes avaient réussi à se relever.

Enfin, de cette période, je ne sais que ce que j’ai pu apprendre dans les livres et à l’école. C’est si loin…

Seulement, après le grand bouleversement, tout a changé. D’un côté, il y a le Nouveau Monde, censé être idyllique avec en réalité beaucoup plus de devoirs que de libertés. Et de l’autre, la zone de non-droit, là où sont jetés tous ceux qualifiés de « nuisibles » au système. Voilà comment les opposants, les agitateurs et surtout les prisonniers, sont venus remplirent ces contrées arides.

Tout est bien rodé, lisse. Pourtant, derrière cette perfection se cachent de grandes souffrances. Des voix ont commencé à s’élever contre l’oppression exercée sur le peuple. Le tout contrôle ne convenait pas à tout le monde même s’il rassurait certains. Des bruits comme quoi une société meilleure existait se sont répandus. Le mythe était né. Uthopica faisait espérer.

Mais pris dans le système, il était difficile de tout quitter au risque de tout perdre. La propagande clamait une mort certaine. Les rêveurs, une occasion de retrouver leur liberté.

Enfin… C’est le passé tout ça… Ces souvenirs me blessent, alors je fais de mon mieux pour les étouffer. Désormais, je dois survivre dans ce système et oublier l’ancien. Pas de deuxième chance. Je suis coincée ici à perpétuité.

À la création de cette maudite zone, il n’y avait pas de monnaie. Après que les criminels aient été envoyés là, ça a été le tour des « subversifs ». De grosses économies pour le Nouveau Monde ! Une forme d’échange, de troc, s’est mise en place, bien évidemment injuste et dangereuse. Lorsque je suis arrivée, il y plusieurs années déjà - cinq, si je ne me trompe pas - ce monde était façonné depuis une petite décennie. Je me doutais de l’enfer de ces lieux, pourtant, j’étais tellement loin du compte ! Être femme signifiait se cacher pour se protéger. Nous n’étions pas très nombreuses. Ici, les hommes ont perdu de leur humanité pour ressembler peu à peu à des animaux dépourvus de conscience, de sentiments. L’amitié n’existe plus. Seule la convoitise demeure.

À me contenter de peu, j’ai su me concentrer sur l’essentiel. Au maximum, je me nourris de ce qui m’entoure. J’ai choisi de vivre près d’une forêt isolée. J’y ai appris à chasser. Je ne m’en serais jamais cru capable dans mon ancienne vie. Seulement, la faim aidant…

Pourtant, une fois par mois, comme ce matin, je suis contrainte de me rendre dans plusieurs villages dans l’espoir d’écouler mon gibier fraichement tué contre des légumes. Sortir, correspond à se mettre en danger. Je l’évite au maximum, sauf par obligation.

Sous tout un tas de vêtements informes, je cache ma féminité comme je le peux. Trop périlleux sinon. Suicidaire, même. Je dois faire attention, ma carrure petite et frêle risque de me trahir. Tout est dans la stature, le charisme. C’est difficile. Par chance, je n’ai encore jamais été suivie. Je pense que les chemins escarpés pour regagner mon refuge y sont pour beaucoup.

Je suis sur le retour. Le soleil décline à vue d’œil en cette fin d’après-midi d’hiver. Je suis gelée. La tête rentrée dans mon col, je fais de mon mieux pour ignorer le froid mordant qui me fait greloter. Par choix, je suis loin de tout, mais je le paie lorsque je suis contrainte de rejoindre la civilisation.

J’ai passé ma journée à visiter deux malheureux villages. Je ne suis pas mécontente. Les affaires ont été bonnes. Tout mon gibier est parti et j’ai de quoi manger pour plusieurs semaines. Mon fardeau sur le dos, je peine à avancer. Pourtant, j’ai l’habitude maintenant de porter de lourdes charges. Je ne suis plus celle que j’ai été. Ma fragilité m’a quittée.

Plus qu’une heure de route et je serais enfin de retour dans mon piètre logis. Je presse le pas, espérant arriver avec le crépuscule. Ce monde est un véritable coupe-gorge à la tombée de la nuit. Je souhaite à tout prix éviter de croiser des voleurs sans scrupule ou pire ! La mort est à chaque détour, les cadavres jonchant les rues ne cessent de nous le rappeler.

Les sens aux aguets, mon instinct de survie fait le reste. La brise me cingle le visage. Perdue dans mes pensées, j’imagine le feu qui réchauffera ma chaumière tout à l’heure. Moi qui ai connu le confort ! Quelle descente aux enfers !

— Ne bouge pas ou je te tranche la gorge ! gronde une voix rauque derrière moi.

Oh putain ! Non ! Les jambes soudain coupées, je suis incapable de m’enfuir. Un homme apparaît devant moi, menaçant. Je sursaute lorsqu’un autre, dans mon dos, passe un bras autour de mon cou, une lame affutée plaquée contre ma carotide.

Je ne dis rien, ne crie pas. De toute façon, à quoi bon ? Personne ne me viendra en aide puisque c’est chacun pour soi ! Vaincue, je lâche mon sac de lin et les légumes se répandent sur le bitume envahi de verdure. Au mieux, je perds ce que j’ai mis la journée à gagner. Au pire, je serai tuée. Entre, tout un panel d’horreurs peut m’arriver.

— Ne bouge pas, gamin, et ne joue pas au héros surtout !

Le gars qui me fait face, rustre, brandit un couteau devant mon nez. Qu’ils prennent tout et se barrent !

Derrière moi, le type approche son visage du mien. Une odeur putride s’insinue dans mes narines. Il me dégoûte ! Tel un animal en rut, il me sent, me renifle.

— Tiens, tiens, tiens… persifle-t-il en arrachant ma capuche qui retombe dans mon dos, dévoilant ma longue chevelure et mes traits féminins.

Oh non ! Plutôt mourir que de tomber entre leurs sales pattes ! Mon cœur s’emballe, mon corps me trahit, tremble… Jusqu’ici, j’avais échappé à tout ça… C’est trop con !

— Une femme ! s’exclame l’ancien, une expression perverse vissée sur son visage bouffi.

Une pensée pour mon homme, pour tous les instants de tendresse que nous avons partagés… Ce que je vais subir n’aura rien à voir avec tout ça. Si je pouvais me donner la mort, je le ferais. Je suis fichue.

Après leur bassesse, s’ils me laissent en vie, que restera-t-il de moi ?

Les larmes me montent aux yeux, obstruent ma vue. Un doigt crasseux passe sur ma joue. Mon estomac se révulse. Je vais vomir…

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