27/ PARDON : MATT

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J’ouvre la porte des appartements des sorcières sans prendre la peine de frapper, emporté par ma détresse. La stupeur se lit sur leurs visages. Je reste sur mes gardes, à attendre qu’elles m’invitent à entrer. Je n’ai pas oublié qu’elles possèdent les moyens de se défendre. Qu’attendent-elles pour m’autoriser à avancer ? Je ne montre à leurs égards aucune agressivité. Samantha semble effrayée mais un seul signe de sa mère l’encouragera à me repousser brutalement. Sandrine me jauge, les yeux quasi fermés. Je vais bientôt perdre patience… J’ai seulement besoin de… Je ne sais même pas de quoi j’ai besoin.

- Il faut que cela cesse. J’ai failli la tuer cette fois…

- Tout sera bientôt terminé. À moins que tu n’aies changé d’avis, vue ta mine déconfite.

- Non, je t’ai dit que je voulais en finir.

J’entame le récit de mon dernier tête à tête avec Lana. Je sens que je m’emporte ; je traverse la pièce de long en large, je fais de grands gestes avec mes bras, je parle fort… Je passe les détails sur notre étreinte passionnée car cela n’appartient qu’à nous. Je refuse de partager ça avec qui que ce soit.

Je suis surpris que Sandrine me prête une oreille aussi attentive. C’est la première fois que je confie mes sentiments et mes émotions, et je me rends compte que cela soulage quelque peu ma peine. Elle semble me comprendre, mais a l’air stupéfaite par la force de cette passion.

- Débarrasse-moi de cette souffrance qui m’habite, qui torture mon âme et me consume à l’intérieur.

- J’ignore si la magie sera suffisamment efficace car vos sentiments sont extrêmement profonds. Le rituel pour augmenter mes capacités ne sera pas superflu.

Elle m’explique l’ordre des sortilèges qu’elle va pratiquer, sans omettre ni les effets, ni les conséquences.

- Puis-je rester ici ? Je vais tourner en rond si je reste seul et je risque de péter un câble… Tu comprends, n’est-ce pas ?

- Assieds-toi sur la chaise. Mais je ne veux pas t’entendre lors des rituels. Pas un mot, pas une seule remarque, car la magie à laquelle nous allons avoir affaire est dangereuse. Bien plus que toi, ton frère et ta sœur réunis. Et je dois rester concentrée. D’accord ? Bien, allons-y.

Après avoir tranquillement placé tous les objets nécessaires sur le guéridon, elle m’avertit d’un dernier coup d’œil que je ferai bien de rester sagement à ma place. Je suis curieux, et l’observer divertira mes pensées.

Elle vérifie que les pointes de son pentacle sont dirigées dans la bonne direction et dépose des bougies noires devant elle.

Elle attrape un bol et se met à parler :

- J’appelle l’Elément de la Terre afin que par son pouvoir, ma personne soit protégée.

Se plaçant devant la petite table, elle parsème quelques grains de sel sur ses outils puis trace son cercle de protection.

Je la vois saisir une bougie rouge avec laquelle elle appelle la force du Feu, ou son Elément. J’ai bien envie d’ouvrir une fenêtre car l’air devient lourd, mais je risque de perturber la sorcière. Elle laisse tomber quelques gouttes de cire sur le pentacle. La magie me paraît compliqué ; trop de choses à réunir, trop de formules à répéter, mais je suis admiratif devant la foi que lui accorde Sandrine. Ses gestes sont assurés, et son ton certain. Je suis impressionné.

Au moment où elle appelle l’air, je vois un rideau bouger très légèrement. Elle boit un liquide dans une coupelle. Elle doit avoir soif à force de réciter ces incantations. Et forcément, elle appelle l’Eau.

Elle attache maintenant des feuilles à l’aide d’une ficelle rouge et provoque une réaction incontrôlable en moi lorsqu’elle se pique les doigts, laissant couler son sang. Sur une dague en plus ! Je remue sur ma chaise, m’exhortant au calme, malgré mes gencives qui me font mal. J’accroche mes doigts aux bords de mon siège et tente de serrer les dents… La main de Samantha se pose doucement sur mon bras, apaisante. Mais mes sens sont aiguisés et la vue, ainsi que l’odeur du sang m’appellent. Je voudrais regarder ailleurs, mais mes yeux ne m’obéissent plus. Sandrine parle de volonté, de sacrifice et de ténèbres ! Elle vient de demander de meilleures capacités. Elle plonge sa dague dans la coupelle qu’elle lève au ciel et réitère sa réclamation. Je n’entends plus que les mots sang et ténèbres. Je suis soulagé quand, enfin, elle vide le contenu de la coupelle dans sa bouche. J’aurai préféré la consommer moi-même, mais au moins, je vais pouvoir reprendre le contrôle de mon esprit.

Elle s’assied au sol et attend. Tout à coup, je la vois tressaillir ; son corps se balance légèrement d’avant en arrière et de gauche à droite. Elle est en transe ou quoi ?

Enfin, elle se relève pour libérer et remercier chaque Elément invoqué en touchant son pentacle.

Elle détache une ficelle noire de la dague et la noue à son poignet. Pareille pour la ficelle rouge qui liait les feuilles.

Je suis incrédule. Elle a remercié tout le monde, ce n’est pas encore fini ? Ses yeux se posent sur moi, quelques secondes, puis se plantent sur Samantha.

- Ma chérie, quand tout sera terminé, n’oublie pas de brûler la ficelle noire et les feuilles de rose pour chasser une éventuelle entité ténébreuse malveillante.

Ses mots réveillent ma douleur. Elle s’est amplifiée, d’ailleurs. Les battements de mon cœur se répercutent dans ma tête, frappant en rythme mes yeux, mes mâchoires, mes oreilles et mon crâne. Encore une nouveauté ; je n’ai jamais souffert de la sorte ; jusqu’à maintenant, les migraines m’étaient totalement inconnues.

Je suis forcé de regagner ma chambre car les deux sorcières descendent rejoindre les autres pour partager un maigre repas. Je ne peux pas les accompagner, à cause de la promesse que j’ai faite à ma sœur. Comment pourrai-je tuer Lana ? Bon, d’accord, j’ai failli l’étrangler toute à l’heure, mais mon accès de rage passé, je n’ai plus aucune intention d’honorer ma parole. De toute façon, je n’ai pas faim. J’ai soif. J’ai envie, besoin d’une boisson rouge, épaisse, aux parfums si particuliers.

Je marche jusqu’au beau milieu de mon salon, trainant ma pesante solitude. Elle m’écrase. J’écoute le silence qui m’entoure. Les seuls sons que je perçois proviennent des nouveaux malaformes qui sont venus s’agglutiner autour de la clôture. Je les observe de ma terrasse en me disant que ces monstruosités-là ne souffrent pas, elles. Mais leur vue finit par m’insupporter, alors je me réfugie à l’intérieur. Où je ne sais pas quoi faire. Je n’ai jamais connu l’ennui auparavant. En fait, je n’ai rien connu, moi qui croyais tout savoir, moi qui me faisais passer pour un humain. Eux possèdent l’émotion et les sentiments dès leur naissance. Nous, les dhampires, sommes obligés d’apprendre. Seulement voilà, personne ne nous a préparés, ma sœur, mon frère et moi à ressentir autre chose que la convoitise. Personne ne nous a expliqué que nos joies, nos peines, nos envies… seraient amplifiées. C’est notre destin d’être seul. Nous avons été complètement stupides de croire que nous pourrions y parvenir.

Je me sers un verre de scotch ; je suis conscient que cela ne remplacera pas une bonne gorgée de sang, mais me saouler devrait apaiser mon âme. Et me souler, ça, je sais faire ! Je savoure la brulure de l’alcool dans mes veines quand je perçois une musique. Je reconnais les cordes d’une guitare. C’est Jonathan qui a dû reprendre son instrument. Leurs voix parviennent jusqu’à moi. Ils se sont mis à chanter ! A quoi ça leur sert de faire ça ? Ca les avance à quoi ?! Je prends un second verre ; j’ai besoin de me détendre, et leur petite fête ne m’y aide pas. Ils prennent du bon temps pendant que je me morfonds ici, tout seul. S’ils savaient, ils se soucieraient un peu plus de moi. Pourquoi suis-je obligé de subir ça ?! Je dois m’enfermer, me cacher ; pourtant je suis chez moi !!!

D’un bond, j’atteins le porte que j’ouvre à la volée et la franchis sans prendre la peine de la refermer. Je saute les escaliers et atterrit en deux temps, trois mouvements près du salon. Je fais irruption dans la pièce, provoquant l’arrêt immédiat et de la musique, et des chants. Ils me regardent tous, hébétés.

- Continuez, c’est justement le chant des sirènes qui m’amène.

Je reste accoudé à l’entrée. Je ne sais pas quelle attitude adopter. Sentir Lana si proche ravive ma douleur, mais la vue de son mari à ses côtés nourrit ma haine. Mon frère entame un nouveau morceau, mais ils se taisent tous. Ils ne bougent plus. On dirait des statues. C’est à peine s’ils respirent ! Ma présence leur fait peur, à tel point qu’ils n’osent pas me regarder. Finalement, je suis aussi seul parmi eux que dans ma chambre. Je suis le vilain petit canard, la brebis galeuse… Moi, je sais qui je suis : l’éternel incompris. Je les détaille, un par un, en imaginant leur pensées.

Jonathan essaie de détendre l’atmosphère en jouant un air entrainant. Il me lance un regard insistant, suppliant pour que je garde mon calme.

Bob, qui tient la main de sa femme, observe Clément.

Lui aussi fixe son ami, comme s’ils parvenaient à communiquer de cette manière. Leur complicité m’agace profondément car elle aggrave encore mon sentiment de solitude. Je n’ai jamais partagé une telle complicité, même pas avec les membres de ma propre famille ! Je suis certain qu’ils pensent pouvoir me maitriser si je pique une crise. Ils rêvent !

La fille de Clyselle joue avec le petit de Lana près de la bibliothèque. Les trois plus grands ne sont pas là. C’est bizarre.

Ma sœur est assise près de Jo. Elle a son sourire mauvais, me rappelant ma promesse. Elle est la seule à me dévisager. Tenterait-elle de me comprendre ? Non, impossible, j’ai réussi à penser à quelqu’un d’autre qu’à ma petite personne, mais ça n’est pas près de lui arriver. Elle se contrefiche de tout, hormis de son poids, de sa coiffure ou de sa tenue. A mon avis, elle cherche plutôt à découvrir mes intentions.

La sorcière tient sa fille par l’épaule. Dans le regard qu’elle adresse à Lana, il me semble distinguer de la jalousie. Ou de l’inquiétude. A moins que ça ne soit du regret. Difficile de saisir ses réflexions qu’elle masque sans doute grâce à sa magie.

Clyselle est nerveuse ; elle gigote sur le canapé en jetant de brefs coups d’œil à sa copine, assise en face d’elle.

Lana ! Je ne veux pas la regarder ! Je ne dois pas. Je me mens à moi-même, car en réalité, je crève d’envie de voir son regard quand il se pose sur moi, de remarquer sa poitrine qui se soulève au rythme de sa respiration, de contempler ses lèvres en rêvant qu’elles me caressent et de deviner son cou au travers de ses cheveux. Je lutte contre cette envie dévorante, mais c’est comme si mes yeux étaient attirés par un aimant. Je n’arrive pas à résister à cette force. Je cède à la tentation.

Elle se tient penchée, les coudes sur les genoux, la tête baissée. Elle a dû sentir que toute mon attention était concentrée sur elle, car elle relève lentement les yeux vers moi, en soupirant. Elle prend son temps, remontant de mes pieds nus à mes lèvres, où elle marque une pause. Elle a peur de croiser mon regard. Regarde-moi, Lana ! Je la supplie en silence, je me moque des conséquences, de ce que les autres pourront lire ou interpréter. J’ai besoin de savoir qu’elle m’a pardonné et que j’ai toujours une place dans son cœur. Non, Lana, ne fais pas ça ! Elle a rebaissé la tête et repris son ancienne position. Je l’observe encore un instant, espérant qu’elle réagisse, qu’elle me fasse un signe, même petit. Je murmure son prénom. Ma propre voix me surprend ; elle est rauque, à la limite du sanglot. Lana reste prostrée. Je perçois son souffle ; elle respire plus vite et ses jambes tremblent. Tout espoir s’envole, car je sais à quel point elle peut se montrer têtue, et j’imagine sans aucune difficulté qu’elle pense en ce moment à son mari et à ses enfants. Ça fait mal. C’est insupportable. Mon cœur est transpercé, mon corps piqué par des milliers d’aiguilles, et mon cerveau en ébullition est sur le point d’exploser. J’ai même l’impression que mes yeux sont trop gonflés et une boule dans ma gorge m’empêche de respirer. Ils me regardent tous, enfin. Quel spectacle je leur offre ! Celui à qui tout a toujours réussi, cet être trop imbu de sa personne, sans foi, sans cœur, est sur le point de s’effondrer. Lana a l’air peinée. Ce n’est pas ça que j’attends d’elle. Qu’elle garde sa pitié. J’envoie volontairement un gros crachat sur le tapis, et plante mes yeux dans les siens. Puis, je m’enfuie avant de succomber à ma douleur.

Je suis allongé sur mon lit, en pleine méditation. Je fais le point sur ma vie. Qu’est-ce que j’ai fait durant toutes ces années qui en vaille vraiment la peine ? Je ne trouve aucune réponse valable.

Je suis interrompue par Sandrine qui vient s’assurer de notre collaboration.

- Nous devrions leur dire ce que nous allons faire.

- Non. Nous en avons déjà parlé, tu sais qu’ils nous en empêcheront.

- Matt, nous ne pouvons pas mettre ton frère et ta sœur devant le fait accompli.

- On s’en tape de ce qu’ils en penseront. Ils seront bien contents de pouvoir trouver à nouveau du sang frais.

- Et Lana ? Tu crois qu’elle réagira comment ?

- Je pense qu’il va y avoir une partie très amusante…

- Tu es cinglé, Matt.

- Ouais. On reprend quand ?

- D’après mes calculs, et si tout se déroule comme prévu, mon travail sera terminé dans deux jours, trois, tout au plus. Je vais à la cuisine préparer ta boisson ; tu pourras la boire demain, lors du rituel.

Nous n’avons pas d’autre choix que de repasser par le salon pour entrer dans la cuisine car pour utiliser l’autre porte, nous aurions dû mettre les pieds dans le jardin. J’imagine que Sandrine n’en a pas plus envie que moi.

Carole, suspicieuse, nous demande ce que nous faisons, mais nous la laissons dans l’ignorance. Du coup, ils nous suivent tous. Je me renfrogne et me concentre sur la tâche de la sorcière. Après tout, elle cuisine pour moi. Pour elle et moi, plus précisément.

Sur la cuisinière, elle pose une casserole en cuivre, dans laquelle elle verse du vin, (un vin de table imbuvable si j’en crois la brique cartonnée), puis elle y jette du sucre et du miel. Elle attend ensuite que sa préparation boue pour la mélanger frénétiquement à l’aide d’un fouet.

- Il faut que cela refroidisse avant de pouvoir continuer.

- A quoi ça va servir ton truc ? insiste ma sœur.

- C’est un filtre. Nous en aurons besoin lors du prochain rituel.

- Qui consiste en …?

Sandrine lui donne pour toute réponse l’un de ses regards assurés et sans réplique dont elle a le secret.

Clyselle examine les ingrédients que la sorcière a laissés sur la table.

- Du jus de raisin, du miel et du sucre. Et ça, c’est quoi ?

Elle tourne une fiole dans sa main, cherchant à en percer le mystère.

- C’est de l’hydromel. Je le fabriquais moi-même.

- Tu as rapporté ça de chez toi, juste avec l’idée de préparer un cocktail ?!

- Il ne s’agit pas d’un cocktail.

- Les ingrédients sont pourtant consommables…

- Détrompez-vous. Cette préparation est utilisée lors de rituels de magie. Je crois qu’il est temps d’incorporer ma mixture. Normalement, il faut patienter une journée avant de la boire, mais nous devons agir sans tarder, et mes capacités sont améliorées ; cela devrait fonctionner.

- Votre rituel doit aboutir à quoi ?

C’est à mon tour de répondre ; m’imaginer leurs têtes à tous, quand ils comprendront… Je suis impatient de découvrir les futures réactions de Lana…

- Vous verrez bien…

Le moment est venu. Je suis anxieux à l’idée de participer à un sortilège. Mais je ne ferai pas marche arrière. J’avais prévu d’écrire une lettre pour Lana, lui expliquant mes derniers actes. Samantha la lui aurait remise. Mais puisque je fais tout ça pour la préserver, mieux vaut qu’elle continue à me considérer comme l’homme mauvais que je suis.

La fille de la sorcière a rassemblé divers objets sur le guéridon, dont une photo de sa mère, et une de moi. Sandrine s’approche tout près. Oh ! Je ne veux pas l’embrasser, pas maintenant. Je ne savais pas que cela se passerait comme ça. Elle passe sa main derrière mon cou. Je suis cloué sur place.

- Aïe !!!

Elle me tire les cheveux ! Qu’est-ce qu’il lui prend ! Elle pose ensuite ma main au-dessus de son oreille et me demande de lui arracher un cheveu. Elle m’explique que nous allons en avoir besoin.

- Vas te changer, maintenant. Nous devons être entièrement vêtus de blanc.

- On va se marier ? (Je ricane, mal à l’aise).

- Non, Matt. Du blanc ! Dépêches-toi, nous devons le faire avant minuit !

- Je ne possède aucun vêtement blanc ; j’ai horreur du blanc !

- Tu dois bien avoir au moins une chemise qui traine quelque part ! Demande ce qu’il te manque à ton frère, ou à Clem ou Bob.

Matt, tu dois y mettre du tien si tu veux que ça fonctionne, si tu veux arrêter de souffrir.

Elle n’a pas tort. Je me rends discrètement à la cave pour fouiller les vieilles mâles. A une certaine époque, les hommes aimaient porter du blanc. L’un de mes ancêtres avait surement un pantalon qui fera l’affaire. Je dégote en effet une espèce de chemise à froufrou et un pantalon en toile blanc. Pas de chaussures par contre. Pas grave, la couleur de mes pieds conviendra parfaitement.

Quand je retrouve Sandrine et sa fille, elle porte une sorte de robe toute simple ; on dirait un drap auquel elle aurait fait des trous pour passer sa tête et ses bras. Peu importe. Je me sens ridicule dans ce déguisement, et la situation est des plus grotesques. Qu’on en finisse…

Nous nous purifions ensuite les mains en les trempant dans un mélange d’eau et d’huile essentielle.

Sandrine trace son cercle magique autour de nous et dispose des bougies roses et une blanche. Tiens, pourquoi une seule blanche ?

Elle dépose nos cheveux avec des pétales et des cailloux transparents dans un bol, puis elle allume toutes les bougies, ainsi que de l’encens. Elle me fait signe d’approcher, pour regarder sa photo.

- Concentre-toi dessus. Je fais pareil avec la tienne.

Je ne l’ai même pas vue faire couler la cire sur les images. Elle met le bol dans ma main droite et le filtre dans l’autre, puis elle recouvre mes doigts par les siens.

Répète après moi, m’ordonne-t-elle :

- Je t’invoque, Vénus, déesse de l’amour,

Fasses que Matt vienne à moi,

Amoureux comme de Lana,

Sincèrement et fidèlement dans ses actes et ses pensées,

Et que personne ne puisse nous désunir,

Très prochainement et pour toujours.

Six fois, elle nous fait réciter cette incantation. Se souvient-elle que je ne suis pas un sorcier ?

Elle a pris soin de verser le filtre dans des verres en cristal. Elle m’en présente un, prend l’autre et m’invite, les yeux dans les yeux à boire tout le contenu.

- Nous avons terminé le sortilège d’amour. Si tu as quelque chose à dire à Lana, je te conseille de le faire maintenant, car la machine est en route.

C’est seulement à cet instant précis que je mesure toutes les conséquences de mon partenariat avec Sandrine. Qu’est-ce qui m’a pris de m’allier avec elle ? Pourquoi ai-je accepté une solution aussi radicale ?! Au fond de moi, je le sais parfaitement. Cela se résume en un seul mot : Lana. Si j’en arrive là, c’est pour qu’elle puisse retrouver sa vie, pour qu’elle soit heureuse.

Je pars remettre mon jean et un tee-shirt, afin de retourner au salon. J’ignore comment je vais m’y prendre, mais je dois leur faire comprendre que je ne suis pas le monstre que je leur ai toujours laissé voir.

La chance m’a encore une fois abandonné. La maison est silencieuse, plongée dans le noir. Ils sont tous partis se coucher. Même les malaformes dehors ont cessé de s’agiter. Merde !!! Demain, il sera sans doute trop tard. La douleur me surprend par la vitesse avec laquelle est reprend le contrôle de mon corps. Elle est tellement puissante que je tombe à genoux en me tenant l’abdomen. Elle s’est déployée pour ronger mes organes tous en même temps. Sauf mon cœur qui est remonté jusqu’à ma gorge. A force de souffler, j’arrive à expulser le long hurlement qui restait coincé. J’entends la voix de Jonathan qui m’appelle. J’ouvre les yeux et le regarde. J’articule avec difficulté :

- La sorcière, elle m’a empoisonné.

- Non, Matt. A quoi cela nous aurait-il servi ? Tu te mets tout seul dans cet état. Reprends-toi, si tu veux que ça marche.

Je ne l’avais pas vue.

La douleur s’atténue, je m’affale sur le sol.

- Sandrine, tu m’as dit de parler maintenant. J’ai juste besoin de leur pardon, à tous.

Elle se penche sur moi, et me montre son cou, juste sous son oreille. Cela me tente, mais pas plus que ça. Devant mon hésitation, elle se pique le doigt avec sa dague et essuie le sang sur sa gorge.

- Nourris-toi, tu vas en avoir besoin.

Cette fois, l’odeur emplit tous mes sens et je me jette, sur elle, inversant nos positions. Grisé par l’odeur, je pense à la vider, pour mettre fin à notre accord.

- Matt ! Non !

Lana. Depuis quand est-elle là ? Mon envie s’arrête net. Après l’avoir dévisagée quelques secondes, je me dirige rapidement vers elle. Elle attrape un torchon oublié sur la table et m’essuie le visage, autour de la bouche. Son geste sur ma peau est tellement sensuel que je me détourne pour ne pas la serrer contre moi et l’embrasser. Je lui prends le tissu des mains et me nettoie tout seul. C’est plus prudent. Car cette femme dans les parages me rend incontrôlable. Je finis par tenir ses deux mains dans les miennes, inspire un grand coup et me lance :

- Lana, le fléau sera bientôt anéantit. Je vais partir pour te permettre d’oublier et de reconstruire ta vie. Je te demande seulement de m’accorder ton pardon pour toutes mes erreurs qui t’ont fait souffrir. S’il te plaît…

Elle pleure ! Je n’avais pas prévu de lui faire encore du mal. Je devais la libérer. Je l’entoure de mes bras. Ses larmes mouillent mon tee-shirt. Elle sanglote. Je desserre notre étreinte et relève doucement son visage pour qu’elle me regarde.

- Petit ange, c’est la dernière fois que je suis la cause de ton chagrin. Aies confiance en l’avenir, comme tu l’as toujours fait ; promets-moi de ne pas tout gâcher…

Je l’embrasse, tendrement, pendant que mes larmes se mêlent aux siennes et qu’elles viennent se déposer sur nos lèvres. Putain, que c’est bon ! Autant que son sang. A ce souvenir, je m’écarte doucement car si je me laisse tenter, cette fois, elle n’en reviendra pas. Et je sais que personne ne pourra m’arrêter. De cette manière propre à mon espèce, je m’enfuie.

Quand Sandrine vient me retrouver dans ma chambre, je suis paisiblement allongé sur mon lit. J’ai réussi à accepter mon destin. Je la détaille des pieds à la tête, surpris.

Elle est pieds-nus et porte une nuisette blanche qui contraste agréablement avec sa peau couleur chocolat. Pourquoi cache-t-elle son corps parfait avec des vêtements trop amples ?! Elle a détaché ses cheveux d’ébène, qui brillent dans l’obscurité.

- J’ai réalisé le sort de localisation. J’ai vu où se cache le premier des malaformes. Nous devons nous accoupler pour qu’à ton tour tu saches où te rendre. Tu t’en souviens ? Fais-moi confiance, nous allons y arriver.

Elle commence par me masser tout le corps avec l’une de ses huiles essentielles. C’est relaxant, j’aime bien. Mes muscles se détendent un par un. Puis elle prend mon sexe dans sa bouche, provoquant une vague de désir. Je pense reprendre le contrôle mais elle m’a fait comprendre que je devais la laisser faire. C’est facile avec elle. Alors qu’avec Lana, il fallait que ça soit moi qui lui fasse l’amour. Dégage, Lana !!! Tu n’as plus rien à faire dans ma tête ! Et surtout là, maintenant ! Je me reconcentre sur les sensations que me procure la sorcière. Elle abandonne mon sexe quand mon désir est suffisamment remonté. Elle m’embrasse, me caresse du bout des doigts, en titillant mon gland. Enfin, elle s’allonge près de moi, m’attirant au-dessus d’elle. Je la prends, sauvagement, brutalement, plus encore qu’à mon habitude, jusqu’au moment où elle me permet de plonger mes dents dans son cou. Je me vide en elle en la buvant, mais mon plaisir est coupé par la vue d’un malaforme errant autour d’un château français. Avant de se retrouver en guenilles, il portait un short et un maillot de club de foot, car je distingue encore le sigle de l’Olympique de Marseille.

C’est la première fois qu’une femme ne prend pas son pied avec moi.

- Je suis désolé, Sandrine, On réessaie, si tu veux.

- Désolé ?! Mais de quoi ? Ah, je vois. Je suis quelqu’un de discret, Matt. Rassure-toi, c’était… extraordinaire. En plus, j’ai réussi à te transmettre ma vision. Mais tu dois m’emmener dans une pharmacie car je dois absolument vérifier que cela a fonctionné grâce à un test de grossesse. Je sais que tu as pensé à elle. Je ne suis pas sure que le filtre fonctionne, mais je te trouve plus… attachant.

Me voilà rassuré quant à ma virilité, mais qu’elle me trouve attachant me laisse perplexe Je ne suis pas attachant, je suis orgueilleux.

- Je suis flattée d’être devenue ta partenaire, poursuit-elle.

- Ouais, bon, les flatteries, c’est pas mon truc. Explique-moi comment tu as trouvé l’endroit où se cache notre futur défunt malaforme. Après, on passera à autre chose, ok ?

Elle m’explique qu’elle a réussi à communiquer avec les esprits des sorciers et que ce sont eux qui lui ont indiqué précisément l’endroit où tout a commencé.

J’attends que sa respiration prenne un rythme régulier quand elle se laisse emporter par le sommeil, puis je me lève.

J’ai apprécié cette intimité avec Sandrine, mais Lana occupe toujours toutes mes pensées. Ainsi que ce que je me prépare à faire. Mais je n’ai plus mal, car j’ai enfin accepté de l’avoir perdue. Et je sais qu’elle ne gardera de moi que les bons souvenirs, ceux de nos étreintes, qui s’estomperont petit à petit.

Je m’installe sur un tabouret de bar avec ma bouteille de scotch (elle est entamée et j’ai décidé de la terminer), mon bloc de correspondance et un stylo.

« Ma chère sœur, mon cher frère,

… »

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